Une année dans la machine Hollywood

Une année dans la machine Hollywood

Dans The $11 Billion Year, Anne Thompson révèle au lecteur les rouages d’Hollywood, des nouvelles méthodes de fabrication des blockbusters aux négociations en marge des festivals pour dénicher le film indépendant qui saura se faufiler jusqu’aux Oscars.

Temps de lecture : 7 min

« Hollywood est un business contrôlé par le service presse le plus sûr du monde », explique Anne Thompson, bien connue du milieu cinématographique. Journaliste et critique pour des publications prestigieuses telles que Variety, le New York Times ou le Hollywood Reporter, c’est sur son blog Thompson on Hollywood qu’elle détaille au quotidien les coulisses du cinéma made in USA. En s’inspirant du livre The Season de William Goldman, qui faisait le récit d’une saison à Broadway, Thompson a décidé de son côté d’analyser l’année 2012 à Hollywood. Entre blockbusters et cinéma indépendant, entre fuite en avant vers le numérique et mort programmée de la pellicule, son livre explore une dizaine de thématiques pour se faire témoin des évolutions de ce monde qu’elle connaît sur le bout des doigts.

Les films indépendants en sursis

Une année à Hollywood se vit comme une compétition sans temps mort, rythmée par des dizaines de festivals, conventions, cérémonies et récompenses. Et bien avant Cannes, bien avant la Mostra de Venise ou les Oscars, c’est dès janvier, avec le festival du film indépendant de Sundance, que se lance le marathon. Créé par Robert Redford en 1985, Sundance s’est toujours positionné comme un soutien de la production indépendante face aux grands studios.

Mais le festival n’a pas résisté longtemps à l’appel des majors, qui envoient chaque année leurs plus fins limiers. Leur objectif à Sundance, comme dans les autres festivals, est simple : trouver la perle rare, à savoir un film peu coûteux mais qui, bien emballé par l’équipe marketing, rapportera gros. Et les papes du film indépendant sont évidemment les frères Weinstein et leur compagnie de production et de distribution The Weinstein Company (TWC), lancée en 2005. Beaucoup considèrent les Weinstein comme de véritables machines à Oscars. « Ils savent une chose mieux que quiconque sur cette planète : ce que les 5 700 votants de l’Academy of Motion Pictures Arts and Sciences vont aimer », explique l’auteure. The Artist, de Michel Hazanavicius, en est l’exemple parfait. Les Weinstein l’ont imposé dans la compétition officielle et l’ont ensuite mené, à coup de lobbying bien pensé, jusqu’aux Oscars, sommet du cinéma mondial. De la même façon, l’édition 2012 a vu la naissance d’un futur succès mondial : Les bêtes du sud sauvage. Ce film au budget de 1,5 million de dollars a suscité l’émoi à Sundance. Fox Searchlight Pictures, filiale de Fox, a immédiatement pris le film en main pour assurer sa distribution et sa promotion à l’étranger. Résultat : des récompenses à Cannes, plus de 20 millions de dollars de recettes, Barack Obama et Oprah Winfrey comme ambassadeurs, et quatre nominations aux Oscars.
 La plupart des films indépendants ne rentreront pas dans leurs frais de production et de marketing 
Mais la plupart du temps, sans une puissante compagnie pour les accompagner, ce genre de films indépendants reste souvent dans l’anonymat. Si de nouveaux moyens de financement, comme le crowdfunding, permettent de réaliser son film, il n’a jamais été aussi compliqué de trouver un distributeur. Alors beaucoup misent sur la VàD ou le bouche à oreille via les réseaux sociaux… Désormais, beaucoup de jeunes réalisateurs doivent apprendre eux-mêmes à faire le marketing de leur film et à organiser leur sortie. De nombreux sites permettent à chacun de faire connaître son projet (le site Spec Scout permet par exemple de noter des scripts) ou de mieux cibler les sorties en salle (Tugg trouve les lieux où le public sera le plus à même d’aller voire votre film). Mais ces modèles restent fragiles, et à la fin de l’année, selon Anne Thompson, « la plupart des films indépendants ne rentreront pas dans leurs frais de production et de marketing. » Il n’en faut pas plus à l’industrie hollywoodienne pour se détourner du cinéma indépendant.

Le profit à tout prix

Désormais, pour les studios, le but est de limiter les risques. Il faut assurer la rentabilité des films, qu’importe leur qualité ou leur originalité. Avec les années et toujours plus d’argent dans les caisses (le box office américain a atteint 11 milliards de dollars en 2012, d’où le titre de l’ouvrage), les patrons de ces grands studios se sont vite tournés vers les financiers de Wall Street et vers des films au potentiel de revenus rapides. « Ils se sont éloignés des films indépendants et de qualités pour spectateurs adultes », explique Anne Thompson. « Ces films demandaient de longues campagnes de promotions pour susciter l’excitation chez le public. [...] Pour les studios, le « donner au public ce qu’il veut déjà » est devenu le nouveau mantra. » Ainsi, depuis les années 1990, on voit se multiplier les films basés sur des produits culturels déjà implantés dans la culture populaire (“mainstream”) : comédies musicales, comics, jeux vidéos, jouets et bien sûr livres.

Car aujourd’hui, la pierre philosophale des majors s’appelle « franchise », ou « sequel ». Disney, Warner et les autres ont compris que faire des films autour d’un personnage ou d’un univers déjà populaire était une véritable mine d’or. Car comme l’explique Thompson, les acteurs vedettes, à de rares exceptions près, ne sont plus garants du succès d’un film. Désormais le public s’attache à des univers comme Pandora, la planète du film Avatar ou à des personnages fictifs comme Tony Stark et son double de métal dans Iron Man. C’est pour cela que, au cœur des blockbusters, on retrouve justement les super-héros Marvel et DC Comics. Le récent succès des Gardiens de la Galaxie - des héros pourtant peu connus du grand public - est venu confirmer cette tendance avec plus de 100 millions de dollars de recettes en quelques jours aux États-Unis. Le remake des Tortues Ninjas a fait encore mieux quelques jours après. Plus impressionnant encore : entre 2016 et 2020, les studios prévoient au moins 20 films inspirés par des comics. L’art de creuser le filon jusqu’à l’épuisement. Et pour cela, rien de mieux que le Comic-Con, grand rassemblement geek chaque été à San Diego, pour promouvoir les futurs blockbusters et allécher un public de fidèles toujours plus large.
 
 L'équipe de The Avengers 2, venue pour parler du film au Comic-Con, dix mois avant sa sortie.
 
Mais au-delà des comics, c’est Disney qui a, en termes de franchises, décroché le gros lot. Après avoir racheté Marvel (Iron Man, Thor, Captain America, The Avengers…) en 2009, son patron Robert Iger a réalisé le coup de la décennie en rachetant en 2012 la société Lucasfilm et donc la franchise Star Wars, pour plus de 4 milliards de dollars. Le nouvel opus de la saga, toujours en tournage, s’annonce déjà comme le plus gros événement cinématographique de l’année 2015. Robert Iger expliquait d’ailleurs en 2012 qu’il préférait payer pour une marque préétablie plutôt que de risquer quoique ce soit de nouveau. Ce qui confirme l’analyse d’Anita Elberse dans son livre Blockbusters, Hit-making, Risk-taking, and the Big Business of Entertainment. Sur les 26 plus gros succès de l’année 2012, seuls sept étaient des créations originales (les autres étant des sequels, des prequels, des remakes, des adaptations de comics…), alors pourquoi ne pas continuer ?
 
 Robert Iger préfére payer pour une marque préétablie plutôt que de risquer quoique ce soit de nouveau  
La recette secrète des blockbusters ne marche cependant pas à tous les coups. Disney justement, en a fait les frais avec le cataclysmique John Carter (250 millions de dollars de budget), qui lui vaudra la plus grosse perte jamais enregistrée à Hollywood, à savoir 200 millions de dollars. Inspiré du roman à succès Une princesse de Mars publié en 1917 par Edgar Rice Burroughs, son adaptation n’évoquait pas grand chose aux spectateurs, qui n’ont pas adhéré. Et à l’heure d’Internet, des blogs et des réseaux sociaux, le marketing ne suffit plus à garantir le succès d’un film. Adam Fogelson, d’Universal, l’a confié à l’auteur : « peu importe les moyens que vous mettez en place pour faire et vendre un film, si les gens n’aiment pas ce qu’ils voient, ils ne viendront pas. » Et pour garder le public dans la salle, il faut lui offrir toujours plus de spectacle. Pour cela, les studios pensent avoir trouver le Graal : le numérique.

Le paradoxe du numérique

Chaque année au mois d’avril, dans un palace de Las Vegas, l’Association nationale des propriétaires de cinéma (NATO) organise le CinemaCon, où plus de 5 000 professionnels viennent partager leur vision du cinéma dans les années à venir. Si tous sont d’accord sur un point (« Le numérique a tout changé dans la façon de produire et de sortir des films »), peu d’entre eux peuvent se targuer de savoir de quoi seront faits les films dans dix ans. En effet, chaque année apporte son lot d’innovations et de transformations, responsables de la mutation permanente du métier.

 
Scorcese, Tarantino, Nolan... Tous ces grands réalisateurs ont fait part ces dernières années de leur peur de voir disparaître l’un des éléments fondateurs de leur cinéma : le 35 mm. Si beaucoup tentent de résister, notamment les réalisateurs indépendants, la NATO l’affirme : « Si vous ne prenez pas la décision de sauter dans le train du numérique, alors vous prenez la décision de faire faillite », déclarait un de ses porte-paroles en 2012. C’est d’ailleurs cette année-là que les cinémas américains, financés par les studios, ont finalisé leur virage vers le digital.
 
 La 3D permet aux cinémas d’augmenter le prix des tickets, aux majors de faire plus de recettes, et aux réalisateurs d’obtenir de plus gros budgets pour leurs films 
Aujourd’hui, on ne trouve quasiment plus de bobines dans les multiplexes, mais d’énormes disques durs où sont stockés des films qu’on peut lancer d’un seul clic sur un iPad. Ce plongeon dans le numérique, déjà entamé il y a quelques années, est en train de bouleverser toute l’industrie du cinéma. Pour Thompson, il s’agit là d’un « changement technologique de l’ordre du séisme », le premier depuis l’introduction du son en 1929. C’est tout naturellement qu’est arrivé ensuite la 3D. Alors que les capacités de la télévision, d’Internet et de jeux vidéo augmentaient, les studios ont du trouver comment améliorer leur propre offre. Et si les spectateurs (et même des réalisateurs de renom) n’ont pas été séduits par cette avancée, évoquant des lunettes gênantes, un écran plus sombre, et un visionnage moins agréable, l’industrie a tout intérêt à continuer. La 3D permet aux cinémas d’augmenter le prix des tickets, aux majors de faire plus de recettes, et aux réalisateurs d’obtenir de plus gros budgets pour leurs films.
 
Mais alors qu’ils vantent régulièrement les prouesses du numérique dans la production cinématographique, l’appréhension du numérique par les majors n’en est pas moins paradoxale. Par exemple, elles ont encore du mal à repenser la fameuse « chronologie des médias. » Le paradigme établi selon lequel se succédaient cinéma, DVD, télévision payante, télévision gratuite, est pourtant bel et bien enterré. La VàD, le câble, et le piratage surtout, sont autant de problèmes pour les studios, qui n’arrivent plus à contrôler leurs propres contenus. Il faut aussi savoir que, si les salles restent le lieu idéal pour un film, « sortir un film sur 3 000 écrans peut coûter 20 millions de dollars, et seulement une petite fraction de cette somme pour le sortir en VàD. » Pour des studios en quête de profit et d’économies sur les coûts de production, le calcul sera vite fait. Selon Anne Thompson, les studios seront bien obligés « d’écouter les spectateurs » et de revoir leur modèle de fabrication et de diffusion s’ils veulent assurer leur survie dans cette jungle numérique en constante évolution.

The $11 Billion Year ne fait pas que narrer une année pleine de strass et de paillettes à Hollywood-land. Le livre d’Anne Thompson tisse, en toile de fond, le portrait d’une industrie en pleine évolution, et plus inquiète pour son avenir qu’elle ne veut bien l’admettre. Face au numérique et à la fréquentation en baisse des salles de cinéma, Thompson ne voit qu’une solution, cinglante : « s’adapter ou mourir. »

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Crédits Photo :
Gage Skidmore / Flickr

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