Sandrine, fan de RTL

Sandrine, fan de RTL 

© Crédits photo : Johanne Licard

RTL bouleversée par la mort d'une auditrice

En principe, les animateurs de radio ne connaissent pas leurs auditeurs. Sandrine était une exception.

Temps de lecture : 5 min

Le jour de l'Ascension, juste après le journal de 7 heures, Yves Calvi a annoncé au micro de RTL la mort de « Sandrine, une très fidèle auditrice ». Le dimanche suivant, Éric Jean-Jean lui a dédié son Stop ou encore : « Je voulais juste te dire merci, merci, de m'avoir autant aimé. Et merci de nous avoir rendu — nous, la famille RTL — plus généreux, plus ouverts, plus aimables. » Dans sa cuisine, à La Rochelle, Josyane Tedeschi n'en est pas revenue : « D'habitude, dit cette retraitée, ils font ça pour les gens connus, pas pour les gens comme nous. » Des reporters, des assistants et des vedettes de la station se sont aussi fendus de quelques mots d'hommage sur les réseaux sociaux. Josyane Tedeschi, qui en conserve les captures d'écran, secoue son impeccable carré platine : « C'est fou. Je ne savais pas que Sandrine était amie avec Laurence Boccolini. »

Porte

Sandrine, sa nièce, avait 53 ans. Et qu'il vente ou qu'il pleuve, elle passait ses journées devant les locaux de RTL. « La porte d'entrée sans Sandrine, c'était pas la porte d'entrée », résume le journaliste Laurent Marsick. Elle adressait des saluts chaleureux à tous les salariés de la maison. « Sa voix perçait les nuages », a poétisé Laurence Boccolini sur Instagram. C'était une voix très aiguë, « limite pénible », traduit Anne-France Lavirotte, autre fidèle auditrice. « Elle parlait comme une enfant », explique Thierry Gardais. Régisseur et responsable de la sécurité à RTL, il a vu débarquer Sandrine dans la queue du public des émissions de Fabrice, à la fin des années 1990. « Au début, elle a dû venir par hasard, pense-t-il. Elle a constaté que les gens étaient gentils, qu'on lui disait bonjour, alors elle est revenue. »

Mais contrairement aux autres fans, elle a très vite cessé d'assister aux enregistrements. Elle préférait rester dehors, écouter le direct sur un transistor, et distribuer des sourires. Jamais intrusive, peu portée sur les photos — sauf quand sa « tata » lui rendait visite — elle avait instinctivement trouvé la distance qu'apprécient les célébrités, leur témoignant un amour débordant mais pas collant.

Studios

Il lui arrivait parfois de pousser jusqu'aux studios de télévision de Bry-sur-Marne ou de La Plaine Saint-Denis pour saluer Tex ou Patrick Sébastien, mais elle revenait vite devant le 22 rue Bayard, papoter avec Caro, Cricri, Patrick, Monique, Muriel, Dominique, Guylaine ou Marie-Pierre, tout ce petit peuple d'habitués qui, à force de se côtoyer, a fini par se lier. Lundi 13 juin, tous se sont retrouvés en l'église Saint-Charles-de-Monceau, à Paris, où les obsèques de Sandrine étaient célébrées. Cette compagnie de fans compte un informaticien, une hôtesse d'accueil, une décoratrice, une documentaliste, et pas mal de gens que la vie a éloignés du monde du travail… À une époque, Sandrine a été employée dans une cantine scolaire mais elle ne parvenait pas à se plier aux horaires, et l'expérience a tourné court. « Elle était différente », formule sa tante, faute de terme plus précis pour qualifier son handicap.

Album

Orpheline de mère à 20 ans, brouillée avec son père, Sandrine a erré de foyer en foyer avant de s'amarrer à RTL. « Au début des années 2000, elle n'avait pas de maison, alors elle attendait au parking de la radio que le Samu social lui offre un toit pour la nuit. Parfois, lorsqu'il ne passait pas, je lui glissais un petit billet pour qu'elle ne dorme pas dehors », a confié Éric Jean-Jean à ses auditeurs. Placée sous curatelle, Sandrine a emménagé dans un appartement où elle a pu entreposer ses trésors. Dans des sacs en plastique, elle amassait tout un fatras siglé : des casquettes, des bandanas, des tours de cous, des sweatshirts, des doudounes, et tous les goodies édités chaque saison par la station.

Elle conservait aussi, dans un vieil album, les portraits de ses animateurs préférés. Ses chouchous ultimes ? « Lolo » (Laurent Boyer) et « Riri » (Éric Jean-Jean). « D'une certaine manière, tous ces gens-là l'aidaient à vivre », estime Josyane Tedeschi. La présence de Sandrine, en retour, les rassurait : leur métier de saltimbanque avait du sens, et RTL demeurait une radio populaire.

Titi

Sandrine attendait le vendredi avec impatience : ce jour-là, elle pouvait retirer 100 euros sur son compte, s'acheter pour la semaine une carte téléphonique et trois paquets de clopes. Mais elle détestait le week-end, parce que Savy était fermé. Rue Bayard, ce bistrot faisait face à la radio. Sandrine adorait y entrer pour se réchauffer et filer un coup de main : plier les serviettes, rincer les carafes, balayer la terrasse.

« La première fois qu'elle est venue, elle portait un blouson avec un Titi dans le dos. Titi de Titi et Grosminet, vous voyez ? Depuis, je l'appelais Titi. Elle avait le cœur sur la main », témoigne Alex di Folco, l'ancien patron. Quand son neveu Fabrice a repris l'affaire, Sandrine est restée : « C'était pas quelqu'un avec qui on aurait pu jouer au Trivial Pursuit mais elle était contente de se rendre utile et je la gardais avec nous pour le repas du personnel. »

Tapis

Parfois, il fallait réfréner ses ardeurs. Comme lorsqu'elle s'était mis en tête d'expliquer à Valeria Bruni-Tedeschi qu'elles étaient forcément de la même famille. Ou quand, opérée une première fois du cancer qui allait l'emporter, elle voulait absolument montrer sa poche intestinale et ses cicatrices à ses animateurs chéris. Ou encore quand elle avait entrepris de rouler l'immense tapis, trois lettres blanches sur fond rouge, qui se trouvait à l'entrée de la station. Comme s'il lui revenait de droit.

C'était au printemps 2018, quand RTL a quitté le huitième arrondissement parisien pour Neuilly-sur-Seine. Les fans sont unanimes : c'était mieux avant. À Neuilly, ceux qui veulent assister aux émissions doivent s'inscrire à l'avance. Et puis, il n'y a pas de Savy. Alors Sandrine faisait la navette entre les deux adresses, et restait dans le cocon du bistrot jusqu'à la fermeture.

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