Sa première apparition à la télévision remonte au 13 avril 1987. Sur le plateau de « Télématin » (antenne 2) le journaliste Roger Zabel annonçait l’arrivée d’une nouvelle présentatrice météo « très très mignonne », avec une mine gourmande d’un autre temps. Dès lors, les fous rire et le franc-parler de Sophie Davant n’ont plus quitté le petit écran. Elle a animé, seule ou en duo, toujours sur France Télévisions des émissions aux contenus variés : « Fort Boyard », « C’est au programme », « Toute une histoire »… Depuis 1997, elle est également au rendez-vous du « Téléthon », avec un acolyte masculin qui varie selon les périodes. Elle est enfin la présentatrice d’ « Affaire conclue », une émission consacrée aux enchères, depuis cinq ans.
Entre-deux
La force de cette implantation dans le paysage médiatique, Jérémy Parayre a eu l’occasion de l’éprouver comme directeur de la rédaction de Télé 7 jours [titre qui appartient à CMI Media, NDLR]. « À chaque fois que Sophie était en couverture du journal, c’était un gros succès, raconte-t-il. Et je pensais qu’il y avait une place à prendre entre une presse féminine très polarisée sur le haut de gamme et une presse féminine pratique ou senior trop axée, à mon sens, sur des sujets comme l’arthrose ou la fin de vie. » D’où l’idée de créer un entre-deux « populaire et élégant », selon ses termes, en se fondant sur la personnalité de Sophie Davant. Claire Léost, alors Directrice Générale de CMI Média [devenue entretemps PDG de Prisma Media, NDLR] lui suggère d’organiser un déjeuner avec l’animatrice. « J’ai été la première surprise de cette proposition, se remémore-t-elle. J’ai proposé d’autres femmes connues et populaires, telles que Claire Chazal ou Sophie Marceau, que je trouvais peut-être plus inspirantes que moi pour incarner des femmes de ma génération. Mais une fois rentrée chez moi, je me suis dit que c’était la cerise sur le gâteau après une carrière déjà longue. ».
« On part des expériences et des questions de Sophie »
S, Le Magazine de Sophie Davant compte déjà douze numéros. Ce n’est pas le premier titre de ce genre sur le marché français. En 2017, le groupe Prisma Media avait lancé le bimestriel Dr Good ! en collaboration avec le médecin Michel Cymès. Un modèle que Jérémy Parayre avait en tête mais qu’il tient à distinguer de celui de S. « Le domaine d’expertise de Dr Good ! est limité à la santé, explique-t-il. Mais il s’adresse à tout le monde. S offre un spectre de sujets beaucoup plus large qui part des expériences et des questions que Sophie se pose. Le but est que des experts y répondent dans les interviews qu’elle mène ou dans les articles des autres journalistes de l’équipe. »
Comme O
Jamil Dakhlia, sociologue des médias à Sorbonne Nouvelle, voit une filiation directe entre S et O, le magazine de la célèbre animatrice américaine Oprah Winfrey. Il y a d’abord le choix du titre bien sûr. « Ce sont aussi toutes les deux des animatrices de proximité qui parlent de la vie quotidienne, analyse-t-il. Cette déclinaison sous forme de presse magazine s’inscrit dans un temps plus long qui est celui des stars hollywodiennes, grâce auxquelles on vendait un mode de vie et un modèle de consommation. Même si on n’a plus affaire aux mêmes types de personnalité, chaque célébrité véhicule un potentiel fédérateur à travers des valeurs et des traits identitaires. » Ceux de S sont condensés dans la « baseline ». « Lorsque j’ai accepté, j’ai dit à Jérémy et à l’éditeur que le magazine devrait être positif, inspirant et sans tabou, raconte Sophie Davant. Ça s’est imposé naturellement. J’ai pensé que cela ne nous éloignerait jamais de ce qu’on voulait faire. »
« On ne veut pas tricher en mettant son nom sur quelque chose qu’elle n’a pas écrit »
La fabrication de S repose sur une petite équipe de cinq personnes et quelques journalistes pigistes. Deux fois par mois, un brainstorming en interne permet de faire émerger des sujets, auxquels s’ajoutent ceux proposés par les pigistes. Sophie Davant propose éventuellement des experts qu’elle juge pertinents sur tel ou tel sujet. Puis vient le temps de l’écriture. L’animatrice prend en charge l’édito, la réponse à un courrier de lectrice (parmi quelques centaines reçus), deux grandes interviews et plusieurs points de vue sur certains des sujets traités par les journalistes, intitulés « Le mot de Sophie ». « Je ne fais pas que prêter mon nom, insiste Sophie Davant. Il y a une véritable implication de ma part. » Il arrive que la rubrique culturelle, « Les bonheurs de Sophie » soit co-signée. « On ne veut pas tricher en mettant son nom sur quelque chose qu’elle n’a pas écrit, explique Jérémy Parayre. Quand Sophie est très occupée par ses tournages et n’a pas suffisamment vu ou lu d’œuvres pour faire un vrai choix, on met un autre journaliste avec elle sur la rubrique. »
Notoriété
La « marque » Sophie Davant repose également sur l’image. Pour garder une cohésion entre celle véhiculée en télé et dans le magazine, l’animatrice fait travailler son équipe habituelle - coiffeuse, habilleuse, maquilleuse - pour les photos de mode. Elle fait la couverture du magazine en solo environ une fois sur deux. Le reste du temps, elle pose avec l’une des personnalités qu’elle interviewe dans le journal. Il y a eu Evelyne Dhéliat, Estelle Lefébure, Hélène Darroze ou Gérard Lanvin. « Au début, on s’est dit qu’il fallait montrer Sophie toute seule pour installer le titre, indique Élodie Raffaud, cheffe du service photo à Télé 7 jours et à S. Après, c’est Sophie qui n’avait pas envie d’être tout le temps seule sur la couverture. Elle trouvait ça narcissique. Alors on mixe les deux en fonction des résultats de la production photo, de la notoriété de l’autre personnalité et des affects qu’elle inspire au lectorat. »
« L’intuition de départ était la bonne »
Le premier numéro de S, paru fin novembre 2020 en kiosques, s’est vendu à 145 000 exemplaires. Le deuxième numéro s’est écoulé à 120 000 exemplaires. Aujourd’hui, les chiffres de vente de S oscillent entre 70 000 et 80 000 par numéro, quand le Dr Good ! du mois de mai s’est vendu à 138 000 exemplaires. Des chiffres que Bertrand Gaillard de St Germain, Directeur général adjoint de CMI Media trouve néanmoins satisfaisants. « Tous les indicateurs sont bons, déclare-t-il. Outre le niveau des ventes et le taux de réabonnement qui se situe sur le haut de l’ensemble de nos magazines, il y a les courriers des lecteurs, leur réactivité sur les réseaux sociaux… Tout cela laisse penser que l’intuition de départ était la bonne. »
Soufflé
Depuis, même s’ils ont des contenus différents, des médias dont la direction de la rédaction est assurée par une personnalité télévisuelle ont fleuri : Entre nous, le magazine de Faustine Bollaert (Reworld Media), Les petits plats de Laurent Mariotte ou Les Maternelles avec Agathe Lecaron (Unimédias pour les deux). « Ça montre que la presse magazine est une sorte de laboratoire, en conclut Jamil Dakhlia. Il y a un double mouvement de standardisation et d’innovation. Il faut à chaque fois essayer des formules nouvelles mais rien ne dit qu’elles vont résister. C’est un pari. Est-ce que l’aura d’une vedette est suffisante pour déclencher l’acte d’achat ? Après un premier mouvement de curiosité, cela peut retomber comme un soufflé. »
« On a été très flattés au début de voir que l’idée faisait des petits »
Jérémy Parayre n’ignore pas ce risque. « On a été très flattés au début de voir que l’idée faisait des petits, reconnaît le directeur de la rédaction. Est-ce que les lecteurs n’allaient pas en avoir assez de tous ces lancements ? La question s’est posée. Mais on ne s’est pas senti menacés par les concepts ou les contenus. » Sophie Davant souligne que « ce n’est pas parce qu’une émission a du succès que le magazine va marcher. Celui lié à « Affaire conclue », auquel j’ai participé, n’a pas duré longtemps parce qu’il n’était pas bien fait. » Au nombre des titres qui ont cessé de paraître, on compte le bimestriel Bienvenue chez vous by Stéphane Plazza (Prisma Presse), lancé en avril 2021. Il n’a pas été au-delà du huitième numéro.
Point faible
Talon d’Achille de cette tendance éditoriale : elle repose sur un matériel humain par essence changeant. « On mise sur la stabilité d’une vedette mais elle est un être humain avec ses faiblesses, souligne Jamil Dakhlia. Si, un jour, ses comportements ne sont plus cohérents avec l’image sur laquelle le magazine a capitalisé, cela risque de fragiliser ce dernier. Les personnalités concernées peuvent également être frappées par différents problèmes, comme la maladie. » Confrontée à cette situation avec le décès de Jean-Pierre Pernaut, qui assurait la direction du bimestriel Au cœur des régions, le groupe Burda Bleu a décidé d’arrêter la publication.
« On n’appréhende pas ce type de projet en se disant qu’on installe une marque pour trente ans, reconnaît Bertrand Gaillard de St Germain. Il existera tant que Sophie Davant aura des choses à raconter et tant que les lecteurs auront envie de les lire. On est dans une période où le client a repris le pouvoir sur beaucoup de choses. C’est lui qui, par ses décisions d’achat ou de non-achat, dicte nos stratégies».