Snapchat, Facebook, Google… que font-ils au journalisme ?

Snapchat, Facebook, Google… que font-ils au journalisme ?

Un rapport de la Columbia Journalism Review fait un état des lieux des enjeux soulevés par l’intrusion des grandes entreprises de l’économie numérique (Facebook, Google…) dans le journalisme. Nous avons confronté les rédactions des médias français aux conclusions de ce rapport.

Temps de lecture : 15 min

Les réseaux sociaux, éditeurs de fait

Les réseaux sociaux distribuent, hébergent et monétisent les contenus qui leurs sont confiés. Leur modèle économique repose sur la publicité, ce qui les pousse à attirer et conserver le plus longtemps possible l’attention des internautes... et à inciter les éditeurs de presse à se fondre dans leurs stratégies. Le rapport de la Columbia Journalism Review (CJR) fait le point sur les conséquences de l’intrusion des GAFA dans le journalisme et sur les enjeux que la nouvelle donne soulève.

Ces stratégies ont des conséquences éditoriales.
D’abord, parce que les plateformes sociales ont tendance à imposer des formats : Facebook paie des éditeurs pour produire des vidéos en direct avec son outil propriétaire, Discover de Snapchat est un format bien particulier qui mobilise des équipes dédiées, Facebook et Google imposent leurs standards mobiles.
 
La standardisation des formats qu’imposent certaines plateformes a des conséquences directes sur la manière dont les éditeurs de presse traitent l’information, explique le rapport du CJR. Les rédactions doivent donc trouver un fragile équilibre entre la visibilité que ces plateformes leur apportent et la préservation de leur identité.
 
Ensuite, parce que les éditeurs de presse doivent composer avec des algorithmes dont le fonctionnement est totalement opaque (empêchant les journalistes de maîtriser la circulation de l’information). Enfin, parce que la modération humaine est très relative : Facebook a même été jusqu’à licencier ses modérateurs, accusés de partialité, pendant les élections américaines de 2016.
 
Ces stratégies ont aussi des conséquences financières, parce que les revenus publicitaires sont inégalement partagés, affirme la CJR. À eux seuls, Google et Facebook captent en effet une part majoritaire des revenus liés à la publicité sur internet, les annonceurs ayant tendance à préférer ces outils en raison de leurs possibilités de ciblage très puissantes. Mais aussi parce que, pour les éditeurs, il est difficile de maintenir un site web quand il est de plus en plus compliqué d’y attirer du trafic (et donc d’en dégager des revenus) en raison du temps croissant passé par les internautes sur les réseaux sociaux et du succès des formats propriétaires ou «  maison » imposés par Facebook ou encore Google. Satisfaire aux contraintes techniques imposées par ces plateformes est aussi de plus en plus chronophage et coûteux.
 
Et en France, comment les rédactions perçoivent-elles l’influence des GAFA sur leur métier ?

Facebook et Google privatisent le web mobile

Sur mobile, Google et Facebook imposent leurs propres formats (qui ne sont pas conformes aux standards ouverts du web) : les AMP (Accelerated Mobile Pages) pour le premier, les FIA (Facebook Instant Articles) pour le second.
 
 Les journaux qui utilisent les Facebook Instant Article subissent « une perte de l'image de marque » 
Une évolution qui n’est pas sans poser problème, selon la CJR, pour qui les journaux qui utilisent les FIA subissent « une perte de l'image de marque ». En effet, les internautes ne savent ou ne se souviennent pas forcément de la source de l’article qu’ils ont lu en partant d’un réseau social, comme l’a démontré une étude de la faculté d’Oxford. Or comment valoriser un journal si les internautes qui ont lu ses articles ne les lui attribuent pas ?
 
Ensuite, Facebook ne donne accès qu’à une partie des données d’audience qu’il collecte lorsque les internautes lisent des articles instantanés. Interrogé sur ce point, Guillaume Bournizien, responsable du marketing numérique au Parisien, confirme : « il manque surtout une vue globale : nombre d’utilisateurs uniques, taux de scroll(1) moyen, etc. Nous avons des statistiques pour chaque post mais pas de cumul ». Or, les régies publicitaires des journaux ont besoin de ces données car elles sont au cœur de leur mission : avoir une idée précise du profil de leurs lecteurs et lectrices pour mieux vendre des espaces publicitaires aux entreprises.
 
Enfin, certains journaux ont critiqué la rigidité des articles instantanés de Facebook. Tant et si bien que certains titres, comme le Guardian et le New York Times, ont abandonné le format. Dans la stratégie de séduction que mène Facebook auprès des journaux, ces abandons faisaient tache : la plateforme a donc écouté une partie des doléances des éditeurs de presse. Ce que confirme Guillaume Bournizien : « Facebook nous a écoutés sur certains points, par exemple sur la collecte de données et pour intégrer des briques pour proposer nos newsletters ou des offres d’abonnement au journal ». Google a d’aillleurs suivi un parcours similaire.
 
Chez Le Parisien - Aujourdhui en France, 100 % des nouveaux articles existent en format AMP (Google). « C’est comme si on avait un site en AMP, hors page d’accueil ». Le titre revendique 4,4 millions de visiteurs en juillet 2017 uniquement sur les articles instantanés (Facebook) et les pages AMP (Google). Un chiffre à comparer aux 17,3 millions de visiteurs uniques comptabilisés en tout ce même mois : c’est près de 25 % de l’audience numérique du journal qu’auraient permis de conquérir les deux formats de Google et Facebook. Ces lecteurs auraient-ils de toute façon consulté le journal sur son site internet ? Impossible de le savoir.
 
Ces statistiques impressionnantes ne suscitent pour autant pas un satisfecit complet. « Il faut aussi voir que Google met beaucoup en avant son format AMP. Nous, ça génère plus de volume de visites mais on a du mal à percevoir la fidélisation : les gens se rendent-ils compte qu’ils sont sur Le Parisien ? », détaille Guillaume Bournizien. Mais les lectures « complètes », elles, augmentent : selon le responsable du marketing numérique au Parisien - Aujourdhui en France, plus de lecteurs vont jusqu’au bas des articles, ce qui signifie qu’ils « lisent théoriquement tout l’article ». « On ne remet pas en question l’usage des AMP, c’est plus en matière d’incitation à l’abonnement que nous pêchons pour le moment », explique-t-il.

Facebook et la vidéo : une prédiction autoréalisatrice

L’Observatoire européen du journalisme (EJO) l’a confirmé début novembre 2017 : Facebook paye les éditeurs de presse pour faire de la vidéo. En France, TF1, Le Figaro, Le Parisien et Le Monde touchent entre 100 000 et 200 000 euros par mois, pour des périodes de 6 mois renouvelables. Les fonds servent parfois à financer des studios dédiés aux vidéos en direct Facebook (chez RTL, par exemple). En contrepartie, les titres de presse doivent respecter un cahier des charges précis : chez LCI, par exemple, la rédaction doit produire 14 heures de direct par mois et chaque live doit durer entre 6 et 20 minutes. « Un timing précis qu’il vaut mieux respecter car les contrôles sont stricts », précise-t-on en interne. Un pari risqué. Comme le souligne le rapport de la CJR, le retour sur investissement est incertain.
 
Toujours chez Le Parisien - Aujourdhui en France, les live  Facebook sont entrés dans le paysage journalistique il y a deux ans. Le titre produit plus de 300 minutes de vidéo chaque mois, en moyenne. « Le Parisien est très populaire sur Facebook, c’était donc un choix logique », explique Guillaume Bournizien, responsable du marketing numérique. Le format est intégré au sein de la chaîne vidéo du journal, « Le Parisien TV », permettant « une alliance de compétences avec les journalistes maison ». Parmi les avantages du live Facebook, Guillaume Bournizien en relève deux : « la facilité d’usage de la technologie et la mobilité ». Et souligne que ce format vient compléter d’autres formats live existants, et non les remplacer. « Pour une journée de manifestation, un événement important, on fait un direct classique et un Facebook Live ».
 
Pourquoi ce choix ? « Facebook est un très gros vecteur de trafic. Il faut continuer : le live plait aux internautes. On utilise donc ce format parce que le live est une nouvelle écriture journalistique pertinente. »
 
Nos voisins européens n’ont pas tous adopté la même posture. À la BBC, par exemple, on a aussi fait le choix de miser sur le live vidéo… mais pas de l’héberger chez YouTube ou Facebook. C’est sur sa propre application mobile que le journal publie ses live. Leur objectif : attirer une audience plus jeune. « Le pouvoir du direct et de la vidéo est crucial pour générer de l’engagement et des usages », précise-t-on à la BBC, « la programmation de vidéos en direct dans notre application est une priorité ». Et ce, même si la chaîne reconnaît que « la fonctionnalité de vidéo live sur des plateformes tierces comme Facebook et YouTube continuent de dominer le marché ». Au programme pour appuyer cette stratégie : « proposer un journalisme mobile first et de plus en plus personnalisé, avec des formats courts et du storytelling visuel, avec une couverture live étendue et des expériences plus participatives », en particulier pour « approfondir le lien avec les audiences les plus jeunes ». Une manière de contourner également Snapchat ?

Snapchat rajeunit les audiences mais n’est pas rentable

Snapchat assure une sélection drastique des titres de presse autorisés à créer des formats sur-mesure pour Discover, sa section consacrée à l’actualité. Le réseau social est partout présenté comme l’atout jeunes des médias. Un atout dont ont bien besoin les médias traditionnels, tant leur lectorat est vieillissant. Ainsi, en 2015, l’âge moyen des téléspectateurs de France 2 était de 55 ans. Et les autres grandes chaînes de télévision ne sont pas beaucoup mieux loties.
 
 Snapchat est plutôt avare en chiffres  
Pour conquérir un public jeune, certains titres de presse (au nombre de 14 aujourd’hui) se tournent donc vers le réseau social préféré des adolescents. Plus précisément, ces médias soigneusement sélectionnés utilisent la fonctionnalité Discover de Snapchat, qui leur est réservée, et s’engagent à publier chacun une édition par jour. Certains médias français ont intégré Discover il y a plus d’un an. Côté fréquentation, les 14 éditeurs français s’estiment plutôt satisfaits. Snapchat, pour sa part, affirme que Discover touche plus de 70 % des 13-34 ans et dix millions d’utilisateurs par mois, mais est plutôt avare en chiffres (et restreint la communication de ses partenaires).
 
LExpress, qui mobilise trois salariés pour son édition Snapchat depuis juin 2016, confirme cet argument du rajeunissement du lectorat : « Nous avons conscience que nous nous adressons sur Snapchat à une cible très jeune, que nous n’avons pas l’opportunité de toucher avec le magazine et même le site internet. Snapchat familiarise de jeunes Français avec une marque qu’ils ne lisent pour la plupart jamais » nous explique Emma Defaud, rédactrice en chef web du journal. Dans l’idée de convaincre ces jeunes internautes de lire LExpress ? Pour Emma Defaud, l’objectif est plus indirect : « L’enjeu est davantage pour nous de prouver que nous pouvons les intéresser à des sujets d’actualité avec un traitement approprié. » Autrement dit, renouveler les écritures pour séduire ce jeune public : « Snapchat est aussi pour nous une occasion de tester des formats et développer une autre forme de narration. »
 
Ces nouvelles écritures se font cependant au sein d’un cadre contraint. Snapchat, pour la partie Discover, impose en effet de stricts standards de qualité. Et le réseau social ne plaisante pas : en 2015,Yahoo! s'est vu exclure de Discover parce que Snapchat considérait que les contenus de l'entreprise n'étaient pas conformes à ses exigences. Emma Defaud affirme « discuter régulièrement avec Snapchat pour voir quels territoires nous avons en commun. L’idée est que Snapchat et LExpress peuvent se retrouver sur certains éléments. Si nous devions nous trouver trop à l’étroit sur ce territoire, je pense que nous en tirerons les conclusions qui s’imposent. Ce n’est pas le cas pour l’instant. »
 
Sur Discover, éditeurs et Snapchat repartent chacun avec 50 % des revenus publicitaires. Sur leurs chaînes propres, les éditeurs ont le droit de vendre les espaces publicitaires via leurs propres régies, ce qui leur permet de conserver 70 % des revenus contrairement à Discover.
 
Une répartition très discutable, étant donné l’investissement demandé par le réseau social aux titres de presse. Ainsi, pour le retour sur investissement, les avis sont mitigés. Aux États-Unis, où les éditeurs ont un peu plus de recul, NBC Universal et Mashable affirment être rentables sur Snapchat. Mais pour combien de titres qui en sont loin ?
 
Il y a un an, Melty dénombrait des pics d’affluence à 1 million de visiteurs uniques. Cette année, c’est et en compte désormais 4 millions chaque mois. « Nous consacrons près de 10 % de nos effectifs à la chaîne [sur la soixantaine de personnes employées par le site]. C’est un sacré pari (...) mais on l’a rentabilisé très rapidement (...) parce que nous sommes très proches de la cible jeune », résume Jérémie Clévy, président de Meltygroup. Chez Vice France aussi, « c’est une activité rentable (...) : Snapchat est une extension naturelle du média », pour Nicolas Bonard, son PDG.
 
Au sein du journal Le Monde, on expérimente Snapchat depuis mars 2016 et Discover en particulier depuis septembre de la même année. Le journal revendique une audience mensuelle de 3 à 5 millions de visiteurs uniques. Il y a un an, le journal tirait un premier bilan de son expérience. « Une présence qui représente un véritable investissement », soulignait alors Elisabeth Cialdella, directrice déléguée marketing et communication du groupe. En effet, le groupe dédie une équipe de 7 personnes à temps plein à la plateforme : « c'était l'une des conditions fixées par Snapchat à ses partenaires ». Une équipe composée « d'un chef d'édition, de deux journalistes-rédacteurs, de deux journalistes-vidéos et de deux motion designers ». Ce mois-ci, Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde, ajoutait : « Snapchat a inventé des formats de contenus spécifiques qui ont conquis massivement les moins de 18 ans. Il nous reste à mieux monétiser cette audience. Nous y travaillons avec la direction de Snapchat ».
 
L’Équipe revendique plus d’1 million d’abonnés. Mais côté revenus, « c’est un peu moins réussi », explique Emmanuel Alix, directeur du pôle numérique du groupe. Il précise avoir dégagé des profits « quelques mois dans l’année », mais ne pouvoir être rentable en 2017 : «  cela met plus de temps que nous ne l’avions imaginé ».
 
La transformation de fait de grands acteurs du numérique en porte d’entrée du web pose en effet la question de la justesse de la répartition des revenus publicitaires entre eux et les titres de presse qui utilisent leurs plateformes.

Vers une confiscation des revenus publicitaires

« Le manque de données d'audience et la migration des revenus publicitaires sont des préoccupations majeures pour les éditeurs » affirme le rapport de la Columbia Journalism Review. Facebook, par exemple, est réputé pour prélever une partie importante des revenus générés par la publicité : 30 % d’après certaines sources. Snapchat, on l’a vu, prélève 50 % des revenus de Discover.
 
Sur cette question, chez Le Parisien, on nie tout impact négatif : «  on ne considère pas les pages Facebook du Parisien comme quelque chose de "décorrélé" du Parisien. C’est l’usage des internautes qui décide, cette interrogation autour du format propriétaire est has been » aux yeux d’Anne de Kinkelin, directrice du Parisien TV.
 
En effet, Le Parisien - Aujourdhui en France a testé, puis adopté, les live et les articles instantanés de Facebook. À propos des Facebook Instant Articles, Guillaume Bournizien précise que l’investissement nécessaire pour basculer les articles du journal n’a pas été très important : deux semaines de travail. « Tester la fonctionnalité était une opportunité pour nous, pour communiquer sur nos capacités d’innovation. » L’objectif était bien d’en « tirer un bénéfice en matière de revenus publicitaires ». Cet objectif est-il atteint ? « Sur les derniers mois, c’est intéressant oui, très encourageant, mais c’est assez cyclique. Il faut donc pérenniser » précise-t-il. Quant aux performances respectives du site et des pages AMP, il ajoute : « Il y a des formats, comme l'interstitiel à l’ouverture de la page, qui étaient très bien vendus [sur le site web] mais ne peuvent pas être accueillis sur AMP. Mais ce format engendre plus de volume de trafic donc on s’y retrouve malgré tout. »
 
Nous l’avons dit, Google et Facebook aspirent une grande partie des revenus publicitaires sur le web. Au Parisien, on déclare être conscient du problème : « la question est comment nous travaillons avec les GAFA.. Les GAFA veulent que tout le web soit chez eux, mais nous restons vigilants pour que nos lecteurs ne nous consultent pas seulement chez Facebook ou Google. Quand ces deux acteurs nous aident, on est contents mais on se méfie de leur changements parfois brutaux, comme ceux concernant les algorithmes » explique Guillaume Bournizien.
 
NiemanLab s’est posé la question aussi. Est-ce que les éditeurs gagnent de l’argent sur Facebook ? « Pas vraiment », annonce d’entrée l’article. Publié en septembre 2017, il revient sur une étude réalisée par la WAN IFRA (World Association of Newspapers and News Publishers) et menée par un chercheur de l’Université d’Oxford, Grzegorz Piechota, sur les 50 membres de cette association. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Facebook génère en moyenne 7 % des revenus issus du digital, avec une médiane à seulement 3 %. Un quart des éditeurs affirment ne recevoir aucun revenu direct de Facebook ». Selon les estimations de l’étude, « cela place Facebook derrière Google, Youtube, Spotify en termes de partage des revenus avec les éditeurs ».
 
 Les revenus partagés par les grandes plateformes ne suffisent pas à couvrir l’intégralité des coûts de la production éditoriale  
Mais, surtout, « les revenus partagés par les grandes plateformes ne suffisent pas à couvrir l’intégralité des coûts de la production éditoriale ». La conclusion du rapport ? « Pour monétiser l’engagement sur Facebook et d’autres plateformes, les titres de presse ont besoin de se développer hors de ces plateformes, plutôt que de leur confier leur futur ». Le rapport recommande également de « changer les termes de la compétition avec Facebook, en investissant dans d’autres business models que la publicité ».
 
Toutefois, en France, Libération tire maintenant plus de la moitié de ses revenus publicitaires mobiles des “Instant articles” de Facebook (55 %). Soit trois fois plus que les revenus issus de ses propres pages mobiles, même si le titre de presse a connu quelques fluctuations. Un cas à part ? « Facebook connaît ses publicités mieux que les autres ; la plateforme possède la data, donc elle peut faire un meilleur travail de ciblage », explique Xavier Grangier, directeur du pôle digital de Libération.
 
De plus, Facebook a fait des efforts pour permettre aux éditeurs de mieux monétiser leurs articles instantanés. En juin, il leur a proposé de nouveaux formats publicitaires, dont les premiers tests - selon ses affirmations, du moins - semblent concluants. Depuis début 2017, le revenu pour mille impressions aurait progressé de 50 %. Pour satisfaire les éditeurs, la plateforme a également introduit la possibilité d’insérer des « call to action » dans ses articles instantanés : les éditeurs peuvent maintenant y inviter leurs lecteurs à s’abonner à leur lettre d’information ou à télécharger leur application mobile, par exemple. Chez Libé, cela s’est traduit par l’acquisition de 2000 nouveaux abonnés par mois, en moyenne (contre 500 via son site web). Affaire à suivre...
 
Si les résultats de Libération avec les Instant Articles semblent bons, ses performances doivent toutefois être relativisées. Xavier Grangier indique que le taux de complétion(2) des articles instantanés dépasse souvent les 94 % (98 % sur son site mobile), pour un temps moyen passé de 3,24 minutes par article (2,17 minutes sur son site mobile). Mais, depuis août, Facebook a surestimé le temps moyen passé sur les articles instantanés de 7 à 8 %. C’est apparemment corrigé depuis début novembre, mais ce nouvel incident repose la question du manque de transparence des géants du web, à la fois juges et parties de leurs performances.

Algorithmes et manque de transparence

Sur certaines plateformes, dont Facebook est emblématique, les algorithmes promeuvent des contenus de mauvaise qualité : les appeaux à clics, voire des fake news. Le rapport de la CJR pointe la responsabilité des grandes plateformes et surtout, de leur modèle économique.
 
Choisir entre qualité et visibilité, dilemme incontournable ? Non, selon Le Figaro : « les réseaux sociaux restent des lieux formidables pour écouter sa communauté, pour que les journalistes y trouvent de la matière éditoriale et un peu d’audience (...). Des articles de très bonne qualité peuvent théoriquement bien fonctionner sur un site comme Facebook. D’autant que la grande différence entre un site "de buzz" et un média de qualité, c’est que nous tenons la promesse éditoriale de nos titres. Les appels au clic et autres sites qui trompent l’internaute ne me semblent pas être ce qui menace le plus le reach. »
 
Autre reproche fréquemment adressé à Facebook (notamment) : son manque de transparence sur la manière dont fonctionnent ses algorithmes, ceux qui déterminent quel contenu apparaît à quel utilisateur. Ces algorithmes sont pointés du doigt régulièrement par les animateurs de pages : leur portée est en baisse continue. Facebook, qui a répondu souhaiter donner plus d’importance aux proches qu’aux marques, fait un pas de plus et teste actuellement dans quelques pays un onglet Explorer, dans lesquels sont cantonnées toutes les publications émanant de pages, faisait ainsi de la visibilité un enjeu plus aigu. Pour Le Figaro, « les plateformes ne sont pas transparentes sur la circulation mais nous restons les maîtres du contenu qui circule. C’est pour cela que c’est essentiel de ne pas se mettre dans un rapport de dépendance face à une seule source de trafic ».
 
À la suite des élections présidentielles nord-américaines de 2016, qui ont fait apparaître le problème des fake news aux yeux du grand public, Google et Facebook ont sollicité des médias pour intégrer leurs propres dispositifs de lutte contre les fausses informations.
 
Or, pour l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), la lutte contre la propagation d’informations erronées ne peut se faire dans un contexte de concurrence entre médias : c’est une mission de service public. Pour les usagers, le regroupement de titres habituellement concurrents est perçu comme un gage de neutralité, comme ça a été le cas pour Cross Check, pendant la campagne présidentielle française, qui affichait une quarantaine de partenaires, médias essentiellement (Facebook s’était également allié à ce dispositif).
 
Toutefois, l’AFP a intégré le dispositif de lutte contre les fake news mis en place par Google et Facebook. Ce dernier, notamment, a approché plusieurs médias français : « Facebook est de plus en plus concerné et volontaire sur cet objet », nous précise Grégoire Lemarchand, de l’AFP. « On a accepté parce qu’il y a un vrai besoin, un vrai travail sur la manipulation à faire. À l’AFP, on a toujours fait du fact checking sans l’appeler comme tel. On ne publie jamais sur des rumeurs. (...) Du fact-checking comme Les Décodeurs, on pense que ce n’est pas un produit qui a sa place sur le fil AFP ». Toutefois, l’AFP publie également ses articles de fact-checking sur son blog.
 
« Travailler avec Facebook est intéressant pour avoir accès à leur outil, certes imparfait (...). Bien sûr, il y a du hors-sujet, des articles satiriques, etc. (...) mais aujourd’hui le flux est beaucoup plus utile : il comporte moins de déchets. » Que sait-on du fonctionnement de l’algorithme ? « Les signalements des internautes participent de cet algorithme, mais ce n’est pas le seul critère. (...) Quand des sujets sont confirmés comme faux, Facebook les -rétrograde dans les flux des utilisateurs. »
 
À l’AFP, une personne est dédiée au dispositif à temps plein, ce qui suffit à gérer le flux. Elle peut mobiliser les services concernés par les sujets qu’elle traite. Le dispositif est encore expérimental : « l’idée est de faire un bilan dans un an et de voir comment les choses se passent ». L’agence couvre actuellement la France mais pourrait, par exemple, étendre sa zone d’intervention à d’autres endroits du monde et d’autres langues.
 
Côté résultats, l’AFP avoue manquer de recul. Toutefois, l’ODI relaie le bilan de l’opération Cross Check, et sa conclusion montre que le travail de lutte contre les fausses informations est… sans fin : « Les textes de vérification ont été soumis à un panel de lecteurs. Ceux-ci sont plutôt convaincus par les démentis d’une fausse information immédiatement après avoir lu la démonstration. Mais une semaine plus tard, ils doutent à nouveau, influencés par ceux qui n’ont pas lu le démontage de la rumeur ». En d’autres termes, lutter contre les fake news relève du travail de fourmi… gratuit !
 
La « plateformisation » qui gagne les médias et les pousse à publier leurs contenus chez des géants du web comme Google et Facebook (en plus de l'animation de leur site web et de leur app, voire à la place de tous ces outils) pose plusieurs problèmes : difficulté pour les internautes d’attribuer le bon contenu au bon média, et donc, pour les médias, à fidéliser le lectorat, générer des abonnements et aller vers un modèle économique en ligne rentable. Par ailleurs, ce déséquilibre est encore renforcé par la répartition des revenus générés par la publicité sur ces plateformes, qui reste en grande partie dans leur poche. Si certains médias arrivent à tirer leur épingle du jeu, pour beaucoup d’autres, il n’est pas évident de couvrir ne serait-ce que leurs coûts de production.
De plus, les évolutions algorithmiques de ces plateformes tendent à diminuer la visibilité des publications qui y sont hébergées, ce qui pose la question de cette même visibilité (hors publicités) à long terme. Enfin, les plateformes sont à la fois juges et parties de leurs propres performances, ce qui pose le problème de leur objectivité. Pour le meilleur ou pour le pire, la Silicon Valley change donc profondément le journalisme.
À l’heure où Facebook souhaite recentrer son flux d’actualité sur les contenus personnels, au détriment des médias et des marques, il semble difficile de se prononcer en faveur du meilleur.
 
 
L’auteur remercie Muriel Vento pour l’aide apportée à la rédaction de son article.

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Crédits :
Illustration : Ina - Yann Bastard
Médias sociaux. fotosipsak/iStock
Female usig her mobile phone outside at night. ljubaphoto/iStock
Pression une discussion. dodo4466/iStock
Déchiffrer les métadonnées. PeopleImages/iStock
 
 
(1)

De défilement. 

(2)

La part de l’audience qui lit intégralement les articles. 

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