L’adaptation au numérique
La baisse des ventes de disques à partir de 2000 tient à la fin du cycle de vie de certains supports comme les cassettes et à l’essoufflement du remplacement des vinyles par les CD qui entraînait le marché depuis le milieu des années 1980. Mais c’est aussi la conséquence de nouveaux usages qui se répandent au rythme de la pénétration d’Internet dans les foyers.
En 1999, les internautes commencent à découvrir massivement le format de compression numérique MP3 et l’échange de fichiers gratuits sur les réseaux de pair à pair (p2p), comme Napster d’abord, puis ses nombreux émules. C’est le début de longs combats des majors du disque contre cette contrefaçon de leurs catalogues.
Premier marché mondial du disque, les États-Unis par l’intermédiaire de la Recording Industry Association of America (RIAA), qui réunit les majors du secteur, prennent la tête de cette croisade. Et Universal Music, membre le plus puissant de la RIAA avec un quart du marché mondial et près du tiers du marché américain, en est le fer de lance. Le groupe devient du même coup la cible privilégiée des mouvements d’internautes défendant la liberté des échanges en ligne.
Durant la décennie 2000, Universal Music va agir sur deux fronts pour s’adapter à la nouvelle donne. Le groupe s’investit dans la lutte anti-piratage, d’une part, en intentant des procès, en essayant de faire fermer les sites contrevenants, en menant un lobbying intense pour faire adopter des législations protectrices pour les ayants droit des œuvres, et en s’accrochant, jusqu’en 2009, à des barrières techniques – les DRM (Digital Rights Management) – pour empêcher la copie de ses fichiers musicaux.
D’autre part, Universal déploie une distribution tous azimuts, avec l’autorisation de la mise en ligne de son catalogue de musique sur le plus grand nombre de plateformes en ligne et selon différents modèles économiques. L’ex-P.D.G. Doug Morris, aux commandes du groupe de 1995 à fin 2000, et aujourd’hui chez Sony, se disait convaincu du fait que « les technologies nouvelles avaient toujours stimulé l’industrie musicale ». Une stratégie que poursuit son successeur, le Britannique Lucian Grainge, précédemment en charge de l’international pour UMG. Universal Music a conclu 670 accords avec des services, boutiques de musique en ligne ou opérateurs télécoms.
Dès 2002, Universal propose 75 000 titres de son catalogue à télécharger en ligne, puis il en numérise rapidement la majorité. En 2006, trois ans après l’apparition de la boutique de téléchargement d’Apple, iTunes Music Store, le téléchargement représente déjà plus de 10 % du chiffre d’affaires d’UMG.
En 2012, 44 % de l’ensemble de ses revenus issus de la musique enregistrée (qui incluent les redevances perçues pour la diffusion dans les médias et les lieux publics) viennent de la distribution numérique (téléchargement au morceau ou à d’album ; services d’écoute par abonnement, ou gratuit financé par la publicité).
Ce montant dépasse désormais celui de ses ventes sur supports physiques. Universal a donc accompli sa transition numérique plus vite que l’ensemble du marché mondial sur lequel le numérique ne pèse encore que 35 % (mais plus de 50 % déjà aux États-Unis, en Suède, Norvège, Chine et Inde). Symboliquement, la major, qui avait un siège à New York et un autre à Los Angeles, a définitivement établi son siège social à Santa Monica, sur la Cote Ouest, à portée de la Silicon Valley et des géants d’Internet, devenus ses premiers distributeurs.
En interne, l’organisation et les métiers ont du s’adapter, mettant fin aux barrières entre distribution traditionnelle et « digitale » dans les fonctions commerciales, le marketing… « Le numérique implique une révolution marketing. On doit s’adresser directement aux fans », détaille Pascal Nègre, longtemps patron d’Universal France et aujourd’hui chargé de développer de nouvelles activités.
Le leader mondial devrait en tirer les bénéfices aujourd’hui, alors qu’en 2012, pour la première fois depuis 13 ans, le marché mondial de la musique enregistré est reparti à la hausse, tiré par le dynamisme des échanges numériques (+ 8 %, contre un recul de 5 % des ventes physiques).
Cette révolution numérique n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Elle s’est accompagnée de résistances, d’échecs, de tâtonnements, de bras de fer avec les nouveaux acteurs Internet. Premier à lancer dès 2001, une plateforme légale de vente de musique en ligne en Europe, e-compil, Universal ne saura pas en faire un grand succès. Échec aussi pour Pressplay, la plateforme qu’Universal avait projeté de lancer avec Sony au début des années 2000.
Les négociations commerciales entre Universal Music, catalogue incontournable avec ses 2 millions de titres et ses stars internationales, et les nouveaux géants de la distribution de musique comme Yahoo!, Apple ou Google, ont souvent été musclées. En 2007, UMG refuse le prix unique, imposé par Apple, de 99 centimes d’euros pour tous les titres vendus sur iTunes. Il obtiendra finalement gain de cause, avec la possibilité de moduler les prix selon la nouveauté de ses titres. En France aussi, Universal négociera pied à pied avant de renouveler la licence de son catalogue au site d’écoute
Deezer.
Mais après les batailles, comme celle menée devant les tribunaux contre
YouTube, la filiale vidéo de
Google, Universal a inventé avec YouTube un nouveau modèle économique en 2009 : Vevo. Cette chaîne de clips musicaux, à laquelle les autres majors se sont ralliées, est diffusée sur YouTube et a conquis depuis fin 2009 une audience considérable (617,8 million de vues en mai 2013). Universal Music y commercialise de la publicité et reverse une partie du chiffre d’affaires ainsi généré à YouTube.