Crédits photo : Illustration : Alice Durand

© Crédits photo : Illustration : Alice Durand

Séries TV : le coffret DVD, revanche d’un ringard

Par habitude ou par passion, les coffrets de séries télévisées gardent, plus souvent qu’on ne croit, une place sur les étagères et meubles TV. Leur présence physique peut apparaître rassurante face à la volatilité des catalogues numériques et permet de créer des moments ritualisés, nous explique le sociologue Quentin Gilliotte.

Temps de lecture : 7 min

Quentin Gilliotte est sociologue. Il vient de publier L’expérience culturelle en régime numérique (Presses des Mines, avec le soutien de l’INA), consacré aux changements induits par le numérique sur notre consommation de musique, de films, de séries, de livres et de jeux vidéo. Il montre notamment que les coffrets DVD de séries conservent une place parfois sous-estimée dans nos pratiques culturelles.

Dans un marché DVD en forte baisse  (-82 % en dix ans), les coffrets de séries TV s'en sortent mieux que d'autres. Pourquoi ?

C’est avant tout pour des raisons pratiques. On pourrait se dire que le numérique permet d’accéder à toutes les séries que l’on souhaite, n’importe où et n’importe quand. Pourtant, on continue de considérer que les supports physiques sont les plus accessibles parce qu’on les a sous la main en permanence. Certaines personnes expriment d’ailleurs une défiance très forte envers les plateformes de streaming. Une incertitude persiste sur la présence de titres dans le catalogue. En physique, on est sûr d’avoir à sa disposition sa série préférée.

On retrouve aussi cette envie de posséder tous les DVD pour avoir l’intégrale et pour compléter sa collection. J’ai rencontré, au cours de mon enquête, une personne qui m’expliquait avoir regardé les premières saisons de Dexter en DVD. Elle a terminé les dernières saisons en streaming mais elle a éprouvé le besoin d’acheter les coffrets des derniers épisodes. Ils sont encore dans leur emballage en blister, mais au moins, elle les possède et peut les exposer chez elle. Quand le streaming est arrivé, il y a eu une forme d’invisibilisation des consommations culturelles personnelles. À l’image des posters, des livres ou des figurines, afficher les coffrets DVD de ses séries préférées, c’est une façon d’exprimer ses goûts. On les pose sur la table basse ou on les stocke dans la chambre d’amis. On cherche une stratégie pour savoir comment les mettre en avant le mieux possible.

Il y a également une dimension de don et de partage. Certes, le fait d’offrir des abonnements à des plateformes de streaming se démocratise, mais les objets physiques conservent une place de choix dans nos sociabilités culturelles. Nous sommes à la recherche d’authenticité, ce qu’on appelle l’ « aura » d’une œuvre d’art. C’est l’idée que celle-ci se définisse en partie par son caractère unique, soit le fait qu'elle n'existe initialement qu'à un lieu et à un moment précis. Comment les individus parviennent-ils eux-mêmes à recréer une singularité de l'expérience culturelle ? En passant justement par le physique. On a tendance à utiliser des images pour qualifier cette authenticité. Par exemple, pour l’un de mes enquêtés, le numérique est comme un bonbon au citron. On a certes le goût du citron, mais il manque les pépins, la chair et le jus qui pique les yeux. Pour d’autres, Netflix, c’est froid, et un DVD, c’est chaud. Il y a une vraie dimension sensible.

Qui achète encore des coffrets DVD à l’heure où la consommation de séries est facilitée par les plateformes de streaming et de replay ?

L'âge est une variable extrêmement clivante. Chez les plus âgés, on a une persistance du recours aux biens physiques et le recours aux outils numériques a tendance à chuter brutalement avec l'avancée en âge. Chez les plus jeunes, l’usage numérique est très fort. Pourtant, on retrouve une persistance du bien physique, même si celle-ci s’opère dans une moindre mesure que chez les plus âgés. Certains sont à portée de main puisqu’ils se trouvent déjà depuis dix ou vingt ans dans le meuble télé du salon familial. Même si les ventes s'effondrent en ce moment, les contenus, eux, sont là. Et comme ils existent dans l'espace domestique, ils sont davantage mis en avant que des contenus qui vont être totalement invisibilisés sur des plateformes où on a du mal à appréhender l'immensité du catalogue. Même si l’âge est clivant, les usages réels des supports physiques persistent. Tout dépend également des degrés d’engagement dans la pratique des passions culturelles. Celle-ci est plutôt située socialement. Très classiquement, plus on est diplômé, plus on consomme de biens culturels. Mais globalement, notre passion pour certaines séries nous encourage à mobiliser une diversité de supports, aussi bien physiques que numériques.

Quelles séries aime-t-on particulièrement revoir en DVD ?

On acquiert principalement des séries que l’on connaît déjà et que l’on  a envie de consommer à nouveau, parfois ad nauseam. On trouve tout particulièrement les contenus pour les enfants, notamment les dessins animés, qu'ils soient d’ailleurs regardés par les enfants ou par d’autres. On retrouve également beaucoup de séries « classiques » comme Friends ou des séries comiques comme les Simpsons. On les visionne par habitude, notamment pour s'endormir, se mettre de bonne humeur ou accompagner la tristesse parce qu’on sait très bien quel effet elles produisent sur nous. Ensuite, on retrouve des sagas cultes, comme Le Seigneur des Anneaux ou Star Wars, qu’on va prendre plaisir à regarder à nouveau en intégralité chaque année. Les personnes que j’ai interrogées trouvent un certain plaisir à prendre le temps d'ouvrir le coffret, comme une sorte de  ritualisation qui vient nourrir le plaisir de  la consommation. Cela vaut aussi pour l'acquisition. Les plateformes de streaming offrent un accès quasiment immédiat aux contenus quand passer par des biens physiques sous-entend de chercher un magasin ou bien de commander la série et de la recevoir par la poste. Souvent, on trouve plus de satisfaction à l'attente de la réception d'une série que dans sa consommation.

Quel intérêt et quelle utilité trouve-t-on à acquérir des coffrets de séries comme Game of Thrones, Lost et consorts, où chacun des nombreux épisodes est fortement lié à la trame narrative ?  

L'idée, c'est que plus les personnes sont passionnées par un domaine, plus elles vont acquérir des supports physiques pour compléter leur connaissance de l'œuvre qu’elles aiment. Les plateformes de streaming sont des lieux de découverte de séries, quand l’achat d’un coffret DVD  va plutôt confirmer des goûts déjà existants pour un bien et s'assurer de l’avoir à portée de main en permanence. Souvent, c'est une consommation de fond. Quand on connaît bien une série, on n'a plus besoin de la mettre au premier plan. On peut la laisser tourner en faisant autre chose. On peut relever la tête juste pendant les moments dont on sait qu’ils vont être drôles ou émouvants. Il y a aussi des enjeux éthiques. Quand on a particulièrement apprécié certains contenus, on a envie d’investir dedans afin de soutenir les créateurs. Mais il y a parfois des malentendus ! L’une des personnes que j’ai interrogées m’expliquait notamment avoir investi dans des coffrets d’occasion en pensant ainsi aider les auteurs. Ce n’est qu’au cours de notre entretien qu’elle a réalisé qu’elle n’alimentait pas directement le compte en banque des créateurs. Mais l’idée de soutenir la création subsiste, et c’est particulièrement vrai pour les formats collectors. Les fans ont envie de posséder des coffrets dans lesquels ils retrouveront des goodies comme des cartes, des figurines et des objets de l'univers en question. L’investissement est conséquent, on parle de sommes qui peuvent monter jusqu’à 100 ou 200 euros. C’est une manière pour eux de remercier les artistes qui les font vibrer et qui permettent d'alimenter leur passion quotidienne.

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris