Romain Rambaud est professeur de droit civil à l’université Grenoble-Alpes, spécialiste du droit électoral. Il tient un blog sur le sujet.
Dans une interview accordée en janvier au Figaro, le président du CSA a expliqué qu’il n’envisageait pas d’évolution du principe d’équité du temps de parole. Quelle est votre position à ce sujet ?
Romain Rambaud : La plupart des juristes sont extrêmement critiques sur le dispositif d’équité. Beaucoup sont attachés à un principe d’égalité formelle entre les candidats et souhaiteraient qu’on soit dans le principe d’égalité dès la publication officielle des candidats [aujourd'hui, l’égalité est réservée à la période de campagne officielle de l’élection présidentielle, qui ne dure que deux semaines, voir notre article à ce sujet, NDLR].
Personnellement, j’aime bien le principe d’équité tel qu’il est construit aujourd'hui, avec un faisceau d’indices composé des résultats aux précédentes élections, de la dynamique de campagne et des indications données par les enquêtes d’opinion. Cela permet de s’interroger sur la représentativité réelle des candidats à une élection, afin de leur donner une exposition à la mesure de ce qu’ils représentent dans la société. Cette démarche donne plus de poids à ce que chaque électeur pense, plutôt qu’aux candidats.
Faudrait-il s’intéresser aujourd'hui au temps de parole des candidats sur les médias en ligne et les réseaux sociaux ?
C’est indéniablement un trou dans le système, mais je pense qu’il n’est pas possible d’intégrer les médias en ligne dans la réflexion. Par ailleurs, les enjeux ne sont pas les mêmes. Sur ces plateformes, l’électeur doit faire une démarche de recherche pour avoir accès aux contenus politiques. Les candidats ont une capacité de projection assez limitée sur ces canaux. Alors que la télévision, c’est quelque chose qui rentre chez vous : cela justifie selon moi le dispositif de temps de parole.
Le dispositif est-il adapté aux chaînes de télévision d'aujourd'hui ?
La multiplication des chaînes a eu pour effet de desserrer les contraintes. Le remplacement de « l’égalité » par « l’équité » s’inscrit dans ce processus. Le problème est de savoir si, en France, on attend encore une forme de neutralité politique de la part des chaînes de télévision ou si nous sommes en train de basculer dans un système de chaînes d’opinion, ce qui serait une véritable transformation.
Faut-il, comme le suggérait Stéphane Séjourné (LREM), inclure dans le temps de parole des candidats les prises de parole de certains éditorialistes ?
C’est une mauvaise réponse à un problème réel, à savoir le statut d’Éric Zemmour aujourd'hui. Il serait inadmissible pour la liberté d’expression de compter le temps de parole des éditorialistes. Mais la question de savoir si certains d’entre eux sont toujours éditorialistes se pose. Ils changent de statut juridique à partir du moment où ils apportent explicitement leur soutien à un candidat. Il ne faut pas changer la règle parce qu’il y a un élément perturbateur, mais on peut s’interroger sur la catégorisation juridique de ce personnage : si c’est un quasi-candidat à l’élection présidentielle, il faut commencer à le traiter comme tel. À mon sens, le système français n’est pas fait pour gérer les chaînes d’opinion. Première solution : on libéralise, et on admet que des gens comme lui puissent s’exprimer sur des chaînes d’opinion, mais je ne suis pas sûr qu’on soit culturellement prêts à basculer dans ce système-là. Deuxième solution : le CSA s’interroge sur la catégorisation d’Éric Zemmour, ce qui serait plus honnête que de porter atteinte à la liberté d’expression.
Le CSA a-t-il aujourd’hui les moyens de faire respecter les règles en vigueur ?
Les moyens juridiques, oui, mais dans les faits c’est plus compliqué, faute de moyens suffisants. Lors de la dernière campagne présidentielle, que j’ai étudiée, Marine Le Pen était par exemple sous-représentée à l’égard de ses résultats électoraux. Le CSA fait de son mieux, avec des moyens limités qui expliquent selon moi que les contraintes se soient assouplies.
La fusion du CSA et de la Hadopi prévue le 1er janvier 2022 (pour donner naissance à l’Arcom) peut-elle résoudre ce problème de manque de moyens ?
Le changement de structure ne va pas fondamentalement modifier les choses. Ces règles sont prévues pour être appliquées avec souplesse dans tous les cas. Les critères comme la dynamique de campagne ou les résultats dans les sondages permettent une liberté d’interprétation, et le CSA n’intervient que si ça déborde trop. Il fait déjà des mises en demeure et pourrait, en théorie, sanctionner. Mais sanctionner les chaînes est très délicat dans le domaine de la liberté d’expression.
Les critères actuels sont donc pertinents ?
D'après moi, oui. Ils sont souples et prennent en compte les résultats des précédentes élections et les sondages. La dynamique de campagne introduit l’innovation et la créativité dans le calcul. Mais ces critères ne sont pas parfaits et ont peut-être tendance à privilégier les gros candidats et à affaiblir les plus petits. C’est un débat, car certains pensent que tout le monde devrait être à égalité, et d’autres estiment qu’il vaut mieux réserver une plage plus importante aux candidats vraiment représentatifs. Au motif de la clarté du débat électoral, on peut concevoir qu’on sorte du débat public les gens qui ne représentent qu’eux-mêmes.
Le référentiel est un autre élément qui me parait intéressant. Lors de mes recherches, j’ai échangé avec le CSA et leur ai demandé à partir de quand ils estimaient qu’un candidat était trop bas ou trop haut dans l’équité du temps de parole. En réalité, il n’y a pas d’algorithme et l’évaluation finale est un peu faite « à la louche ». Le système est intéressant, mais par certains aspects, il n’y a pas assez de transparence, c’est un peu une boîte noire.
La place donnée aux sondages dans ce dispositif est-elle trop importante ?
Je ne suis pas un ennemi des sondages, mais ils restent un angle mort dans le système actuel. Les enquêtes d’opinion sont un des critères de l’équité, alors que les instituts profitent du secret des affaires. Il est par exemple impossible d’obtenir des détails sur la façon dont tel institut est arrivé à établir tel score pour tel candidat. C’est inacceptable. À partir du moment où on se sert de cet outil pour déterminer le temps de parole des uns et des autres, il est dérangeant que des citoyens, des universitaires ou des scientifiques ne puissent pas vérifier la manière dont il est réalisé. Le secret des affaires ne devrait pas s’opposer à l’intérêt général lorsqu'il y a un possible effet sur le public.
Mise à jour du 9 septembre 2021 à 10 h 35 : dans une décision rendue hier, le Conseil supérieur de l’audiovisuel demande aux médias audiovisuels de décompter les interventions d'Éric Zemmour portant sur le débat politique national à compter d'aujourd'hui.