« Nombre des enseignements de Jésus font bien moins de 140 caractères »

« Nombre des enseignements de Jésus font bien moins de 140 caractères »

Quelle est la stratégie numérique de l’Église catholique ? Entretien avec Monseigneur Paul Tighe, secrétaire adjoint au conseil pontifical de la Culture.

Temps de lecture : 5 min

Monseigneur Paul Tighe est secrétaire adjoint du conseil pontifical de la Culture. Nous l’avons rencontré à l’occasion du Web Summit 2016, où il avait été invité à s’exprimer sur « L’Église catholique dans un monde numérique ».

Le Vatican a fait partie des précurseurs dans l’adoption de la radio (création de Radio Vatican en février 1931), de l’internet (lancement du site web en décembre 1995) ou, aujourd’hui, de la télévision en ultra HD. Pourquoi les médias sont-ils un sujet si important pour le Vatican ?
Mgr Paul Tighe : L’existence même de l’Église catholique, selon nous, repose sur notre appel vers Jésus, sur notre vocation de communiquer cet appel au monde. L’Église s’est donc toujours intéressée aux moyens de communiquer vers l’extérieur. En effet, si nous n’adressons notre message qu’à nous-mêmes, nous ignorons notre mission, qui est de le porter « jusqu’aux extrémités de la Terre » — c’est-à-dire dans tous les environnements. De ce fait, nous avons toujours suivi de près l’apparition des nouvelles technologies. L’imprimerie, tout d’abord, puis la radio, puis la télévision, puis encore Internet. Notre réflexion sur ces sujets nous permet de communiquer avec le monde.
Dans cette logique, avec les médias numériques, nous avons pris conscience que, certes, nous devons utiliser ces nouvelles plateformes, mais que nous devons aussi comprendre qu’elles changent notre façon de communiquer. Une large part de notre apprentissage a consisté à comprendre ces changements. Il est très facile de publier des choses, mais si vous voulez réunir une audience, atteindre ou impliquer les gens, il est nécessaire de développer un style centré autour du dialogue.
C’est pour cette raison qu’il y a une nouvelle équipe au Vatican, dont le rôle est de réorganiser tous nos médias, de les réunir dans une structure unique afin de pouvoir produire des contenus multimédias de A à Z.
 Désormais, c’est la conversation qui compte 

Ils ont aussi pour rôle de développer notre présence sur les réseaux sociaux afin que nous puissions réagir, répondre aux questions et participer aux débats. C’est un des chantiers que nous développons ici. Je pense donc qu’un des efforts d’apprentissage les plus importants a été de prendre conscience du fait que de nombreuses églises étaient habituées au microphone, qui ne fonctionne qu’à sens unique. Désormais, c’est la conversation qui compte. Nous nous efforçons donc de développer cela au sein d’une structure différente.

Comment avez-vous convaincu le Pape d’ouvrir un compte Twitter ?

Nous étions tout un groupe à vouloir que le Pape ouvre un compte Twitter et ce pour deux raisons. Premièrement, c’est un moyen de communication simple et efficace. Deuxièmement, c’était un moyen de donner aux catholiques du monde entier un bon exemple de l’importance des réseaux sociaux. Le groupe qui est allé parler de cela au pape Benoît a présenté un fichier illustrant et expliquant ce qu’était Twitter, comment les communications fonctionnaient. Il a juste répondu : « Vous me dites que ça me permettra d’envoyer de courts messages d’encouragement aux gens qui autrement ne les verraient jamais ? -Oui. -Très bien, dans ce cas, je n’ai pas besoin d’autres explications. » Quelqu’un lui a demandé : « Mais comment transmettre du sens en 140 caractères ? » Et sa réponse a été : « Nombre des enseignements de Jésus, comme "Aimez-vous les uns les autres", font bien moins de 140 caractères. »

 Nous voulions nous assurer que la présence du Pape sur les réseaux sociaux soit authentique 

Le pape François est sur Twitter et Instagram, mais pas sur Facebook. Pourquoi ?

Il n’est pas sur Facebook et je pense que ça a fait l’objet d’une réflexion. Il n’est pas encore sur Facebook parce que nous voulions nous assurer que la présence du Pape sur les réseaux sociaux soit authentique. C’est assez facile sur Twitter, car on peut faire en sorte qu’il voie chaque tweet. Facebook est par nature une plateforme plus dynamique et nous n’avions pas les ressources en personnel pour gérer correctement un compte. Un autre problème était que, sur Twitter, vous devez accepter toutes les réponses. Sur Facebook, en théorie, il est possible de les filtrer. Nous ne disposions pas des ressources pour le faire de manière pertinente. Donc cela n’a rien à voir avec des critiques à l’encontre de Facebook, c’est avant tout une affaire de ressources.

Le Vatican a-t-il une stratégie digitale mondiale ? Comment travaille-t-il avec les Églises nationales ?

Un point important est que l’Église, ce n’est pas seulement le Vatican. Donc, une des choses dont nous disposons est cet extraordinaire réseau mondial de stations de radio, de chaînes de télévision, d’organes de presse papier et de sites web. Un des objectifs de la transformation des médias du Vatican, c’est de fournir une matière qui pourra ensuite être utilisée par divers sites catholiques, par diverses apps catholiques, par divers groupes ecclésiastiques à travers le monde. Généralement, vu de l’extérieur, les gens imaginent une hiérarchie dont Rome serait le centre. Pour nous, la présence de Rome est loin d’être écrasante. Dans les faits, c’est ce qui se passe au sein des communautés locales qui compte vraiment. Ceci étant dit, utiliser les éléments fournis par le Vatican entretient le sentiment d’appartenance à une entité locale qui constitue en même temps une réalité mondiale. L’espace Internet est « glocal » et je pense que nous y avons toujours existé.
Qu’est-ce qu’Internet et les réseaux sociaux ont changé dans la façon dont les catholiques communiquent entre eux et avec les autres ?
Je pense qu’à l’échelle mondiale, les réseaux sociaux ont deux fonctions. Une des fonctions les plus importantes est le partage de l’information. La deuxième fonction, qui est toujours une caractéristique d’une bonne communication, est de créer des relations. Donc ce qui est très intéressant avec les réseaux sociaux, c’est qu’ils peuvent parfois entretenir le sentiment d’appartenance des gens. Une des choses qui nous a intriguée, lors de notre arrivée sur Twitter, c’est que nous avons observé un pic anormal dans les États du Golfe : les travailleurs philippins employés dans les États du Golfe, qui peuvent difficilement pratiquer leur religion, pouvaient y voir un point de rattachement, ils y trouvaient un sentiment d’appartenance. Et des groupes, dont un groupe français, ont développé une sorte d’appli qui permet aux gens de prier en ligne, mais aussi de voir où prient les autres gens. Ce n’est pas la même chose qu’une communauté physique, mais c’est une communauté qui est peut-être la meilleure possible pour les gens.
Il y a eu de nombreux débats ici, au Web Summit, sur l’évolution de l’information à l’ère numérique  la question de la « bulle filtrante » et de la « politique post-vérité », pour reprendre l’expression de Katharine Viner (rédactrice en chef de la rubrique actualités médias du Guardian). Mais il existe également de grandes questions sociales, comme les changements du travail et de la perception du travail, la dépendance aux smartphones et aux réseaux sociaux… Que pense l’Église catholique de toutes ces tendances ?
Cela fait partie de mon nouveau travail en tant que secrétaire adjoint au conseil pontifical de la culture. La technologie numérique a le potentiel de créer ce sentiment d’unité et d’appartenance entre les gens. Le problème, nous le savons, c’est qu’en réalité se créent parfois des caisses de résonnance où on ne s’adresse qu’à nos semblables, ce qui ne fait que générer de l’hostilité de la part de ceux que nous voyons comme différents.
C’est la raison pour laquelle même le nom du compte Twitter du Pape, Pontifex — soit le bâtisseur de ponts- évoque la rupture de ce genre de barrières. Au départ, nous nous efforcions de convaincre les seniors de l’importance d’une présence numérique. Désormais, nous avons de plus en plus de jeunes qui nous disent : « S’il vous plaît, aidez-nous à reprendre le contrôle, parce que ça envahit notre vie, on s’attend à ce que je sois en ligne 24h/24. » Nous nous demandons donc si nous ne pourrions pas, même sans se déconnecter, créer des espaces en ligne où le silence est une possibilité, où il existe une réflexion guidée, où il y a de l’inspiration. C’est un modèle intéressant. Je pense donc que c’est comme toutes les cultures : toutes les cultures ont leurs aspects positifs, toutes les cultures ont leurs défauts. Et l’Église s’efforce de prendre part à la conversation, avec les autres, afin d’explorer le potentiel de différents environnements.
Travaillez-vous pour cela avec des chercheurs, des intellectuels ?
Nous avons la chance de disposer au sein de l’Église catholique d’un autre réseau formidable, celui des universités catholiques à travers le monde. Nombre d’entre elles ont des écoles de communication. Nous essayons d’utiliser cette force.
 
Traduit de l’anglais par Patrice Piquionne
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Crédit photo : Ina

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