Tournage en Creuse du 17e épisode de « Capitaine Marleau ».

Tournage en Creuse du 17e épisode de « Capitaine Marleau ».

© Crédits photo : France 3 Nouvelle-Aquitaine (capture écran).

Dans la fabrique des fictions TV, les hommes gardent le pouvoir

De la création à la production, les femmes occupent en moyenne 38 % des postes-clés des séries et téléfilms français diffusés en prime time. Elles sont notamment sous-représentées dans les postes techniques et « de pouvoir ». C’est ce que révèle une étude inédite de l’INA, en collaboration avec l’association « Pour les femmes dans les médias ».

Temps de lecture : 5 min

Les vieilles habitudes ont la peau dure. Alors que la question de la parité s’impose peu à peu comme un enjeu majeur de société, certains secteurs font de la résistance. C’est le cas de la fiction française à la télévision qui reste, essentiellement, une affaire d’hommes. Un constat établi par une étude de l’INA, réalisée en partenariat avec l’association « Pour les Femmes dans les Médias » (PFDM), qui a examiné la composition des équipes des quelque quatre-cent quarante séries et téléfilms français diffusés en prime time par les principales chaînes en 2019.

Des hommes majoritaires à presque tous les postes-clés

Pour la quasi-totalité des postes étudiés (1) , les hommes sont systématiquement majoritaires, parfois de manière écrasante, et ce, dès le début du processus de création puisque les auteurs de l’idée originale du film ou de la série sont à 65 % des hommes. Il en va de même pour les chefs-monteurs (63 %) les chefs décorateurs (72 %) ou, catégorie reine, les réalisateurs (83 %). L’inégalité est encore plus flagrante pour les métiers dits techniques. Les chefs opérateurs sont à 92 % des hommes et les ingénieurs du son, à 96 %.

La proportion tend à s’équilibrer chez les producteurs dont 41 % sont des femmes et chez les scénaristes et adaptateurs où l’on s’approche de la parité avec 47 % de femmes. Pour autant, et c’est l’un des points saillants de l’étude, la totalité des « postes de pouvoir » (réalisation, montage, auteurs de l’idée originale) sont largement occupés par des hommes, comme vient l’illustrer le faible nombre de femmes (28 %) tenant le rôle stratégique de directrice de production.

 

Une exception vient confirmer cette règle tenace. Le métier de scripte, « mémoire du tournage » et rouage essentiel de toute production, reste majoritairement féminin puisque 98 % des scriptes ayant travaillé sur des fictions diffusées en 2019 étaient des femmes. « C’est la tradition : les scriptes sont les petites mains depuis toujours. Les hommes inventent, décident, et les femmes font attention », commente Geneviève Sellier, historienne du cinéma et co-autrice d’un article sur les rôles de femmes dans les fictions TV françaises pour La Revue des médias.

Cette tendance lourde est d’autant plus remarquable que la télévision avait pu, dans les années 1970, ouvrir la voie à certaines femmes — réalisatrices, monteuses, camerawomen, ingénieures du son… —, qui venaient y chercher ce que le milieu du cinéma, essentiellement masculin, ne leur accordait pas. En mai 1973, une émission spéciale d’Aujourd’hui Madame, magazine de société quotidien, avait interrogé des femmes qui avaient trouvé leur place dans cet univers en pleine ébullition qu’était alors la télévision. Certaines sortaient d’une école spécialisée, d’autres se lançaient en autodidactes dans une profession encore à inventer.

Plafond de verre

Près d’un demi-siècle plus tard, les femmes ne représentent, en moyenne, que 38 % des équipes des films et des séries, qui plus est dans un rôle qui les tient éloignées des principales prises de décision au sein des productions. Comme le souligne Geneviève Sellier, « même s’il peut y avoir davantage de femmes dans les métiers de production, elles sont prises dans un processus extrêmement contraignant, leur capacité de décision est relative. Elles sont des maillons dans une chaîne où les décideurs ultimes restent des hommes ».

Pour les universitaires et les chercheurs, les causes de cet immobilisme sont à chercher du côté d’antiques usages dont l’industrie ne parvient pas à se débarrasser, ainsi que l’affirme Cécile Méadel, sociologue des médias. « Les postes que prennent les femmes demandent beaucoup d’implication, des responsabilités coûteuses, mais ne sont pas forcément ceux qui donnent le plus de possibilités, et surtout de réseaux. Ces postes ne sont pas très rentables en termes d’avancement de carrière, comme c’est le cas des scénaristes par exemple. »

De nombreuses professionnelles en ont fait l’expérience. « Je ne veux pas parler au nom de toutes les femmes », prévient Éliane Vigneron, scénariste pour des séries télévisées, « mais j’ai le sentiment que nous sommes nombreuses à nous heurter, à un moment de notre carrière, à un plafond de verre. Quand j’ai débuté, il y a une dizaine d’années, j’étais souvent la seule femme au milieu d’hommes de quarante ou cinquante ans qui m’ont prise sous leur aile et, en effet, ils m’ont aidé à apprendre le métier. Aujourd’hui, je constate que c’est plus difficile. De la même manière, je suis frappée par le fait que les femmes de pouvoir, productrices notamment, soient décrites comme des «monstres » autoritaires. Or, ce sont des personnes qui savent ce qu’elles veulent et le font savoir. C’est significatif que ces traits de caractère, qui semblent aller de soi pour un homme, deviennent aussi caricaturaux pour une femme. »

Beaucoup plus de femmes coscénaristes

Si, parmi les métiers qui évoluent dans le sens de la parité, celui de scénariste semble s’en approcher, une réalité plus souterraine est mise en lumière par l’étude réalisée par l’INA. Les femmes sont, très souvent, co-auteures des scénarios, bien plus régulièrement que leurs homologues masculins. Ainsi, 22 % seulement des auteurs uniques sont des femmes, tandis que la proportion de co-auteures grimpe à 43 %. « Je crois que la présence de scénaristes masculins dans le processus d’écriture rassure les équipes », témoigne Éliane Vigneron, « ce qui n’aide pas à faire évoluer des schémas profondément ancrés. Je pense notamment à la manière dont les femmes sont représentées à l’écran, correspondant à des stéréotypes et qui, dans les scénarios, subissent bien davantage la situation qu’elles ne la font évoluer, contrairement aux personnages masculins. »

Indispensables quotas ?

En mars 2020, une précédente étude menée par l’INA en partenariat avec PFDM avait ainsi établi que, dans les fictions diffusées à la télévision entre 2008 et 2018, « les personnages féminins dispos[ai]ent de seulement 35,4 % du temps de parole, contre 64,6 % pour les personnages masculins ». Pour Laurence Bachman, productrice et coprésidente de PFDM, partenaire de l’INA pour cette étude, c’est bien là une démonstration que l’heure est venue de passer à l’action. « S’il y avait plus de femmes, on aurait un autre regard dans les fictions. Et il y aurait également moins de harcèlement sexuel sur les tournages ». À l’évidence, l’évolution de ces pratiques, toujours plus en décalage avec l’époque, nécessite d’être régulièrement accompagnée. C’est tout le sens d’études comme celle réalisée par l’INA que de rappeler, statistiques à l’appui, que le chemin à parcourir est encore long. « Pour que les femmes comptent, il faut les compter », garantit Laurence Bachman. « Une fois qu’on réalise qu’il n’y a pas assez de femmes dans certains secteurs, on peut mettre en place des mesures, comme les quotas ou des outils incitatifs. » L’association qu’elle copréside plaide en faveur de quotas « temporaires et progressifs », dispositifs sur lesquels s’engageraient les acteurs de la profession. Geneviève Sellier va dans le même sens, jugeant indispensable « une prise de conscience de la part des décideurs », et plaide également pour « une discrimination positive active ». Lors de la dernière édition du Festival de la fiction TV, en septembre 2020, Delphine Ernotte s’était engagée à atteindre 30% de réalisatrices dans les fictions préfinancées par France Télévisions d'ici la fin 2021.

La mise en place d’un équilibre au sein des professions de l’image et du son pourrait s’inspirer de ce qui est actuellement à l’œuvre dans l’enseignement. Dans la plupart des écoles, la recherche de la parité est devenue une donnée élémentaire, ainsi que le confirme Christine Ghazarian, directrice du département production à la Fémis. « L’école veille à cet équilibre parmi les enseignants et les professionnels qui interviennent devant les élèves mais aussi dès le concours d’entrée. Et cela se traduit dans les promotions. La plupart des départements,  production, réalisation, décors, image… sont paritaires. Avec des exceptions, comme le montage, où cette année, les élèves sont majoritairement des filles. Mais les choses changent dans le bon sens : nous avons aussi des garçons qui étudient au département script… »

Dans le secteur voisin du cinéma, lui aussi traditionnellement très masculin, une tendance récente est à souligner. « Au cinéma, il y a eu une dynamique, notamment depuis 2019 et l’adoption par le CNC, à l’instigation du Collectif 50/50, d’un bonus de 15 % accordé aux équipes dont les principaux postes d’encadrement sont paritaires », analyse l’historienne Geneviève Sellier. D’après les chiffres de ce collectif, si 15 % des films produits en 2018 auraient été éligibles au bonus, 22 % l’ont effectivement obtenu en 2019 et 34 % en 2020. De son côté, le CNC indique, dans son dernier rapport sur La place des femmes dans l’industrie cinématographique et audiovisuelle (mars 2021), que 25,9 % de l’ensemble des longs métrages produits en 2019 ont été réalisés ou coréalisés par une femme.

Davantage de femmes en tête d’affiche, mais moins de femmes au générique

 

Séries ou téléfilms : les mêmes déséquilibres

 

Chaînes publiques ou privées : un même constat

 

* L’étude a été réalisée par l’INA (Boris Jamet-Fournier, Léa Maguire, Laëtitia Larcher, Béatrice Zanni, Marine Ploix-Bernier, Morgane Salmon, Arlette Aucher, Marie Leroy, Emmanuelle Dubois, Christine Maertens, Philippe Favoreau, Héloïse Jurret, Boussaâd Bouaïch, Valérie Thepault), en collaboration avec l’association Pour les femmes dans les médias (PFDM).

    (1)

    Les 14 fonctions étudiées sont : l’auteur de l’idée originale, l’auteur de l’œuvre pré-existante, le chef décorateur, le chef monteur, le chef opérateur de prise de vues, le compositeur de la musique originale, le directeur de production, l’ingénieur du son, l’interprète, le producteur, le réalisateur, le scénariste / adaptateur, et le scripte.

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