La voix augmentée
Les applications « temps réel » développées à l’Ircam ne s’arrêtent pas à l’analyse ou au suivi de la voix, mais permettent bel et bien de transformer, de démultiplier ou de déshumaniser l’identité vocale. Grâce au microphone, on capte la voix au plus près, puis on l‘analyse, on la traite et on la rediffuse avant même que le son acoustique de la voix ne se soit propagé jusqu’aux oreilles du spectateur. Grâce à la rapidité des ordinateurs qui offrent un délai de traitement inférieur à notre seuil de perception de la discontinuité sonore (de l’ordre de 20 millisecondes), on peut alors produire des sonorités qui complètent, augmentent ou masquent même la voix directe du comédien.
Avec plus ou moins de réalisme, on peut altérer plusieurs caractéristiques de l’identité du locuteur : son genre, son âge, son état de santé ou sa taille. Dans
Un mage en été
, mise en scène par Ludovic Lagarde, la voix du comédien, Laurent Poitreneaux, est constamment modulée par la machine, permettant à celui-ci de se draper de différents personnages dont nous n’avons pas ou peu de traces sonores, Proust, Adorno, Nietzsche, la voix de la mère de l’auteur, Olivier Cadiot
. La création d’une identité vocale imaginaire devient une succession d’inventions, de réglages et d’ajustements, réalisée par le trio comédien – machine — metteur en son. On ne percevra la voix d’une femme que si un comédien homme, dont la voix est féminisée, joue lui-même un personnage féminin, ou encore, si la trame narrative suscite un tel travestissement. À l’instar du maquillage, la technologie permettra, dans ce cas, d’aider le comédien à se travestir en produisant un léger différentiel dans la perception de sa voix. Cela demande donc au comédien et au créateur sonore un certain type d’écoute, voire une nouvelle proximité.
Lorsque l’on possède suffisamment d’enregistrements, on peut recréer des voix à partir de l’archive, Cocteau, Marylin Monroe, Louis de Funès... On dit qu’il y a conversion de voix lorsqu’un comédien sur scène s’exprime spécifiquement avec la voix de quelqu’un d’autre, comme dans
Le sec et l’humide de Guy Cassiers.
Cette nouvelle relation étrangement intime entre la machine et le comédien, propose à celui-ci une réexploration de son instrument vocal.
D’autres dimensions vocales plus délicates se situent au plus profond de notre intimité : nos émotions. Par des modifications de la prosodie, on peut modifier l’émotion ou l’intention perçue dans la voix et jouer sur les codes de l’expressivité, comme dans
Babil-on V2 de Greg Beller.
Cette nouvelle relation étrangement intime entre la machine et le comédien, propose à celui-ci une réexploration de son instrument vocal, de nouvelles contraintes de jeu, et la jouissance de l’augmentation. En pratique, une « bonne voix augmentée » n’est possible que si le comédien, le metteur en son et le metteur en scène travaillent en équipe afin d’inscrire la voix résultante dans une dramaturgie sonore qui fait sens.