La multiplication des sources d'images impose une vérification sans cesse plus fine des photos et vidéos reçues dans une rédaction. Quels sont les moyens aujourd’hui dont un journaliste dispose pour identifier une image — photo et image animée — et la valider avant diffusion ?
Mehdi Lebouachera : D’abord, c’est leur sens critique, leur pratique et leur expérience journalistique qui leur permettent d’identifier et de situer les images. Beaucoup d’images sont écartées en faisant un travail de vérification sans aucun outil. Par exemple, en faisant un travail de vérification du compte qui a envoyé l’image sur les réseaux sociaux, Twitter, Facebook,etc. le journaliste doit prendre des garanties relatives à la personne qui a envoyé cette image. Sa localisation. De quel pays poste-t-il ? Ainsi, nous nous sommes rendu compte très vite qu’une personne postant des images du conflit en Syrie, des frappes censées être de la coalition internationale, notamment, se trouvait en Iran ; Nous l’avons donc écartée comme source. Nous faisons ainsi un énorme travail de base, beaucoup de choses sont écartées sans aucun outil, en faisant ce travail de vérification du compte qui a envoyé l'image. Nous vérifions où se trouve la personne qui a envoyé ces images.
Bien entendu, nous disposons aussi d’outils. Par exemple, Samdesk qui est un outil coopératif qui nous permet de travailler en réseau sur une vidéo sans doublonner le travail des éditeurs dans les différents centres d’éditions de l’AFP (Agence France-Presse) à travers le monde. Grâce à ce réseau, nous pouvons nous parler et surtout dire à d'autres personnes du réseau AFP : nous travaillons sur cette vidéo et chacun dans le réseau voit le travail réalisé, ainsi se crée une chaîne de travail et de vérification.
Le deuxième outil que l’on utilise relève de la vérification des métadonnées, InVID. InVID est un projet collaboratif financé par l’UE dans le cadre du programme Horizon 2020. Il est coordonné par l’institut grec de recherche en informatique ITI-CERTH de Thessalonique ; C’est un plug-in qui fonctionne sur Chrome et nous permet de lire les métadonnées de la vidéo. Donc, si vous passez par le filtre d’InVID une vidéo diffusée sur YouTube, vous pouvez savoir à quelle heure elle a été postée, obtenir une description du compte de la personne qui l’a postée, vous avez donc accès à ce type d’informations. Reste que la grande difficulté de la vidéo, c’est qu’on ne peut pas retrouver tous les éléments la concernant, contrairement à la photo. Il est extrêmement difficile d’effacer toutes les métadonnées d’une photo. Pour les vidéos, il est beaucoup plus simple d’effacer les métadonnées.
Il faut disposer de logiciels très puissants pour aller chercher les métadonnées originelles d’une vidéo
Il faut disposer de logiciels très puissants pour aller chercher les métadonnées originelles d’une vidéo : savoir où cela a été filmé, quand, etc.
Mais ces outils qui permettent d’accélérer le processus de recherches d’images et de métadonnées ne sont pas des outils magiques, et la principale ressource sur laquelle on se base pour la vérification, ce sont des recoupements d’informations : par exemple, on va très simplement identifier dans une vidéo des points de référence géographiques, et si dans les images figure un pont, on va voir si ce pont existe réellement à l’aide de Google Maps ou comparer avec des anciennes photos du lieu, etc.
Qu’est-ce qui distingue la vérification d’une vidéo et d’une photo ?
Mehdi Lebouachera : L’AFP est pionnière en matière de vérification de photos. Depuis plusieurs années, on fait appel à un logiciel développé par une entreprise qui se nomme Tungstène : il peut repérer dans les photos des choses extrêmement précises, qui nous permettent de connaître l’origine de la photo: si des éléments ont été enlevés ou ajoutés, etc.
Avant la mort de Ben Laden, nous avons débusqué nombre de photos fausses grâce au filtre de ce logiciel : on a pu ainsi repérer l’utilisation d’un Photoshop assez sophistiqué sur certains clichés. En vidéo, c’est plus difficile d’avoir cette finesse de détection. Donc, nous avons recours à davantage de vérifications « manuelles ».
Quelles sont les principales sources d’images d’actualités ?
Mehdi Lebouachera : Les agences de presse, évidemment, sont de gros contributeurs, donc l’AFP, Reuters, AP (Associated Press)... Ensuite, vous avez d’immenses sources d’images qui proviennent des accords régionaux entre télévisions, comme la bourse d’échanges des télévisions publiques, les EVN (Eurovision News Exchange). Des réseaux de chaînes privées se sont développés sur le même modèle, dans le monde anglo-saxon, ce sont des regroupements par télévisions « affiliées », de fait, autour de deux ou trois pôles de télévision. Et puis, ce qui explose depuis cinq-six ans, ce sont les images produites par chacune et chacun, alias les UGC (User Generated Content, CGU, contenu généré par les utilisateurs, en français), ce que font les quidams dans la rue avec leur téléphone portable. C’est une source de plus en plus importante : depuis environ trois ans, dans les pays développés, grâce aux technologies internet, 4G, aux téléphones performants, les premières images sur des « break news » proviennent en majorité d’UGC.
Cela a incité les télévisions à mettre en place des outils de collecte efficaces. Par exemple, lors de l’attentat qui a eu lieu au Canada avec un camion, la principale image de cet événement, l’assaillant se rendant à la police, était un UGC. Cela constitue donc une évolution importante, qui n’est pas sans imposer un changement de comportement et, surtout, un défi non négligeable en termes de vérification et de temps de vérification, alors que le rythme de diffusion est toujours plus rapide. Or, pour vérifier une image, il nous faut un minimum de temps. Et là, c’est le cœur de notre métier : impossible, évidement, d’envoyer une image qui n’a pas été vérifiée.
Pour vérifier une image, il nous faut un minimum de temp et c’est le cœur de notre métier
C’est pour nous un principe intangible, alors qu’on sait, hélas, que certains médias ne s’embarrassent pas de vérifier la véracité des images, si le sujet est un enjeu fort.
C’est flagrant depuis quelques années : certains médias n’arrivent pas à vérifier les images qui circulent sur des « sites » de partages type WhatsApp, dont, très rapidement, on perd la source (à la différence de YouTube ou Facebook, où cela est encore possible). Malheureusement, certains médias ne s’embarrassent pas de questions déontologiques et diffusent quand même ces images non vérifiées…
Pensez-vous que les jeunes journalistes sont assez formés pour déjouer ces pièges ?
Mehdi Lebouachera : Je n’ai pas de vision suffisante de ce qui se fait actuellement dans les écoles de formation de journalistes, mais il s’agit d’un élément particulièrement crucial sur lequel les écoles ne peuvent faire l’impasse. Dans le paysage médiatique global, on observe quand même, au cours des dernières années, quelques dérives. Quand des médias font circuler des images non vérifiées, non « sourcées », ça pose évidemment le problème de la véracité de l’information mais également un autre type de problème saillant pour les agences de presse, à savoir les problèmes de droit. Cela peut coûter très cher si l’image ne vous appartient pas, si vous n’avez pas reçu d’autorisation de diffusion. Donc, eu égard à la croissance exponentielle des images — dont les vidéos sur des réseaux sociaux —, nous faisons face à des défis nouveaux et des situations difficiles à gérer. Il faut donc faire des choix stratégiques : se concentrer sur des événements particuliers, justifiés, décider alors d’envoyer une équipe sur place le plus vite possible pour être sûrs des informations qu’on va délivrer, quitte à prendre un peu de retard par rapport au déclenchement de l’événement, mais assurés d’avoir nos propres images.
Comment procède plus précisément l’AFP ?
Mehdi Lebouachera : L’AFP, en matière de vidéo, est en croissance et dispose d’une base solide. Nous avons une couverture globale cohérente. Ce que demandent de plus en plus les chaînes de télévision, nos clients les plus importants, c’est de la réactivité, de la rapidité et c’est pour nous, le défi le plus important. Il s’agit donc de pouvoir, sur un événement donné, diffuser des images le plus rapidement possible, des images vérifiées, crédibles. Rapidité et vérification, c’est un savoir-faire qui remonte à loin pour l’AFP mais qu’elle a adapté aujourd’hui, notamment pour les télévisions. Nous avons des schémas extrêmement stricts pour la vérification d’images : une vidéo doit être validée par la rédaction en chef centrale de l’AFP avant d’être envoyée aux clients. Tout ce travail se poursuit et s’adapte, travail qui est celui de l’Agence depuis ses débuts et est désormais aussi au cœur de la production de l’AFPTV depuis une quelques années.
Ce souci de la vérification de l’image, c’est ce qui fonde notre crédibilité auprès des télévisions
C’est une immense responsabilité quand on pense qu’en Inde, récemment, la diffusion de rumeurs relatives à de soi-disant kidnapping d’enfants sur WhatsApp ont conduit à la mort de plusieurs personnes. Ce souci de la vérification de l’image, c’est ce qui fonde notre crédibilité auprès des télévisions.
L’AFP a maintenant une couverture mondiale, elle est présente sur tous les continents ; nous avons des contrats avec d’importants broadcasters comme CNN, Al Jazira, TF1, France 2 et on se développe sur tous les continents.
En ce qui concerne les pays où vous ne pouvez pas aller, comment faites-vous pour avoir des images ?
Mehdi Lebouachera : En Syrie, par exemple, nous avons travaillé à la formation de journalistes locaux, sur place quand c’était possible ou à distance, notamment par téléphone. Et nous sommes la seule agence à avoir, tout au long du conflit, deux sources d’images, côté opposants et côté gouvernement. Dans la Ghouta, le dernier fief rebelle à la périphérie de Damas, on a maintenu une présence jusqu’au bout, jusqu’à la sortie du dernier bus, notre JRI (journaliste reporter d’images) est sorti l’un des derniers de l’enclave. Au Yémen, également, nous travaillons avec des pigistes qui font un travail remarquable et dangereux. Dans les zones où nous n’avons pas de présence, nous déployons alors d’autres ressources, comme des accords avec des médias locaux que nous avons jugés assez sérieux pour passer un partenariat avec eux.
Quid de l’indexation de vos messages ?
Mehdi Lebouachera : Le journaliste qui envoie son script (sa dopesheet, dans le jargon AFPTV), doit obligatoirement donner la source de l’image si ce n’est pas lui qui l’a prise ou tournée. Si c’est l’AFPTV qui l’a réalisée, on note la date, le lieu, on contextualise, on donne le nom des personnes, on écrit dans le script la transcription des interviews des personnes. Une des grandes différences avec les autres agences, c’est que nous fonctionnons sur le modèle assez unique dans le monde du JRI, le journaliste reporter d’images. D’autres modèles existent, avec des équipes comportant un cameraman et un journaliste, pour nous cameraman et journaliste sont confondus et c’est le même journaliste qui fait le travail de recherche des sujets, de production, de tournage, d’édition et d’écriture de script. Dans les desks d’édition (centres de relecture des dépêches, d’édition des vidéos et des photos à travers le monde), ces mêmes journalistes sont amenés aussi à faire de la vérification d’UGC. Ce modèle nous permet d’avoir un contrôle très précis de notre production et de livrer des images justes, vérifiées, et les plus fidèles à ce qui s’est passé lors d’un événement.
Propos recueillis par Isabelle Didier et Philippe Raynaud
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Crédit photo : Antonin Thuillier/AFP PHOTOS