Somaliland : les médias du pays qui n’existe pas

Somaliland : les médias du pays qui n’existe pas

L’État autoproclamé du Somaliland est l’unique pays à ne pas être reconnu, ni par l’ONU, ni par aucun autre État. Dans une région aux équilibres politiques instables, les habitants ont pourtant accès à des médias plus ou moins indépendants.

Temps de lecture : 8 min

Région du Nord de la Somalie, la République autoproclamée du Somaliland est située dans la Corne de l'Afrique. Colonie britannique jusqu’en 1960, elle s’unit avec la Somalie italienne pour former la République de Somalie, gérée par des administrations civiles jusqu’en 1969, quand le Général Siad Barré prit le pouvoir en instituant un régime militaire dictatorial. La Constitution fut dès lors abolie et les libertés fondamentales bafouées. Les violations des droits de l’homme firent partie du système de gouvernance jusqu’à la chute du régime en 1991.

À la suite de l'effondrement du gouvernement central, le Mouvement National Somalien (SNM) déclara unilatéralement la création de la République du Somaliland, le 18 mai 1991 à l’occasion de la prise d’Hargeisa sa capitale administrative. Auto-proclamé « indépendant » et État « souverain », sa séparation de la Somalie n'a pas obtenu la reconnaissance internationale espérée. Soumise aux pressions claniques, la création du Somaliland ne s’est pas faite sans violences. Une guerre civile éclata entre les différents groupes de clans en Somalie en raison de l'absence de consensus sur la formule de partage du pouvoir, et les modalités de gouvernance à mettre en place afin de réinstaurer un gouvernement central.
 

Actuellement, le Somaliland dispose d’un régime présidentiel doté d’un parlement bicaméral, et d’un organe judiciaire. Une constitution démocratique a été approuvée par une écrasante majorité de la population lors d'un référendum national et promulguée en 2001. Elle cherche à minimiser l’emprise clanique et à consolider la prise de décision sur la base d'un consensus en limitant le nombre de partis politiques en trois

Les médias, sources de démocratisation et facteurs de paix

Bien que l'expérience et la connaissance des médias et de leur industrie ait été limitée, voire inexistante au sein de la population, lorsque la République du Somaliland a lancé son processus d'État et de consolidation de la paix en 1991, tous les types de médias, quels qu’en soient leur support et leur mode de diffusion, devinrent un catalyseur afin de jouer un rôle majeur dans la construction des institutions étatiques et du système de gouvernance.
 Les médias ont bénéficié d'une plus grande liberté depuis l'indépendance 
La liberté d'expression et la presse en général sont devenues ainsi l'une des pierres angulaires du processus de consolidation de la paix et de l'État du Somaliland contemporain. Inscrites dans l'article 32 de la Constitution et de la loi sur la presse en 2004, ces libertés ont eu pour effet d’encourager l'explosion des médias privés de la presse écrite aux stations de radiodiffusion, à l’exception des services de radio que l'État du Somaliland a refusé de privatiser. Pour autant, bien qu'il y eut débats et parfois des conflits au cours des administrations successives du Somaliland, dans l'ensemble, les médias ont bénéficié d'une plus grande liberté depuis l'indépendance de 1960. Il convient de souligner que, dès le début du régime militaire de Siad Barré, l'une des raisons de la rébellion trouvait ses racines dans l'absence des libertés d'expression et de la presse.
 
Depuis leur création, les médias du Somaliland ont connu une croissance soutenue dans leurs différentes composantes : presse écrite, Internet et médias audiovisuels. Cette croissance est principalement attribuable à l'émergence des Technologies de l'information et de la communication (TIC) au cours des années 2000.

Un cadre juridique nécessaire au processus de développement des médias

Afin de protéger le libre fonctionnement des médias, le gouvernement a constitutionnellement exprimé son engagement à les protéger contre toute forme d’intervention politique tant interne qu’externe, et ce, afin de leur permettre de fonctionner librement et de fournir au public un large éventail d'opinions. L'autre cadre juridique ayant joué un rôle déterminant dans la prolifération des médias électroniques et papier relève de la loi de 2004 sur les médias. Bien que critiquée par les journalistes qui ont exprimé leurs inquiétudes quant à son interprétation et son application, son rôle dans l'ouverture de l'espace aux médias est d’importance et sans comparaison avec les pratiques du reste de la Somalie.
 
La Constitution du Somaliland a introduit des dispositions légales en matière de protection de la presse, de son fonctionnement libre et indépendant, sans restrictions gouvernementales. L'article 32 sous les alinéas 1 et 3 stipule que «Tout citoyen a la liberté, conformément à la loi, d'exprimer son opinion oralement, visuellement, artistiquement, par l'écriture ou dans tout autre façon » et que « La presse et les autres médias font partie des libertés fondamentales d'expression et sont indépendants. Les subjuguer est interdit et une loi détermine leur régulation ». Cet article constitue le fondement de la liberté d'expression et des médias au Somaliland. La Constitution garantit la liberté des médias et interdit sa suppression. Par ailleurs, l'article 21 stipule que « les articles qui se rapportent aux droits et libertés fondamentales doivent être interprétées d'une manière compatible avec les conventions internationales des droits de l'homme et aussi avec les lois internationales visées dans la présente constitution ». Il est également stipulé à travers l’article 10, que le Somaliland doit respecter la Déclaration universelle des droits de l'homme.
 Les libertés restent encadrées pour les journalistes qui sont soumis au Code pénal somalien 
En 2004, le Somaliland a adopté une loi au Parlement appelé « Xeerka Saxaafadda » (Press Law) couvrant à la fois la presse et d'autres formes de médias(1) . La loi sur la presse renforce les garanties et la protection énoncées dans la Constitution. Il donne des libertés aux médias et stipule dans l'article 10 que le Code civil est applicable aux médias et aux journalistes. Ces libertés restent encadrées pour les journalistes qui sont soumis au Code pénal somalien approuvé en 1965, que le Somaliland applique. Il stipule que les journalistes peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à la diffamation, aux fausses accusations et enfin pour des publications ou circulation des fausses nouvelles, exagérées ou tendancieuses susceptibles de perturber l'ordre public.
 
Cependant, le Code pénal est antérieur à la Constitution et à la loi sur la presse. L’article 130 de la Constitution prévoit que toutes les lois qui ont été appliquées au moment de l'approbation de la Constitution qui ne sont pas incompatibles avec la charia islamique et les libertés individuelles restent en vigueur au Somaliland jusqu'à ce que de nouvelles lois soient promulguées. Les dispositions du Code pénal sanctionnant les médias sont en conflit avec la Constitution et la loi sur la presse. Cette part d’ombre constitue une entrave au processus démocratique de la liberté de la presse au Somaliland. Les exemples de journalistes mis en détention ne manquent pas ces dernières années. Alors que les parties lésées peuvent demander réparation devant les tribunaux civils, les litiges sont parfois réglés par un système d'arbitrage à base clanique. Les autorités semblent-elles ignorer la loi ?

La faible qualification des journalistes : un frein à l’activité

Dans un « pays » ou plus de 50 % du budget est attribué à la défense, l’éducation pâtit du manque de financement. Le taux d'alphabétisation est plus élevé pour les jeunes de 15-24 ans que pour le reste de la population : 74 % pour les hommes et de 55 % pour les femmes. Il a en revanche tendance à diminuer à mesure que l'âge augmente, au-delà de 24 ans(2) . Par ailleurs, le Somaliland Media Sustainability Index 2012 suggère que devenir journaliste est l'une des « choses les plus faciles » qu’il est possible de faire au Somaliland. Il suffit de se prémunir d’ « un appareil photo pas cher » et s’auto-appeler journaliste. Le journalisme professionnel peut désormais sembler peu attrayant dans le contexte somalien. Ceux qui avaient des bases ou une formation sont découragés de tenter une formation complémentaire pour se perfectionner du fait d’un manque de reconnaissance, au regard de la situation qui encourage l’auto-formation par la simple prise d’un appareil photo. Nombreux sont également ceux, qui, malgré un diplôme obtenu dans un autre pays, abandonnent le secteur des médias pour d’autres secteurs plus rémunérateurs et à la reconnaissance certaine.
 
Il est donc compréhensible que le journalisme en tant que profession n'ait pas pleinement pris son envol dans la région. La pénurie de personnel enseignant qualifié dans le domaine des études de communication de masse à l’Université Hargeisa constitue un obstacle à son développement. Le rare personnel enseignant disponible est soit autodidacte, soit dédié à d’autres matières telles que les TIC. L’université fait face à un autre enjeu consistant à attirer des enseignants qualifiés qu’ils doivent rémunérer. Le manque de financement ne favorise pas la venue d’expatriés ou le retour de membres de la diaspora qui est présente en Amérique du Nord et en Europe.

Le rôle actif de la diaspora à travers les médias

Dès la chute du régime en 1991, les médias privés ont joué un rôle majeur en créant de l'espace pour la diaspora, lui permettant de contribuer activement au développement politique, social et économique du Somaliland. Inversement, celle-ci jouera un rôle pionnier et déterminant dans le développement des médias en contribuant, entre autres, à créer le paysage médiatique diversifié actuel qui comprend l’utilisation des TIC pour des activités internet et de nombreuses stations de télévision et de radios en ligne, principalement en langue somalienne. La conséquence directe pour la population du Somaliland est aujourd’hui un accès facile à la technologie de communication. Ce qui lui permet un accès à la presse libre du monde occidental et l'accès aux sources internationales. La technologie permet en retour à la diaspora de contourner la censure et de maintenir une capacité d’influence à distance tant sur les acteurs politiques que sur la population.

 La technologie permet la diaspora de contourner la censure et de maintenir une capacité d’influence tant sur les acteurs politiques que sur la population 
Les médias, qu’ils soient locaux ou internationaux, jouent un rôle vital dans le lien qui unit la diaspora et le Somaliland. De facto, les médias ne se limitent pas à rapporter des faits et des informations, mais leur action va bien au-delà : elle comprend également l'engagement et le développement communautaire ainsi que l'éducation civique. Cet engagement favorise le débat politique et encourage la diversité des points de vue sur les questions sociales, politiques et économiques.
 
En définitive, les médias de diffusion en ligne jouent un rôle essentiel en reliant la diaspora à leur patrie. Leur influence dans les différents débats reste intacte.

La diversité médiatique au Somaliland sous l’égide d’un code de conduite

L’environnement médiatique au Somaliland est en expansion ces dernières années. On estime que 83 % des médias sont privés. Ces dernières années, les médias papiers et électroniques ont considérablement évolué. Toutefois, le nombre de titres de la presse papier fluctue. Seule une dizaine de médias publie de manière régulière. Les articles publiés sont souvent critiques à l'égard du gouvernement, mais leur portée reste limitée en raison du coût relativement élevé des impressions et du niveau d'alphabétisation tant des journalistes que de la population.
 
La radio reste le média le plus accessible et le plus utilisé pour émettre les informations. La création de stations de radio indépendantes est interdite, le gouvernement ayant été réticent à libéraliser le secteur, alléguant le danger qu’elles pourraient provoquer dans une région à forte dominante clanique. Cette réticence du gouvernement peut s’expliquer par une volonté de maîtrise de l’information sur l’ensemble du territoire, la population s’informant principalement par la radio, alors que le taux d’illettrisme est élevé.
 
Le gouvernement maintient depuis quelques années qu'il délivrera des licences dès que la législation le permettra. Radio Hargeisa  est la station FM principale qui émet sur l’ensemble du territoire, bien que la BBC soit disponible. Il y a eu une croissance faible mais notable des stations de radio sur Internet fonctionnant à la fois au sein du Somaliland et parmi la diaspora.
 
La télévision reste un des médias les plus influents au Somaliland. Il existe une station de télévision publique appartenant au gouvernement, la Somaliland National Television (SLNTV). D’autres télévisions coexistent. Elles sont au nombre de quatre  : Space Channel, Bulsho, Horn Cable et la télévision Rayo basée à Borama. Cependant, un certain nombre de stations satellites en langue somalienne, telles que Horn Cable TV et Universal TV, sont diffusées à partir du Moyen-Orient et de Londres. Elles sont à la fois accessibles et influentes.
 
Les TIC représentent une part non négligeable des communications. La pénétration d'Internet et surtout l'usage du téléphone mobile sont en hausse ces dernières années. Sur l’ensemble du territoire de la Somalie, on estime que seulement 1,6 % de la population avait accès à Internet en 2014, mais on ne comptait pas moins de 51 abonnements mobiles pour 100 habitants, ce qui augmente les perspectives de croissance future des services Internet Mobile. Les applications mobiles servent pour beaucoup à payer les achats au Somaliland.
 
Les principaux médias sont majoritairement installés à Hargeisa dans ce qu’on appelle communément les maisons des médias. Elles ont appliqué et respecté le Code de conduite médiatique signé par la NEC (National Election Commission) en avril 2010 et octobre 2012 pour les élections présidentielles et locales. Il énonce non seulement les principes généraux, les codes et l’éthique applicables, mais aussi les droits et les responsabilités des médias lors de l'inscription des électeurs et des processus électoraux. La violence électorale régionale et limitrophe (notamment au Kenya) a enjoint le gouvernement à prendre des mesures de prévention à travers ce code de conduite des médias. Cette violence peut survenir à chacune des trois phases électorales ou au cours de l’une d’entre elles : la phase pré-électorale, les jours proches de l'élection ou ceux suivants la tenue de l'élection. Sa manifestation est le plus souvent circonscrite autour des phases pré et post-électorales, compte tenu que le jour du scrutin se déroule généralement paisiblement. Le résultat des élections, comme bien souvent en Afrique, cristallise des tensions que les médias contribuent désormais à canaliser.
 
Malgré des freins persistants à la circulation des informations, le paysage médiatique du Somaliland n’en est pas moins varié, et la population du pays a accès à des sources d’information diversifiées.

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Crédits :
Illustration Alice Meteignier - Ina.
    (1)

    L’article 1 définit Saxaafad (la presse) de la façon suivante : « Presse : signifie la création d'une œuvre qui affecte les pensées et les opinions du grand public, tels que: journaux, revues, périodiques, agences de presse, radios, télévisions, films et vidéos, des images, des dessins animés, des livres, de la musique, et tout autre moyen de communication de masse ».

    (2)

    Labour force survey Somaliland 2012 – Report on Borama, Hargeisa & Burao.  

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