Olivier Véran à Marseille

Olivier Véran en visite à Marseille le 27 août 2020.

© Crédits photo : Christophe SIMON/AFP.

Covid-19 : « Les journalistes ne sont pas là pour nous rassurer, mais pour nous informer »

Un an après le premier confinement, La Revue des médias revient avec Hélène Romeyer, spécialiste de la médiatisation des questions de santé, sur le traitement médiatique hors norme de la crise liée à la Covid-19.

Temps de lecture : 11 min
Hélène Romeyer est professeure en science de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne-Franche Comté et spécialiste de la médiatisation des questions de santé. Elle a notamment publié La Santé dans l’espace public (Presses de l’EHESP, 2010).

Comment analysez-vous l'intensité de la couverture médiatique de la pandémie de Covid-19, que ce soit sur les chaînes infos, dans les journaux télévisés ou dans la presse ? C'est la première fois qu'un sujet de santé domine l’actualité toute une année.

Il y a une très forte intensité dans le traitement médiatique, mais celle-ci n'est pas continue. On observe une nette baisse durant les mois d'été, qui sont comme une parenthèse où on est libre de faire ce qu'on veut. C’est aussi une période où il n’y a plus annonces, de conférences, etc. — et c'est assez curieux, parce que nos pays voisins nous mettaient en garde à ce moment-là.

Mais c’est effectivement la première fois qu'une épidémie nous occupe pendant plus d’un an. On peut l’expliquer par le fait qu’elle est quasiment « universelle ». D’abord du point de vue démographique : il n'y a pas forcément une population plus à risque qu’une autre — à part les personnes âgées, mais c’est moins vrai avec les variants — et ce n'est pas un comportement sexuel ou alimentaire qui fait que vous êtes plus exposé ou pas. Ensuite, du point de vue démographique, la pandémie touche l'ensemble de la planète. Ce sont ces caractéristiques inédites qui expliquent cette médiatisation. D’autres facteurs peuvent également jouer, comme l’angoisse liée à un virus que l'on ne voit pas, ou encore les nombreuses « inconnues » qui subsistent sur le plan scientifique.

Enfin, on oublie souvent que les médias sont des entreprises, et à ce titre, qu’ils ont besoin d’audience pour être rentables. Les gens sont très angoissés et ils vont avoir besoin d’informations, donc les médias produisent de l'info dont ils savent qu'elle va être consommée. De ce point de vue, il vaut mieux parler de ça que de la guerre en Syrie ou des problèmes au Mexique.

Un autre constat frappant, quand on observe les pics d'intensité de couverture médiatique, c'est que ceux-ci correspondent aux annonces de l'exécutif qui concernent les règles de notre vie de tous les jours (confinement, couvre-feu, etc.).

Ce n’est pas étonnant, car les journaux télévisés sont très accrochés aux agendas politiques, qui dominent souvent, quelles que soient les thématiques. C'est d’ailleurs pour ça que je ne suis pas tout à fait d'accord avec le fait de dire que c’est la thématique « santé » qui est traitée : c'est plutôt la politique de santé publique. Ce n’est pas le sujet sanitaire qui est traité, mais le sujet politique.

Le fait que ça touche à notre mode de vie, au vivre ensemble, etc. a eu d'autres conséquences sur le traitement médiatique : la recherche de polémiques. Lors de la conférence de presse de l’annonce du confinement à Nice, les questions des journalistes n'avaient qu'un seul objectif : trouver la faille. Un journaliste a demandé six fois s'il pouvait aller chez le coiffeur…

D’autres ont critiqué les mesures de confinement ou restreignant les déplacements dans certains départements, au motif que dans certains cas, le village d'à côté n’était pas concerné, par exemple. Ce type de limite, quel que soit le nombre de kilomètres, produit des effets de seuil, donc je ne vois pas l'intérêt de ce type de remarques.

En ce moment, certains polémiquent sur le fait que les Français seraient déresponsabilisés, infantilisés, et posent des questions aussi absurdes que « Est-ce que je peux faire une réunion à 15 chez moi ? » Il y a une épidémie, on explique qu'il faut limiter les relations sociales, ce n'est pas pour être à 15 dans un appartement !

Ces journalistes estiment peut-être se faire les porte-voix des questions qui leur sont posées sur le terrain ?

Les journalistes essaient de relayer le fait que les gens en ont marre. Évidemment que tout le monde veut voir « le bout du tunnel » — expression régulièrement utilisée dans les médias écrits comme audiovisuels. Mais à part quelques gens très politisés, la question de la déresponsabilisation ou de l’infantilisation n’est pas très largement répandue.

On observe que la médiatisation d'un problème sanitaire n'est pas forcément corrélée avec le nombre de morts qu’il provoque. Le sida, par exemple, est beaucoup moins médiatisé depuis 1995, alors que le nombre de morts à l'échelle mondiale a doublé entre 1995 et 2003 — et baisse depuis. Concernant la pandémie de Covid-19, les JT du deuxième semestre 2020 y ont consacré 30 % de temps en moins qu’au premier semestre, alors qu'elle causait 15 % de décès en plus.

Ce n’est pas une situation extraordinaire, je l'ai toujours constatée, que ce soit sur des sujets scientifiques ou des sujets de santé. Leur médiatisation n’est pas toujours corrélée avec une actualité scientifique ou un risque. Vous avez aussi des marronniers.

Il faut éviter la comparaison avec le sida. C'est un sujet tabou qui touche à la sexualité, donc il lui est plus difficile de passer les barrières de l'espace public. Il ne faut pas oublier qu' une population et des comportements sexuels à risque ont été désignés. Même en 2021, en France, parler de la sexualité, parler de l'homosexualité, c'est parler de pratiques sexuelles.

Pour la Covid-19, ce n’est pas un comportement à risque qui va faire que vous serez contaminé, et surtout, il n’y a pas de tabou : on peut parler librement d'un problème respiratoire. C'est ça le plus important. La comparaison est donc difficile, même s’il est effectivement très étonnant de constater que la médiatisation du sida, les politiques publiques sur le sida et les campagnes de prévention ont diminué alors même qu'il y avait une recrudescence des cas. On en voit d’ailleurs les effets dans des enquêtes qui montrent que la jeune génération pense qu'il y a un vaccin — or il n’y en a pas —, pense qu’on ne meurt plus du sida — or on continue d’en mourir—, et a même oublié les modes de transmission.

Quels sont les autres facteurs qui peuvent jouer dans la médiatisation d’un problème sanitaire ?

Il n'y a pas de corrélation entre la prégnance scientifique d'un problème sanitaire et sa médiatisation. Celle-ci va être liée à l'acceptabilité du discours médiatique dans l'espace public, et aussi au contexte de société. L’emballement médiatique autour de la Covid-19 est mondial, donc on suit ce que font nos voisins ou d’autres pays, notamment les États-Unis. Enfin, il y a une règle bien connue : plus un sujet touche le public cible d’un média, plus celui-ci va le traiter. Et moins le public cible est concerné, moins le sujet sera traité.

Les indicateurs retenus par les JT pour suivre l’évolution de la pandémie semblent avoir évolué. Au début, l’attention se portait sur le nombre de décès, de nouveaux cas positifs ou de patients en réanimation. En ce moment, on entend surtout parler des réanimations et du taux d’incidence, et guère du nombre de morts le franchissement des 90 000 morts en France, le 12 mars dernier, n’a ainsi fait l’objet que d’une mention rapide, sans affichage particulier à l’écran, dans le JT de 20 h de France 2.

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, la façon de compter les morts a évolué, et c’est difficile de savoir comment ils sont réellement comptés. Ensuite, l’annonce quotidienne du nombre de morts pouvait être anxiogène pour la population — raison pour laquelle il n’y a plus le point presse quotidien de Jérôme Salomon. Peut-être y a-t-il aussi une forme d’acceptation ou de résignation. Et il y a sans doute une décision politique, car il est difficile de dire que, malgré plusieurs centaines de morts par jour, vous ne confinez pas, vous ne fermez pas les écoles. Le gouvernement est pris dans une impasse communicationnelle : quoi qu’il fasse ou annonce, il sera sous le feu des critiques. En tout cas, on dispose des chiffres, par exemple sur l’application TousAntiCovid ou sur le site de Guillaume Rozier, Covid Tracker. Si un journaliste veut les chercher, ils sont disponibles.

Dans les enquêtes d'opinion sur la perception qu'ont les Français du traitement médiatique de la pandémie, comme dans les témoignages que nous avons recueillis, il est souvent reproché à  l'information d’être trop anxiogène.

On m’a posé la question dans l’émission « Le téléphone sonne » (France Inter) : « Les journalistes ne doivent-ils pas être là pour nous rassurer ? » La réponse est non, ce n'est pas leur rôle ! Ils sont là pour informer. Les rédactions veulent-elles éviter ce reproche? Je ne sais pas. Le manque de temps à disposition des journalistes peut également jouer. Parce que maintenant, il faut aller chercher les chiffres et savoir lire les statistiques. Alors qu’au printemps dernier, les points quotidiens fournissaient tous les chiffres, avec une infographie qui restait à l’écran.

La façon dont les chaînes de télévision présentent les différents indicateurs vous semble-t-elle satisfaisante ? On a pu voir par exemple, dans une séquence de l’émission « 24h Pujadas » (LCI) devenue virale sur Twitter, l’épidémiologiste Catherine Hill s’emporter contre une présentation trompeuse.

Effectivement, le problème de l’utilisation de séries statistiques ou de l’infographie, c’est qu’il faut en maîtriser la technique. Il faut non seulement comprendre comment les chiffres sont produits, mais aussi comment les transformer en graphes ou cartes de façon scientifique. L’utilisation des chiffres est une constante sur tous les sujets de santé, quel que soit leur angle (politique, médical, prévention, etc. ). C’est une technique journalistique assez ancienne, où l’on pense établir une preuve à travers des chiffres alors même que ces chiffres ne sont la plupart du temps pas sourcés, que l’on ne communique pas de marge d’erreur ni de légende pour les comprendre. Sur ce sujet, qui est un réel problème, il faut distinguer le manque de formation des journalistes au maniement des statistiques et à l’infographie en général, et le manque de temps et les conditions de travail auxquels sont soumis les journalistes. C’est encore plus problématique pour les chaînes d’information en continu. L’information ne peut pas, ne devrait pas se traiter en continu et dans l’immédiateté. 

Un autre élément observable, c'est la quasi disparition de Didier Raoult, alors qu’il avait été très présent au printemps dernier. Comment interprétez-vous cela ?

Il paye ses erreurs. Rappelons-nous qu’il soutenait, en avril 2020, que c'était terminé ; il a dit qu’il n’y aurait pas de deuxième vague, on en est à la troisième ; il avait annoncé qu’il n’y aurait pas de confinement, il y en a. Il paye aussi ses différends avec le Conseil de l'ordre des médecins [les deux parties ayant chacune porté plainte contre l’autre, NDLR]. Il s’est probablement mis en retrait pour préparer sa défense. S’il est désormais invisible dans les médias « traditionnels », il est encore très cité sur les réseaux sociaux, et il est devenu le héros des « complotistes ».

C’est aussi un problème de déontologie pour un journaliste. Donner la parole à quelqu'un dont vous savez pertinemment que ce qu’il dit peut, scientifiquement, être remis en cause à tout moment et qui est, par ailleurs, sous le coup d'enquêtes, ça peut refroidir les rédactions. Sans oublier qu’il a une relation compliquée avec les journalistes, il les a quand même insultés à tour de bras en les traitant d’idiots et en leur disant qu'ils n'étaient pas capables de comprendre son discours…

D’autres figures ont émergé, parfois favorisées par leur position institutionnelle, comme la professeure Anne-Claude Crémieux, qui maitrise bien le sujet et est proche des pouvoirs publics. D’autres experts émergent parce qu'ils sont là en tant que représentants de certains intérêts et qu'ils essaient de peser sur le débat public.

Mais au-delà des individus, je regrette que les journalistes ne décryptent pas non plus les chapelles et les lobbies. Prenons la polémique sur les vaccinodromes : très peu de journalistes ont rappelé que les médecins y sont opposés. Or ce sont eux qui, depuis le départ, s'opposent de façon très dure au gouvernement à ce sujet, Gérald Kierzek [médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo, et intervenant régulier sur TF1 et LCI, NDLR] le premier.

De même, il serait utile de rappeler d’où parlent les experts. Un épidémiologiste travaille sur des séries statistiques, donc il raisonne à partir des chiffres, qui explosent. Un chef de service de réanimation insistera sur l’occupation des lits. Il est donc logique qu’ils réclament un confinement strict. Mais celui qui prend la décision doit prendre tout ça en compte, plus l'acceptabilité, les problèmes économiques et les problèmes psychologiques.

Au début de la pandémie de Covid-19, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inquiétait vivement du risque de désinformation. Avec un an de recul, les craintes étaient-elles justifiées ?

Les craintes étaient justifiées, mais la désinformation me semble à la fois inévitable en régime démocratique, c’est le principe de la liberté d’expression — sous réserve de ne pas verser dans l’injure, la diffamation, ou la pratique illégale de la médecine —,  et minime quantitativement. S’il peut arriver à tout le monde de tomber par hasard sur un site complotiste, ne croient à ces discours que les personnes qui sont prédisposées à y croire. Ces contenus vont surtout alimenter ou conforter ces prédispositions.

D’une façon générale, diriez-vous que les médias ont traité de façon claire et satisfaisante la pandémie au cours de l’année écoulée ?

Je mets à part les JT, qui ont un traitement routinier, très factuel et très lié à l'agenda politique, avec un relais des politiques de prévention — chaque fois qu'il y a un médecin dans un JT, c'est pour rappeler les bons gestes, etc.

Pour ce qui est des émissions de télévision, cela dépend. Si on prend les magazines télé généralistes, les talk-shows comme « C à vous », les chaînes d'information en continu, j’ai trouvé que, durant le premier confinement, ils ont fait montre d’une certaine retenue. Mais aujourd’hui, il me semble qu’ils ont retrouvé leurs vieux démons : la polémique au détriment de l'information, la volonté de faire des « coups » avec des experts ou des personnalités qui poussent des « coups de gueule », sans mise en perspective.

Prenez le secteur de la culture. Évidemment, la situation est très difficile pour les gens qui travaillent dans ce secteur, pour les intermittents, etc., et ces situations méritent d’être relayées, mais elles ne sont pas décryptées. D’autres secteurs sont également très touchés : la restauration, l’hôtellerie… Et l’Italie, qui avait rouvert les lieux de culture en février, les a fermés en mars. Imaginons que le gouvernement dise : rouvrons tout, et que le bilan soit à la rentrée de 250 000 morts. Les mêmes qui auront réclamé l'ouverture des lieux de culture dénonceront l'irresponsabilité du gouvernement. S'il y a contamination dans ces lieux-là, qui voudra en assumer la responsabilité ?

Autre exemple : les comparaisons entre pays sur le nombre de morts. Aux États-Unis, c’est impressionnant : plus de 550 000 morts. Mais rapporté à leur population, ils en ont eu moins que nous [1687,4 morts / million habitants, contre 1427,7 pour la France au 1er avril 2021, NDLR]. Il est donc important de veiller aux effets d’échelle.

On peut aussi parler des vaccins. Le Royaume-Uni a été parfois cité en exemple ces dernières semaines, avec un chiffre de vaccinations plus élevé qu’en France. Mais les chiffres avancés concernaient la première injection. Or, si on regarde les deux injections, les chiffres sont comparables, et le Royaume-Uni n’est pas à l’abri d’un problème d’approvisionnement de doses pour la deuxième injection… Il faudrait expliquer ce genre de choses, pour éviter de nourrir des polémiques inutiles.

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