Nicolas Maduro présente le programme télévisé "Con Maduro +"

Lancé en avril 2023, « Con Maduro + » est devenu le rendez-vous présidentiel hebdomadaire de la télévision vénézuélienne. 

© Crédits photo : Zurimar CAMPOS / Miraflores press office / AFP

Venezuela : l’autoritarisme postélectoral de Nicolas Maduro s’arme à la télévision

Depuis sa réélection controversée le 28 juillet, le président vénézuélien a réinvesti le petit écran avec son émission « Con Maduro + » pour galvaniser ses partisans et s’en prendre directement à ses détracteurs.

Temps de lecture : 5 min

Le rendez-vous était pris depuis plusieurs semaines. Lundi 5 août, dans l’émission « Con Maduro + » » de la chaîne d’État VTV, Nicolas Maduro apparaît tout sourire dans une ambiance de musique salsa. Derrière l’indéboulonnable président, un écran projette un tableau du libérateur Simon Bolivar monté sur un cheval blanc. Deux miniatures rectangulaires s’y superposent : l’une de Nicolas Maduro, l’autre de Hugo Chavez. « Bonjour à toutes et à tous… C’est une troisième saison digne de Netflix qui commence aujourd’hui », embraye, dans un trait d’humour, le président vénézuélien. L’assistance rie. Le show peut commencer, après un mois de pause en raison de la campagne électorale.

Huit jours plus tôt, Nicolas Maduro était déclaré vainqueur, ouvrant un troisième mandat consécutif dans un climat de tension. Officiellement, il a récolté 51,2 % des suffrages, sept points de plus que son rival Edmundo Gonzalez Urrutia (44,2 %). L’opposition, menée par la charismatique Maria Corina Machado, crie à la fraude, procès-verbaux de bureaux de vote à l’appui. 

Nicolas Maduro, dans l'émission « Con Maduro + » du lundi 5 août 2024
Nicolas Maduro, devant un tableau du libérateur Simon Bolivar. Le président présente lui-même « Con Maduro + », un programme « d’analyses et d’actualités ». Capture d'écran « Con Maduro + »

Dès lors, le sujet de l’épisode de rentrée de « Con Maduro + », était tout trouvé : défendre la victoire du président. « Différentes logiques narratives se mêlent dans ce contexte postélectoral, commente Andrés Cañizales, auteur de plusieurs travaux de recherche sur le rapport de Nicolas Maduro à la sphère médiatique. La thèse de l’ennemi externe et d’agents nationaux appuyés par cet ennemi, celle d’une victoire électorale indiscutable, et la nécessité d’imposer Maduro comme l’unique voix médiatique. »

Un « nazi pire que le diable »

Lancé en avril 2023, « Con Maduro + » est devenu le rendez-vous présidentiel hebdomadaire de la télévision vénézuélienne. En direct tous les lundis à 19 heures sur VTV, Nicolas Maduro présente lui-même ce programme « d’analyses et d’actualités ». Pendant trois heures, le président égraine les nouvelles du monde aux échos nationaux soigneusement choisis, lance des chroniqueurs toujours complaisants et réagit aux commentaires d’experts passés au tamis du pouvoir chaviste. Politique, technologie, religion… Aucune actualité n’échappe au chef d’État.

L’émission débute par une revue de presse internationale. La discussion s’attarde sur les images des émeutes racistes au Royaume-Uni. Nicolas Maduro dresse un parallèle entre ces troubles et les manifestations de l’opposition qui ont secoué le Venezuela au lendemain du scrutin. « Ces évènements fomentés par des oligarques colonialistes et leur idéologie de haine fasciste, c’est ce qu’on a vu mardi dernier au Venezuela », assène le locataire du palais de Miraflores.

Au cours de la même émission, son rival Edmundo Gonzalez Urrutia est tour à tour accusé d’être un « assassin », un « lâche » souffrant de « troubles cognitifs » et même un « nazi pire que le diable », tandis que Nicolas Maduro brandit la Bible ou la Constitution de la République bolivarienne devant la caméra. 

X et WhatsApp pris pour cible

Pendant qu’en bas de l’écran, un bandeau intitulé « Chronique d’un coup d’État cyber-fasciste criminel » défile, Nicolas Maduro poursuit sa diatribe contre les réseaux sociaux, accusés d’alimenter les violences. Le président s’en prend directement à Elon Musk, patron de la plateforme X : « Toi, Elon Musk, qu’est-ce que tu as cru ? Que tu pouvais dominer le monde ? […] Celui qui s’attaque au Venezuela le paye cher ! » Un ton menaçant, caractéristique du discours postélectoral de Maduro, selon Andrés Cañizales : « Avant et pendant la campagne, Maduro cherchait à montrer une image amicale. Depuis le scrutin, il apparaît ferme et vindicatif. Sa communication élimine toute possibilité autre que son maintien au pouvoir. »

Puis c’est au tour de la messagerie WhatsApp, elle aussi accusée de véhiculer la « haine » et la « division », d’être prise pour cible. Le leader chaviste sort son smartphone, et, après avoir répondu à d’ultimes messages, désinstalle l’application sous les applaudissements du public. 

En bas de l’écran, un bandeau invite les téléspectateurs à suivre le programme sur Instagram, TikTok et X. Trois jours plus tard, les autorités suspendaient l’ex-Twitter dans tout le pays. « Nicolas Maduro multiplie les contradictions, analyse Andrés Cañizales. Même après avoir interdit Twitter, les membres de son gouvernement continuent de l’utiliser. »

« Nicolas Maduro dédie environ un quart de sa journée de travail à parler dans les médias »

Selon Andrés Cañizales, le contexte postélectoral souligne « l’autoritarisme communicationnel » mis en place par Nicolas Maduro. Le dirigeant chaviste cherche à occuper un maximum l’espace médiatique. « Une de mes études montre que Nicolas Maduro dédie environ un quart de sa journée de travail à parler dans les médias », expose Andrés Cañizales. Le spécialiste poursuit : « On pourrait se demander : « Mais alors, quand est-ce qu’il gouverne ? » Justement : il gouverne à travers ces émissions. »

Depuis le 28 juillet, cette politique consiste essentiellement à discréditer l’opposition et serrer les rangs de ses partisans. L’émission du 2 septembre s’ouvre sur la coupure générale d’électricité qui a touché le pays le 30 août. Le vocabulaire employé est le même qu’au lendemain des élections : le système électrique aurait été victime « d’un coup criminel fasciste ». Les prétendus responsables — « la Machado », « le petit vieux qui se cache » et les États-Unis — aussi. Nicolas Maduro dresse un parallèle avec la supposée attaque contre le système de votes et en profite pour marteler son discours postélectoral : sa réélection ne souffre d’aucune contestation possible et les doutes émis par l’opposition relèvent de la sédition. Heureusement, reprend le leader chaviste, le système électrique a résisté grâce à une « union civile, militaire et policière parfaite ». Tout comme son maintien au pouvoir un mois plus tôt. 

« Super Bigote »

D’autres programmes alimentent ce culte de la personnalité. Depuis 2021, Super Bigote enseigne la bonne parole aux jeunes générations. Torse musclé plaqué des initiales « SB » — comme Simon Bolivar —, casque de chantier rouge qui coiffe un visage moustachu, « Super Moustache » protège le peuple vénézuélien contre les monstres impérialistes pilotés depuis la Maison Blanche. L’actuel président n’a jamais conquis le cœur des Vénézuéliens comme avait pu le faire son prédécesseur. « Hugo Chavez était un bon communicant. Il était charismatique et jouissait d’une certaine popularité, précise Raniero Cassoni, politologue de l’Université centrale du Venezuela. Ce n’est pas le cas de Maduro, qui tente d’innover dans sa communication. »

capture d'écran de la chaîne Youtube Super Bigote Oficial
Dans le programme « Super Bigote », le personnage enseigne la bonne parole aux jeunes générations. Capture d'écran de la chaîne Youtube Super Bigote Oficial

Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Maduro a ainsi lancé Factor M, copie du célèbre show britannique. Pendant plusieurs semaines, des candidats se sont affrontés en musique avec un objectif : déterminer l’hymne de campagne du camp chaviste. « El presidente es Maduro », « Maduro es el futuro » ou encore « Vamos Nico » : les titres des chansons étaient sans équivoque.

Malgré tous les efforts déployés pour faire de « Con Maduro + » le programme de propagande par excellence du président Maduro, la télévision a perdu en influence. En 2010, RCTV, la première chaîne du pays, est définitivement interdite. Quatre ans plus tard, Globovision est totalement noyautée par les autorités. Aujourd’hui, sur la vingtaine de chaînes disponibles dans le pays, seules huit n’appartiennent pas à l’État et au moins cinq d’entre elles sont financées par des capitaux liés au gouvernement. Le pays pointe à la 156e place du classement RSF.

Pour le pouvoir chaviste, l’important n’est pas tant de convaincre ses opposants que de transmettre des éléments de discours à ses sympathisants. « Dans leurs quartiers, les chavistes sont confrontés aux critiques de leurs voisins et ils ont besoin d’arguments pour se défendre », explique Andrés Cañizales. Renforcer un noyau dur qui représente environ un tiers de la population vénézuélienne selon les enquêtes d’opinion indépendantes : tel est l’objectif de Nicolas Maduro, bien décidé à s’accrocher au pouvoir.

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