Manon, ballerine professionnelle, témoigne de son trouble alimentaire. Elle est filmée par Lise Abou Mansour, journaliste à 20 Minutes, qui livre des éléments pour comprendre cette pathologie.

Manon, ballerine professionnelle, témoigne de sa boulimie. Elle est filmée par Lise Abou Mansour, journaliste à 20 Minutes, qui livre des éléments pour comprendre cette pathologie.

© Crédits photo : 20 minutes / Captures d'écran

Sur Snapchat, « 20 Minutes » écoute les jeunes parler de leur santé mentale

Lancé après le premier confinement, le format vidéo « Ma tête et moi » donne la priorité au témoignage et mise sur l’identification entre pairs pour faire connaître les troubles psychiques et les rendre plus vivables. La troisième saison vient de démarrer.

Temps de lecture : 6 min

« Je pense que je ne me nourrissais pas vraiment correctement parce que je voulais faire attention pour rester bien fine. » Ce sont les premiers mots de Manon, ballerine professionnelle de 23 ans, dans le premier épisode de « Ma tête et moi », saison 3. Consacrée à la boulimie, la vidéo est disponible depuis le 2 mai sur le site de 20 Minutes et le discover de Snapchat. Le programme, consacré à la santé mentale, est découpé en sept épisodes diffusés jusqu’au 13 juin, à raison d’une vidéo par semaine.

TOC, trouble anxieux, « Ma tête et moi » traite de toutes les thématiques de santé mentale qui concernent les jeunes. Les saisons 1 et 2 diffusées en novembre 2021 et avril 2022 ont compté respectivement cinq et huit épisodes et balayé un large spectre de troubles psychiques tels que le burn-out, l’éco-anxiété, l’hyperphagie ou encore la bigorexie. Et ce fut un succès. 80 000 vues par épisode en moyenne avec des pics à plus de 250 000 vues pour les vidéos sur l’addiction à l’alcool ou la dermatillomanie, et plus de 350 000 pour celle sur le trouble borderline.

À l’origine de l’émission, Lise Abou Mansour. Cette journaliste spécialiste des questions de santé à 20 Minutes prend conscience de l’importance du sujet pendant le confinement. « J’ai vu des chiffres sur les jeunes qui souffraient de troubles dépressifs et anxieux, se remémore-t-elle. J’ai rédigé un premier sujet sur des personnes qui faisaient des crises d’angoisse pour la première fois de leur vie durant le confinement et qui ne comprenaient pas ce qui leur arrivait»

Elle imagine dès lors consacrer un format à part entière à la santé mentale des jeunes. « J’ai proposé l’idée à mes deux chefs qui ont tout de suite été partants. » Armelle Le Goff, alors directrice de rédaction de 20 Minutes adhère d’emblée la proposition : « Le modèle de 20 Minutes nous rend très attentifs aux nouveaux modes de consommation de l’information, aux sujets sociétaux. En suivant la crise du Covid, on s’est aperçu que la santé mentale émergeait de façon importante chez les jeunes. »

Place aux témoignages

« Bon nombre des troubles psychiques se développent à un âge assez jeune, comme les troubles du comportement alimentaire, le trouble bipolaire ou la schizophrénie », énumère Lise Abou Mansour. Le taux de suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 10-25 ans. La plupart des troubles mentaux apparaissent à l’adolescence. Lise Abou Mansour a une idée assez précise du format qu’elle souhaite : « Je voulais prendre le temps, réaliser des témoignages qui durent en moyenne cinq-six minutes ». Ce qui exclut d’emblée TikTok, axé sur les vidéos courtes. L’équipe de 20 Minutes entre en discussion avec Snapchat, dont la moitié des utilisateurs en France ont moins de 25 ans. « Ils ont tout de suite été partants parce qu’ils n’avaient aucun show qui parlait de santé mentale, ça a été assez simple de les convaincre », raconte l’ancienne directrice de la rédaction, Armelle Le Goff

Et pour cause : le sujet de la santé mentale, et notamment des maladies mentales, est sous-traité médiatiquement. « Il y a encore énormément d’idées reçues dans la population sur quantité de pathologies, affirme Lise Abou Mansour. On pense que les schizophrènes sont dangereux, que l’anorexie est une mode, que les personnes dépressives manquent de volonté, etc. » 

Elle met au point son format : une pathologie par épisode, incarnée par un témoin qui raconte ce qu’il a traversé. La journaliste intervient par intermittence en s'adressant directement à son public, elle assure la mise en contexte travaillée en amont avec des psychiatres, cite des chiffres, une étude… Le tout tient en huit minutes maximum.

Priorité est donc donnée au témoignage. Or c’est la partie la plus difficile à collecter. Lise Abou Mansour utilise les réseaux sociaux pour approcher ses témoins, puis elle entreprend de les convaincre de se laisser filmer. Pas évident pour des adolescents ou de jeunes adultes d’assumer une dermatillomanie ou l’anorexie masculine face caméra. Condition sine qua non, les témoins doivent avoir surmonté leur trouble. « L’objectif, c’est de donner un peu d’espoir, explique-t-elle. Quand on parle de maladie psychiatrique, de santé mentale, ça peut être parfois plombant. L’idée, c’est de donner la parole à des personnes qui sont guéries dans le cas de pathologies qui peuvent se guérir comme la dépression ou le burn-out. Ou bien à des personnes qui sont en phase de rémission dans le cas de pathologies qui ne se guérissent pas comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire », précise-t-elle.

« Être la personne que j'aurais aimé croiser »

Se dévoiler, oser raconter, s’exposer aux réactions des autres n’a rien d’évident. « Les commentaires négatifs, je ne les ai pas lus, pour me protéger » , raconte Baptiste Mulliez qui a témoigné dans le tout premier épisode de « Ma tête et moi » sur la dépendance à l'alcool. Il a fait le choix de partager son expérience pour briser un tabou. Et surtout « être la personne que j'aurais aimé croiser quand j'étais au plus mal. Être un lien, parce que c'est par le lien que l'addiction se soigne. » Finalement, le positif l’a emporté : « Mon témoignage a déclenché des discussions très très riches dans mon cercle familial et avec mes amis, confie-t-il. J'ai aussi eu beaucoup de retours et de sollicitations de personnes ou de proches de personnes qui souffrent d'addiction. »

Le stigmate qui pèse sur certaines pathologies est tel que les témoins demandent souvent l’anonymat. « Pour l’hyperphagie, j’ai mis vraiment beaucoup de temps pour trouver quelqu’un qui accepte de me parler à visage découvert parce que c’est un trouble sur lequel il y a beaucoup de clichés et qui n’est toujours pas perçu comme tel », raconte la journaliste.

Elle mise sur l’entraide : « Certaines personnes m'ont dit avoir compris qu'elles souffraient d'une pathologie grâce à un témoignage sur les réseaux sociaux et c'est une des raisons pour lesquelles elles témoignent à leur tour, pour aider d'autres personnes ». Témoigner leur permettrait de se libérer, « un peu comme si elles tournaient une page », note Lise Abou Mansour. La journaliste tourne elle-même les séquences : « C’est moins intimidant pour les personnes interviewées que je sois toute seule avec ma caméra plutôt qu’avec une grosse équipe. Et je tourne souvent chez elles pour qu’elles soient dans leur élément et se sentent plus à l’aise. » 

Pour cette troisième saison, Thomas Lemoine, responsable adjoint du service vidéo, est à ses côtés pour le montage, tout comme Jules Broussaud dont c’est le métier. Une fois prête, la vidéo est publiée sur Snapchat, ainsi que sur le site de 20 Minutes où elle est accompagnée d’un article.

Les thèmes retenus déterminent le nombre d’épisodes à paraître, et la journaliste attend d’avoir tous ses témoins pour lancer la saison.

Prévention

Informer, déstigmatiser, donner la parole aux premiers concernés, c’est son leitmotiv. « Et faire de la prévention », précise la journaliste santé. « Je veux permettre à des personnes qui ne se sentent pas bien, qui ont des symptômes qu’elles ne comprennent pas, de peut-être pouvoir mettre le doigt sur ce qu’elles vivent elles-mêmes ou l’un de leurs proches. Pour ainsi amener à des discussions, aiguiller vers des associations par exemple. »

Détecter le plus tôt possible les troubles mentaux et proposer un suivi adapté peut permettre une réhabilitation psycho-sociale. En France, le trouble bipolaire met plus de quinze ans à être diagnostiqué. Une errance médicale difficile à vivre pour les personnes atteintes.

Alors que la santé physique fait l’objet d’un important traitement médiatique, les troubles mentaux restent sous-traités. Ou tabou. « On note aussi le détournement des mots de la psychiatrie pour qualifier un acteur politique d’autiste ou de schizophrène, ce qui dévalue ces troubles psychiatriques, relève Marie-Christine Lipani, enseignante-chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’école de journalisme de Bordeaux (IJBA) et co-autrice d’un dossier des Cahiers du journalisme consacré au traitement médiatique de la santé mentale. Et dans de nombreux cas, il est assez fréquent que ces troubles soient associés à la dangerosité et à la criminalité ce qui contribue à une forme de stigmatisation », explique-t-elle. La chercheuse note cependant une amélioration depuis la crise sanitaire, à la fois en termes de fréquence et de qualité des sujets. L’association des journalistes pour une information responsable (AJIR) en psychiatrie a de son côté élaboré, en 2018, un mémo qui recense écueils et conseils pour mieux parler des sujets de santé mentale dans les médias.

Avec « Ma tête et moi », 20 Minutes a clairement pris les devants. La troisième saison qui s’ouvre abordera la dépression, la phobie scolaire, ou encore l’addiction aux drogues dures. Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Ronan Dubois, directeur général de 20 Minutes, n’a pas hésité à poursuivre l’aventure en vidéo: « Ce travail fait sens sur le plan sociétal. Médiatiser le plus largement possible des témoignages de jeunes participe à lever les tabous. C'est la raison d'être de Ma tête et moi”. » Il cite l’étude « #MoiJeune » menée par 20 Minutes depuis 2016 avec OpinionWay. En février 2023, 78 % des 18-30 ans estimaient leur état de santé mentale « pas bon ».

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