Capture d'écran de l'émission de France 2 "N'oubliez pas les paroles", présentée par Nagui.

Le plateau de N’oubliez pas les paroles, télécrochet présent par Nagui sur France, compte désormais 30 personnes de chair et d’os dans le public, contre 200 habituellement.

© Crédits photo : France 2 / Capture d'écran.

Les émissions télé en mal de public

Depuis plusieurs semaines, les émissions télé privées de leur public à cause de l’épidémie de Covid-19 s’adaptent pour continuer de tourner, tentant de préserver leur ambiance habituelle. L’occasion de s’interroger sur le rôle des spectateurs dans ces télécrochets.

Temps de lecture : 9 min

Des poupées gonflables à taille humaine, des invités assis en quinconce protégés par des masques imprimés d’un large sourire, et un public en visioconférence présent via des écrans hissés sur des mannequins. Tel apparaît le plateau de N’oubliez pas les paroles, le 11 mai, à la fin du générique. « Nous avons respecté toutes les consignes de prudence et d’hygiène », assure Nagui. Tout en interagissant avec les personnes physiquement et virtuellement présentes, l’animateur du télécrochet de France 2 dévoile ce jour-là un dispositif exceptionnel pour faire face à l’absence de public liée au Covid-19.

 

Après deux mois d’arrêt et alors que, depuis le 11 mai, la France se déconfine progressivement, chaînes et boîtes de production tentent un retour à la normale, ou presque.

Trouver du public coûte que coûte

Durant le confinement, grâce à des tournages déjà réalisés et « mis en boîte », plusieurs émissions ont pu « tenir » avec public, à l’image de Slam, présentée par Cyril Féraud sur France 2, ou Questions pour un champion, animée par Samuel Etienne sur France 3. Les autres se sont adaptées : rediffusions (N’oubliez pas les paroles), reconstitutions de plateaux en visioconférence (Clique ou Touche pas à mon poste) ou interruptions des programmes (Ça commence aujourd’hui).

Dès la mi-mai, les studios ont rouvert, et les tournages ont repris avec une solution de secours. Le plateau de N’oubliez pas les paroles (NOPLP) compte depuis lors 30 personnes de chair et d’os dans le public, contre 200 habituellement. « Nous ne pouvions pas rester avec des gradins vides. Le public fait partie de notre décor et il est crucial pour l’ambiance et les interactions. L’exigence était de respecter les gestes barrières tout en ne trahissant pas l’essence du spectacle », confie Nagui. Comme N’oubliez pas les paroles, d’autres émissions ont usé d’un subterfuge pour remplir leur gradin. C’est notamment le cas de Slam (ballons de baudruche parés de visages) ou de Tout le monde veut prendre sa place (faux personnages autocollants sur les tribunes disposés en quinconce avec de vraies personnes), également présentée par Nagui sur France 2.

Sur Tout le monde veut prendre sa place, les personnes sur les bancs sont des professionnels rémunérés, expose Emilie Sellem, directrice associée de La nouvelle image, société prestataire chargée notamment de remplir les bancs de Slam, Je t’aime, etc. (présentée par Daphné Bürki sur France 2) ou Les Z’amours (Bruno Guillon sur France 2). « Cela nous a permis de délivrer [à ces personnes] des attestations de déplacements professionnels », précise-t-elle. Distanciation oblige, le nombre de personnes présentes sur le plateau a drastiquement été réduit : environ 20 personnes au lieu de 120. Aux Z’amours, une dizaine d’individus siègent désormais dans la salle, contre une trentaine habituellement. « Ici, le public n’est pas « à vue » : il n’apparaît pas derrière les candidats et est filmé de dos, c’est moins problématique de ne pas le montrer », explique Emilie Sellem.

Les trois fonctions du public

Si toutes les émissions s’évertuent à trouver une solution de secours, c’est parce que cette assistance remplit des fonctions bien précises… et précieuses. « Depuis les débuts de la télévision en 1950, le public a trois rôles : permettre aux téléspectateurs de s’identifier, rythmer l’ambiance avec leurs réactions et être partie prenante lors des interpellations de l’animateur », détaille Laurence Leveneur, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Toulouse Capitole.

D’après une étude de Médiamétrie publiée fin avril, la télévision a été regardée en moyenne une heure vingt de plus par jour pendant le confinement, par rapport à l’année précédente. Face à Amazon Prime, Netflix et autres services de vidéo, la télévision « permet d’entretenir une relation avec l’extérieur », particularité que « la crise a mis en exergue », commente la chercheuse. « Nous avions et avons besoin de voir des gens qui nous ressemblent et nous regardent les yeux dans les yeux. »

Faire appel à des figurants ou à un public distant au moyen de la vidéo permet de conserver partiellement ce rôle tenu par le public. Sur TF1, Jean-Luc Reichmann a adopté la visioconférence pour garder une présence humaine sur Les 12 coups de midi. Derrière chacun des candidats, leurs proches apparaissent sur un écran. Sollicités par l’animateur, ils sont amenés à réagir.

Derrière chaque candidat des 12 coups de midi, leurs proches apparaissent sur un écran pour les soutenir. Capture d’écran.

« Les gens soutiennent leurs proches et cela redonne une forme de convivialité, d’autant qu’ils sont filmés depuis chez eux, dans leur intimité, ce qui renforce le sentiment d’identification. », explique Laurence Leveneur. L’essentiel est que les personnes devant leur écran puissent se dire : « Ça pourrait être moi. » On retrouve cette idée dans l’émission Tous en cuisine lancée durant le confinement sur M6 par Cyril Lignac. Depuis leur domicile, célébrités et anonymes suivent les recettes du chef. Une formule qui fonctionne, « car tout le monde peut se reconnaître et se sentir appartenir à une communauté de public », dissèque Laurence Leveneur.

Réduire le public n’est toutefois pas sans conséquences. « Devant notre écran, on a une drôle de sensation, comme s’il manquait un élément », analyse Émilie Sellem, de La nouvelle image. Applaudissements, rires, suspens et parfois pleurs : « S’il fallait une preuve que le public est indispensable : nous l’avons eue. » Et Nagui d’abonder en ce sens : « C’est très frustrant, car c’est un partenaire qui nous apporte de l’énergie. Il est aussi un baromètre d’ambiance : quand je fais une blague et que 200 personnes réagissent en riant ou huant gentiment, je sais à quoi m’en tenir. » L’animateur attend avec impatience le retour à la normale. « Il y a un silence très étrange lorsqu’on bloque les paroles. D’habitude, il y a toujours des chuchotements ou des gens qui soufflent les réponses… Je ne pensais pas, mais cela me manque aussi ! », s’amuse-t-il.

Des gradins volontairement laissés vides

Certaines émissions ont, elles, décidé de ne pas remplacer leur auditoire. C’est le cas de Ça commence aujourd’hui, présentée par Faustine Bollaert sur France 2. Pendant le confinement, la diffusion de l’émission de témoignages a été interrompue, la chaîne ayant choisi de diffuser des films sur le même créneau. Pour son retour à l’antenne le 11 mai, la production a penché pour une organisation sans public. « Nous ne pouvions pas remplacer le public par des mannequins, car nos invités livrent leur expérience personnelle, et leurs récits sont portés par le regard bienveillant de la salle. Notre assistance n’est pas hyperactive comparée à d’autres, c’est avant tout un public d’écoute : plus qu’une ambiance, il engendre une atmosphère propice à la confidence », explique Guillaume Wanneroy, directeur général de Réservoir Prod, société de production de l’émission.

 « Sur le plateau, nous avons trois acteurs : les candidats, le présentateur et le public. Nous sommes passés d’un trio à un duo. »
Laurent Almosnino, producteur artistique chez Fremantle.

Sur France 3, les gradins de Questions pour un champion, animée par Samuel Etienne, sont également vides. « Nous tournons sans public pour des raisons de sécurité sanitaire et pour la mauvaise image que renverraient des tribunes aux deux tiers vides avec des gens masqués » justifie le présentateur. « Les masques gomment le visage et les expressions de la salle qui est justement là pour réagir émotionnellement », commente Laurence Leveneur.

Après avoir « tenu » avec du public pendant le confinement grâce aux émissions « mises en boîte », les tournages ont repris, sans public. Avec ce nouveau stock, les équipes sont assurées de pouvoir diffuser jusqu’à la mi-juillet, affirme Laurent Almosnino, producteur artistique de la boîte de production Fremantle. Il regrette le vide en plateau. « Nous avons trois acteurs : les candidats, le présentateur et le public. Nous sommes passés d’un trio à un duo. Une victoire sous les applaudissements de la salle, c’est fort et puissant ! Plus que sous des applaudissements enregistrés… » Pour autant, le jeu « n’en souffre pas » dans son fonctionnement brut, mais « l’émission perd de sa chaleur », estime-t-il. Samuel Etienne apostrophe en effet souvent son auditoire, notamment pour donner une réponse quand les candidats sèchent. Pour compenser ces interactions manquantes, le présentateur échange davantage avec les candidats, désormais séparés d’une vitre en plexiglas et sélectionnés dans un rayon de moins de 100 km des studios.

Sur le plateau de Ça commence aujourd’hui, les gradins ont été retirés et remplacés par un « décor cosy » fait de canapés, coussins et plantes vertes, pour ne pas choquer l’œil. Les axes des caméras ont été revus pour ne pas filmer les tribunes vides. Seul un banc demeure sur le plateau et accueille une partie des invités pour assurer le respect de la distanciation physique. « D’habitude, les proches des invités se trouvent dans l’assemblée et Faustine Bollaert les sollicite pour témoigner. Désormais, nous installons aussi ces personnes sur le banc », détaille Guillaume Wanneroy qui aimerait à nouveau recevoir du public pour les enregistrements du mois de juillet, diffusés en août.

Les programmes Quotidien, présenté par Yann Barthès sur TMC et Clique, animé par Mouloud Achour sur Canal+, ont aussi opté pour cette solution. Chroniqueurs, journalistes et invités seuls sont acceptés en plateau : les tournages se déroulent à huis clos en attendant de retrouver leur fonctionnement habituel. À l’annonce du confinement, ces émissions calées sur l’actualité, qui ne disposaient donc pas de stock prêt à la diffusion, ont dû se retourner plus vite que les autres. Si Quotidien a choisi de rester en studio, le plateau de Clique a été reconstitué en visioconférence, pendant deux mois.

Durant le confinement, le plateau de Quotidien est resté vide. Capture d’écran.

Toutes les émissions interrogées espèrent renouer avec leur auditoire dès que possible, d’autant que certaines ont dû mettre leur programme habituel entre parenthèses.

Réinventer des émissions pour pallier l’absence du public

Plutôt que de continuer sans public, quelques programmes ont préféré revoir considérablement leur formule. C’est le cas, marquant, du talkshow Touche pas à mon poste (TPMP), présenté par Cyril Hanouna sur C8. Durant le confinement, l’animateur a laissé de côté TPMP pour diffuser Ce soir chez Baba, d’après le surnom de l’animateur-producteur star. Depuis son domicile, Cyril Hanouna assurait entre deux et trois heures d’antenne quotidienne, réalisant l’ensemble de la production et reconstituant un plateau de chroniqueurs en visioconférence.

À son retour dans les studios le 11 mai, l’animateur n’a pas repris TPMP et a abandonné Ce soir chez baba pour lancer C que du kif. L’équipe habituelle de chroniqueurs de Cyril Hanouna réagit à l’actualité et débat comme à son habitude, mais sans assemblée. « TPMP est une émission d’humeur, et je ne voulais pas abîmer la marque avec une version au rabais, sans public », a expliqué Cyril Hanouna au Parisien, soulignant que « le public constitue 50 % du show ».

À son retour dans les studios, le 11 mai, Cyril Hanouna présente l’émission C que du kif, après avoir animé Ce soir chez baba durant le confinement, estimant que TPMP ne pouvait reprendre sans public. Capture d’écran.

« Cyril Hanouna entretient une grande connivence avec son auditoire qu’il interpelle et chouchoute beaucoup, en les appelant notamment « mes chéris ». Une émission sans public aurait forcément donné un résultat très différent », analyse Laurence Leveneur. Pour maintenir les interactions, Cyril Hanouna n’hésite pas à prendre des appels ou inviter les téléspectateurs à réagir sur les réseaux sociaux. « C’est une façon de continuer à impliquer l’assistance qui n’est plus là », fait remarquer la chercheuse.

Sur France 2, l’hebdomadaire Vivement dimanche s’est également réinventé, soucieux de ne pas produire un programme moins chaleureux qu’à son habitude. Exit la petite dizaine d’invités se pressant sur le canapé rouge et les longues rangées de bancs du public : place à des interviews plus intimistes en tête à tête avec Michel Drucker. « Le plateau est désormais uniquement composé de Michel [Drucker] et d’un artiste relatant son parcours », confirme Nicolas Baleizao, chargé de production pour DMD Productions. « Le public apporte beaucoup de convivialité à l’émission. Sans lui, il a fallu changer notre fusil d’épaule, et nous avons misé sur une ambiance propice à la confidence. Une intimité s’est créée et certains de nos invités, pas toujours très bavards, se sont sentis à l’aise et ont pu se livrer davantage », s’enthousiasme-t-il. La production pourra tenir cette nouvelle formule jusqu’à fin juillet au moins, tout en souhaitant un retour à la normale dès que possible.

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