Selfie de Thomas Pesquet dans l'espace à l'ISS

© Crédits photo : NASA Johnson / Flickr. CC BY-NC-ND 2.0

Thomas Pesquet, moteur de la médiatisation de l’espace

À l’approche des 50 ans des premiers pas de l’Homme sur la Lune, l’espace fait l’objet d’un regain d’intérêt. Retour sur la manière dont la télévision a rendu compte de ces enjeux ces dix dernières années (2009 – 2018). La mission de Thomas Pesquet à bord de la Station spatiale internationale (ISS), de novembre 2016 à juin 2017, apparaît comme le phénomène médiatique majeur. 

Temps de lecture : 7 min

Après le pic de 2009, année anniversaire, la médiatisation de l’espace diminue mais reste régulière, au fil des missions d’exploration. Attentifs à la géopolitique de la conquête spatiale, les JT font une place aux acteurs émergents du secteur, qui commencent pourtant à peine à se mesurer aux puissances traditionnelles que sont les États-Unis, la Russie, et la France. Au cours de la décennie passée (2009 – 2018), 1 794 sujets ont abordé le thème de l’espace dans les JT du soir (TF1, France 2, France 3, Arte, M6 et Canal +), ce qui représente 0,6 % de l’offre totale d’information. Il s’agit donc d’un sujet marginal, qui peut être considéré comme un « marronnier » décennal puisqu’il bénéficie d’une médiatisation renforcée les années en « 9 », années de commémoration des premiers pas sur la Lune, le 21 juillet 1969. Ainsi, le pic de 241 sujets a été atteint en 2009, déclarée « année mondiale de l’astronomie », qui a aussi vu les 30 ans d’Ariane, le lancement de divers satellites, de la sonde Kepler envoyée à la découverte de nouvelles planètes, une mission de maintenance sur le télescope Hubble, le lancement des deux télescopes européens, la présentation du scénario de mission sur Mars par la NASA…

Un imaginaire médiatique

Les rédactions privilégient l’astronautique qui représente 65 % des sujets. Pas moins de 685 sujets ont été consacrés aux missions et projets d’exploration humaine (vols habités, actualité de la Station spatiale internationale, développement du tourisme spatial, projets de mission vers la Lune ou Mars). L’exploration robotique, l’observation spatiale, les sondes et les satellites de tous types totalisent 475 sujets. L’astronomie, l’astrophysique et les sciences de l’univers ne sont présentes que dans 26 % des sujets (461) qui abordent les découvertes en matière de planètes, trous noirs, comètes, éclipses et autres chutes de météorites. Chaque été, la Nuit des étoiles trouve un écho dans les JT (14 sujets) et fait donc figure de rendez-vous annuel s’agissant de l’espace. Enfin, 9 % des sujets ont trait à des thématiques variées, tels que les décès d’astronautes (17 sujets sur la mort de Neil Armstrong en août 2012), ou le Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, qui revient également chaque année (50 sujets). Les mots de l’espace dans les JT (descripteurs de l’INA, hiérarchisés selon le nombre d’occurrences). Avec 158 sujets, c’est l’aventure de Thomas Pesquet, parti en mission à la Station spatiale internationale du 17 novembre 2016 au 2 juin 2017, qui apparaît comme le sujet de prédilection de cette décennie médiatique. Les JT se sont par ailleurs intéressés depuis 2012, à l’exploration de la planète Mars par le robot Curiosity (47 sujets), à la sortie dans l’espace de la flamme olympique ou à l’alunissage de la sonde spatiale chinoise Chang’e-3. De 2014 à 2016, ils ont aussi suivi la sonde européenne Rosetta et le robot Philae sur la comète Tchouri (77 sujets).

La mondialisation de la conquête spatiale

Les États-Unis, première puissance spatiale, arrivent en tête du top 15 des pays cités dans les sujets consacrés à l’espace.

La France arrive en 2e position avec 306 sujets, dont 71 pour le centre spatial de Kourou, 50 pour Le Bourget, 18 pour Toulouse, capitale française de l’aérospatiale. La télévision accorde en effet une attention particulière aux événements que constituent les lancements, y trouvant quelques rares occasions de médiatiser la Guyane. Les logiques médiatiques ne coïncident d’ailleurs pas totalement avec les logiques économiques : ainsi, le top des pays les plus médiatisés ne reflète que partiellement la hiérarchie mondiale des investissements. Mais les médias suivent de près l’arrivée dans la course de nouveaux acteurs, aux budgets encore limités : la Chine, premier pays à se poser sur la face cachée de la Lune en septembre 2018, l’Inde, qui a tiré en 2017 la première fusée produite localement, ou encore la Corée du Nord, qui aurait réussi en 2012 et 2016 à placer des satellites en orbite, et l’Iran.

Si l’Allemagne est citée, c’est principalement pour le Centre européen des astronautes à Cologne où s’est entraîné Thomas Pesquet. Le Chili est évoqué au sujet du plus grand télescope du monde construit dans le désert d’Atacama. La Suisse est citée pour le Cern de Genève, particulièrement en 2012 avec la découverte du boson de Higgs.

Le phénomène Thomas Pesquet : à la TV…

Les chaînes françaises se font l’écho de l’engouement suscité par la mission (et la stratégie de communication) de Thomas Pesquet, spationaute le plus médiatisé de la décennie. Les quatre personnalités qui s’expriment le plus représentent d’ailleurs l’expertise française dans le domaine spatial et scientifique, à l’image de Francis Rocard, qui coordonne pour le Cnes la mise en œuvre du programme d’exploration de Mars et supervise la mission Rosetta.

Viennent ensuite les nouveaux acteurs du secteur des vols commerciaux et du tourisme spatial, Richard Branson et Elon Musk. Les États-Unis sont représentés en premier lieu par les astronautes Edwin « Buzz » Aldrin, surtout en 2009 pour le 40e anniversaire du premier pas sur la Lune, et Scott Kelly, qui a passé 340 jours dans la Station spatiale Internationale.

Côté russe, Mikhaïl Baryshev, psychothérapeute sur la mission expérimentale « Mars 500 », Dmitri Rogozine, homme politique et directeur de l’Agence spatiale russe, Oleg Novitski et Sergey Ryazansky, cosmonautes, totalisent chacun deux passages, seulement.

À l’heure où la question de la participation des femmes à l’aventure spatiale émerge dans le débat public, on constate que, sur les 493 personnes interviewées au total dans l’ensemble des sujets portant sur l’espace, 14 % (71) seulement sont des femmes. Et parmi les deux qui apparaissent dans le top 20, on compte… la compagne de Thomas Pesquet, Anne Mottet(1) , et, seulement en 9e place, Claudie Haigneré, qui cumule pourtant les statuts de scientifique, spationaute et ancienne ministre.

… et au-delà

L’odyssée de Thomas Pesquet a représenté un phénomène transmédiatique, au-delà des six chaînes étudiées. Mais plutôt que les médias traditionnels, c’est Twitter qui a été utilisé par l’Agence spatiale européenne (ESA) comme outil de communication privilégié, tout au long de la mission. Malgré tout, les chaînes d’information et les radios ont exploité et relayé cette visibilité pour communiquer sur le réseau social – avec une intensité et des succès inégaux.

Avec 220 tweets, BFM TV a appuyé son investissement dans ses émissions spéciales, notamment au moment de la retransmission en direct de l’atterrissage, le 2 juin 2017 (64 tweets en une journée). Cette stratégie a été bien relayée : la chaîne a été mentionnée plus de 7 000 fois sur le sujet. Europe 1 a consacré 128 tweets, mais plus tardivement (lors de l’interview de Thomas Pesquet dans la matinale de Patrick Cohen, le 22 novembre 2017), et avec moins d’écho (459 mentions seulement).

Les médias obtiennent des succès inégaux sur le réseau social : ainsi, Quotidien, l’émission de Yann Barthès, qui a reçu deux fois le spationaute en plateau,  a obtenu beaucoup d’effet (plus de 4 500 mentions) avec seulement 5 tweets, alors qu’Envoyé spécial (8 tweets en lien avec l’émission du 8 juin 2017) n’a été mentionné que 412 fois, et LCI (115 tweets), 183 fois.

    (1)

    Elle est chargée des politiques d’élevage et développement à la FAO, l’Organisation des Nations unis pour l’alimentation et l’agriculture

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