Capture d'écran So Foot.

Les  contenus dédiés à Koh-Lanta, lancés par So Foot durant le premier confinement, sont parmi les plus lus du site.

© Crédits photo : Capture d'écran So Foot.

So Foot, L’Équipe et Midi Olympique : face à la crise sanitaire, la presse sportive se réinvente

Suspension des compétitions, fermeture des kiosques : le chaos de la première vague de la Covid-19 a poussé certains médias sportifs à innover. Une partie de ces nouveautés éditoriales a survécu au confinement du mois de mars.

Temps de lecture : 7 min

À moins de quatre ans des Jeux olympiques de Paris, les journalistes sportifs sont mis sur le banc de touche. Les médias dédiés au sport n’en finissent pas, en effet, d’éprouver les conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19. Fin octobre, le groupe L’Équipe a fait savoir à ses équipes avoir engagé un « plan d’économie et de relance », à l’issue duquel 60 emplois sont menacés. Dans le détail : Sport & Style, le supplément mensuel de L’Équipe, va cesser sa parution et le mythique hebdomadaire France Football risque d’être réduit à un mensuel gratuit distribué avec le journal.

Les journalistes de sport des rédactions généralistes sont également victimes de la crise. Au Figaro, trois de ces postes pourraient être supprimés par le prochain plan social. Et du côté du Parisien, des sources internes ont murmuré au journal Challenges(1)  que cinq journalistes sportifs feront les frais d’un plan social à venir. 

Pas sûr que la réussite récente du XV de France soit un motif d’espoir suffisant pour une profession durement touchée par une crise des médias amplifiée par le premier confinement. De mars à juin, la grande majorité des compétitions sportives ont été suspendues, entraînant pour les médias sportifs un important manque à gagner, qui vient s’ajouter aux pertes liées à la disparition de Presstalis, le principal service de distribution de la presse papier. Vendu à plus de 221 000 exemplaires quotidiens en décembre 2019, le journal L'Équipe a ainsi fait face à une chute brutale de ses ventes. Sa diffusion totale payée n’était plus que de 199 361 exemplaires quatre mois plus tard et de 162 121 au mois de juin 2020. Sur le plan éditorial, cette période difficile a poussé ces médias à imaginer de nouveaux rendez-vous. Si une bonne partie des innovations de la première vague visaient à pallier, dans l’urgence, le manque d’actualités, quelques-unes se sont inscrites dans la durée. Retour sur trois exemples marquants.      

L’Équipe mise sur ses séries 

Capture d'écran L'Equipe
L'épisode 3 de la série de l'Équipe « Les acharnés ». Capture d'écran L'Équipe.

Comment remplir les pages d’un journal sportif quotidien alors que les matchs étaient suspendus ? « En réinventant le journal, répond Jérôme Cazadieu, le directeur de la rédaction. C’est pratiquement devenu un magazine quotidien. »  Le journal a ainsi proposé des quiz quotidiens testant les lecteurs à propos de leurs connaissances sur les footballeurs devenus hommes politiques ou sur Didier Deschamps et également des exercices physiques, publiés sur le print comme sur le web. Mais, pour continuer à alimenter son journal par temps de Covid, L’Équipe a particulièrement misé sur des séries autour d’une thématique, déclinée et approfondie sur plusieurs articles. Le but : traiter en profondeur une problématique, se concentrer sur une épopée ou une figure du sport. « On a installé des séries d’articles comportant entre quatre et cinq épisodes, ce qui en fait pratiquement un par jour. Par exemple, récemment, on en a réalisé une sur les footballeurs qui sont partis très tôt, qui étaient supposés réussir et qui se sont parfois perdus. »

« La folie penalties », « Les espions du sport », « Le tennis dans le brouillard »… Les compétitions sportives ont beau avoir repris, les séries se multiplient et font maintenant partie des rendez-vous réguliers du journal. « Le constat que nous faisons, c’est que les traitements de l’information sportive changent. Nous avons tout intérêt à aller vers des formats plus larges que ceux qu’on connaît aujourd’hui. Il faut rester dans l’actualité chaude, mais on doit être capable de se consacrer à des sujets plus longs, comme les séries. »

Feuilletonner des papiers n’est toutefois pas totalement une nouveauté, puisque le quotidien le faisait déjà dans le monde d’avant. Mais pas dans ces proportions : « On en réalisait durant les vacances d’hiver et d’été. Depuis le premier confinement, on en publie dans le journal du mardi au vendredi. Cet événement a fait évoluer notre offre éditoriale. » Jérôme Cazadieu insiste sur la valeur de cette mutation. La place donnée au long court n’est pas anodine. « C’est un changement profond, quand on fait une double page sur ces séries quatre jours par semaine, on fait ce choix-là au détriment de ce qu’on pourrait faire par ailleurs. » Sans en dire davantage, il assure qu’une évolution éditoriale est en cours et qu’elle sera annoncée dans les semaines à venir. Une chose est sûre, le premier confinement a permis au journal de voir progresser son nombre d’abonnés à la version numérique, passé de 263 000 à 280 000 en l’espace de deux mois.

Le directeur de la rédaction assure avoir tiré un enseignement important suite au premier confinement : « Cela a accéléré la digitalisation des usages. Si on veut se transformer, on doit occuper un espace plus large que la seule promesse d’information. » D’autant que les longs formats de ces séries présentent un avantage : ils traitent de thématiques de fond et ont donc une durée de vie plus longue. « Même si en plusieurs mois la situation sur un sujet peut avoir évolué, tempère toutefois Jérôme Cazadieu. Des papiers qui ne périment pas, il n’y en pas tant. »

Le Midi Olympique fait une place à l’écologie

Capture d'écran Midi Olympique.
La rubrique « Midol Vert » du Midi Olympique. Capture d'écran Midi Olympique.

Qu’ils aient dévoré L’Équipe ou le Midi Olympique durant leur confinement, les mordus de rugby ont été particulièrement nourris de papiers d’analyse et de reportages fouillés. Car au « Midol » aussi, le déficit de matchs été perçu comme une opportunité de développer les articles long format : « On a profité de ce temps de lecture renforcé et de l’absence de compétition pour redonner du sens aux récits étendus, défend Emmanuel Massicard, directeur du journal. On a fait des sagas historiques et on les a gardées. On s’est aperçus que ça plaisait non seulement au cœur de cible, mais que ça correspondait aussi à l’appétence du lecteur numérique. » Des lecteurs de plus en plus nombreux puisque le nombre d'abonnés à la version numérique a augmenté de 37 % en 2020.

Lors du premier confinement du mois de mars, le bi-hebdomadaire rugby du groupe La Dépêche a lancé une nouvelle rubrique d’une page, chaque vendredi, dédiée aux initiatives écologiques au sein de l’ovalie. « On a beaucoup misé sur la solidarité et l’engagement des joueurs de rugby. Et un engagement que l’on retrouve régulièrement, c’est la protection de la planète. On a donc créé une rubrique qui s’appelle "Midol Vert" et qu’on a fait perdurer. » Cette nouveauté répond à une prise de conscience globale sur cette question particulièrement importante dans un sport très répandu en zone rurale. « Le rubgy n’échappe pas à la montée de cette thématique. Il y a un ancrage très fort à la terre ! » À la suite de leur carrière sportive, il n’est pas rare que les ex-rugbymans se reconvertissent dans l’agriculture ou dans la restauration. Et parfois, ils optent alors pour un modèle écologique, comme Gérard Majoral, ancien troisième ligne de Perpignan, qui cultive aujourd’hui des pêches bio dans les Pyrénées-Orientales.

Le déconfinement de mai n’a pas mis fin à cette innovation, déclinée dans le journal et sur le site. Au contraire. Avec le retour à la « vie normale » au cours de l’été, d’autres sujets sont venus enrichir la rubrique. « Durant le confinement, on était davantage sur les engagements individuels. Mais maintenant que les clubs ont repris le cours de leur vie, on raconte également leurs initiatives pour protéger la planète, moins consommer d’électricité, mieux gérer leurs déchets… » Et la rubrique est naturellement venue se glisser dans l’édition du vendredi, dont la couleur du titre était déjà, historiquement, le vert.

So Foot se rabat sur Koh-Lanta

Capture d'écran So Foot Koh-Lanta.
Un des articles sur Koh-Lanta de So Foot. Capture d'écran So Foot.com

« Avec l’arrêt de la Ligue 1, il n’y avait plus le match Dijon – Reims tout pourri du vendredi soir, qu'on aimait bien malgré tout. Donc on s’est rabattu sur les soirées Koh-Lanta », rigole Pierre Maturana, directeur de la rédaction de Sofoot.com. Faute de pouvoir commenter et décortiquer des matchs du championnat français, la version web de So Foot a assuré les lives d’une compétition tout aussi disputée. S’il s’agit davantage de courir après un totem d’immunité qu’après un ballon rond, les papiers d’analyse et les notations autour du programme de téléréalité présenté par l’indéboulonnable Denis Brogniart se sont multipliés. Un choix surprenant, mais payant, qui s’inscrit dans la tradition du ton décalé du journal. « Dès les premiers articles où l’on s’est mis à noter les participants de l’émission, ça a été une folie ! Tout de suite, il y a eu des retours enthousiastes. Alors on a continué tout le long du confinement et on s’est mis à écrire des contenus en parallèle », s’emballe Pierre Maturana. 

So Foot n’en était pas à son coup d’essai. À l’occasion de la dernière saison de Game of Thrones, la rédaction s’était amusée à appliquer sa lecture sportive à chaque épisode. Mais cette fois, l’ampleur de l’engouement autour de l’émission phare de TF1 incite à inscrire l’initiative dans la durée. « Ça cartonne ! On fait plus d’audience sur Koh-Lanta que pour la finale de la dernière ligue des champions entre le PSG et le Bayern! »

Au lancement de la 21ème saison le 28 août dernier, Pierre Maturana n’a donc pas beaucoup hésité : « J’ai vu que deux, trois personnes étaient sceptiques au sein de la rédaction. Pour moi, c’était une évidence de continuer. Et il y a toujours autant de personnes qui suivent ça. La semaine dernière [semaine de la finale, NDLR], on a dû être à 100 000 vues sur le live et 250 000 sur les notes. Je crois que c’est devenu l’un des contenus les plus lus du groupe So Press. » Mieux : la reine des émissions de téléréalité aura attiré un public conséquent… et nouveau. « Ces articles nous ont permis de féminiser l’audience, on est passés de 10 % à 20 % de lectrices. Ça a amené d’autres personnes qui ont pu voir ce qu’on faisait : des gros entretiens, des enquêtes et aussi des contenus sur Koh-Lanta. »

Le directeur de la rédaction de So Foot entend creuser ce filon et compte profiter du succès de ce nouveau rendez-vous pour lancer un article hebdomadaire qui viendrait accompagner chaque épisode. Mais le raz-de-marée Koh-Lanta pourrait provoquer un autre changement beaucoup plus important : « Il y a tellement de sujets que l’on pourrait traiter à notre façon. On réfléchit à un site autour de la culture pop avec notre ton, car il y a un créneau à prendre. On se demande si c’est faisable et si le modèle économique suivrait, mais on l’envie de le faire. » De la disparition des Dijon – Reims à la création d’un nouveau média, il n’y a donc qu’un pas.

    (1)

    Marc Baudriller, « Les rédactions sport sacrifiées dans les quotidiens », 22 octobre 2020.

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