La marchandisation de l’underground
Ici se joue le savant numéro d’équilibriste de la multinationale. À l’instar du luxe ou du sport, la contre-culture est d’abord vue comme un segment de marché, relevant d’un savoir-faire. À VICE, parler d’underground n’empêche pas de suivre un rigoureux business plan. Financé par la publicité, l’objet éditorial, agrémenté de reportages souvent audacieux et de
shootings réalisés par de grands noms de la photographie (Richard Kern, Terry Richardson, etc.), se voit fétichisé jusqu’à devenir un symbole générationnel. Et comme tout succès de mode, VICE a autant de fans que de détracteurs. Car il faut reconnaître que de l’extérieur, la patte VICE semble se résumer à une certaine propension au choc pour le choc (en laissant deviner des tendances sexuelles inavouées et un penchant pour des drogues diverses et variées).
Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Au-delà de sa caricature d’irrévérence, VICE propose également des sujets d’investigation autrement plus subversifs que les gesticulations trash qui font son folklore. Le ton cru appliqué aux thématiques sérieuses semble d’ailleurs tout droit destiné aux jeunes adultes désabusés par l’offre classique des médias dominants.
Une cible bien identifiée et une ligne éditoriale originale, ce sont là les deux forces du groupe médiatique qui a amorcé son développement à grande échelle par une organisation pyramidale. En effet, si les bureaux de la maison mère VICE se situent à New York en plein coeur de Brooklyn, ces deux dernières décennies ont vu le déploiement de rédactions un peu partout dans le monde. Grande-Bretagne, Allemagne, France, Espagne, Italie, Pologne, ou encore Brésil : au fil des années, le drapeau VICE flotte sur toujours plus de territoires. La recette est redoutable et la sauce prend : au début, les pages de chacune des éditions nationales sont essentiellement constituées de traductions d’articles anglophones – moins onéreuses à gérer qu’une production de contenus exclusifs – mais peu à peu chaque bureau se met à produire des articles inédits que les autres relais peuvent reprendre à leur compte. Le résultat : une étiquette commune devenue culte à l’international et, derrière elle, une armada de forces vives travaillant chacune dans son coin à étoffer la toile. La stratégie s’avère brillante et, très vite, trouve sa viabilité économique. D’autant plus que l’expansion économique de VICE ne s’accompagne pas particulièrement d’une revalorisation de la rémunération de ses pigistes, l’étiquette VICE étant en soi déjà perçue comme une belle rétribution. Punk oui, mais aussi habile gestionnaire, le cofondateur Shane Smith a su miser très tôt sur un format à l’époque peu expérimenté par les médias : les vidéos en ligne.