Le contexte russe : Roskomnadzor, Runet et piratage
Les succès du réseau vKontakte ou de l’antivirus Kaspersky apportent la preuve que les startups russes de l’Internet peuvent sans doute nourrir des ambitions à l’international lorsqu’elles s’en donnent les moyens. Ces dernières doivent pourtant composer avec un environnement spécifique et assez différent de ce qu’on peut trouver aux États-Unis par exemple.
En Russie, le poids de l’État dans l’économie reste prépondérant et le secteur des nouvelles technologies n’y fait pas exception. Cette « interventionnisme » voire « ingérence » des pouvoirs publics prend plusieurs formes dont certaines sont particulièrement controversées. La Russie s’est dotée en novembre 2012 d’une liste noire de sites web placée sous l'autorité du Roskomnadzor, l’autorité de contrôle des médias de masse en Russie. Officiellement, son rôle est de bannir les sites Internet qui distribuent du contenu pédophile ou qui font la promotion de pratiques (incitation au suicide, consommation de stupéfiants) interdites par les tribunaux.
Si l’infraction est avérée, Roskomnadzor prend directement contact avec l’hébergeur ainsi que l’administrateur du site qui dispose de 3 jours pour retirer le contenu mis en cause. Au-delà, le site est automatiquement ajouté à la liste noire et son accès prohibé par l’ensemble des fournisseurs d’Internet présents en Russie. La plupart des associations internationales de défense des libertés dénoncent le caractère pour le moins « opaque » de la procédure puisque seuls les autorités et les FAI ont connaissance de la liste complète des sites interdits.
Fait intéressant : malgré son caractère controversé, 63 % des Russes approuveraient ce dispositif, selon une
étude du Levada Center de septembre 2012. Il semblerait donc qu’une majorité de gens reconnaisse la « dangerosité » de certains sites Internet, ce qui justifierait à leurs yeux
l’usage de la censure.
La Russie, comme d’autres puissances mondiales, a mis en place un large système de contrôle de l’Internet qui n’a sans doute rien à envier à celui de la NSA. Construit au nom de « la lutte contre le terrorisme », ce dispositif de surveillance des communications électroniques a été particulièrement mis à contribution pour la préparation des Jeux Olympiques de Sotchi.

Les récents évènements en Ukraine semblent également apporter la preuve que les autorités russes surveillent de près l’activité des internautes et en particulier des sites politiques. Le fondateur de vKontakte, Pavel Durov, a en été directement victime puisque selon plusieurs médias occidentaux, il aurait été
débarqué de la direction du groupe pour avoir refusé de fournir les adresses de connexion de plusieurs profils favorables au renversement du régime en Ukraine.
Pavel Durov
Lors d’un
congrès dédié aux technologies de l’information à Saint-Pétersbourg les 23 et 24 avril derniers, Vladimir Poutine en personne a exprimé son inquiétude quant au maintien de la « sécurité informatique de la Russie ». Le chef du Kremlin a notamment abordé le cas des « champions russes » de l’Internet que sont vKontakte ou Yandex pour évoquer les problèmes de confidentialité des données et les risques d’espionnage économique qui en découlent.
Il faut dire qu’au fur et à mesure de la montée en puissance de vKontakte, les autorités russes n’ont eu de cesse de vouloir s’ingérer dans les affaires du site. Comme l’a souligné à juste titre Vladimir Poutine, les États-Unis concentrent encore la majorité des serveurs web au monde, ce qui leur donne la possibilité de contrôler l’essentiel du trafic Internet et de tout ce qui s’y échange.
Les responsables russes voient d’un très mauvais œil que les Américains puissent ainsi accéder à des millions de profils de citoyens russes, ce qui a poussé Vladimir Poutine à proclamer « l’indépendance informatique de la Russie » comme une priorité des prochaines années.
La Russie comme d’autres pays émergents d’Europe centrale est marquée par une répartition inégale des accès Internet, largement concentrés dans les grandes villes du pays. C’est ainsi à Moscou et à Saint-Pétersbourg que l’on trouve les taux de pénétration les plus élevés du pays (70 %). Dans le reste du pays, la moyenne est plutôt aux alentours de 30-35 %, avec une très forte croissance enregistrée ces dernières années.
À l’instar d’autres pays émergents, l’internet mobile est particulièrement bien représenté en Russie dans un pays où la qualité des infrastructures de téléphonie fixe a souvent fait défaut. C’est un atout non négligeable pour vKontakte qui peut ainsi espérer développer de nouvelles sources de revenus des utilisateurs de mobile, déjà majoritaires à Moscou et dans les grandes villes.
Malgré sa récente adhésion à l’OMC et les progrès enregistrés dans ce domaine, le piratage informatique et les atteintes au droit de la propriété intellectuelle restent une question sensible en Russie. Les responsables de vKontatke n’échappent pas au problème et les utilisateurs sont souvent tentés de partager du contenu illicite (films, séries télévisées ou encore reportages) entre eux. Plusieurs procès emblématiques ont eu lieu à la fin des années 2000 opposant notamment vKontakte et la chaîne de télévision publique Rossiya mais ils se sont tous soldés par la relaxe du site communautaire qui a bénéficié d’une jurisprudence favorable. D’une manière générale, « le système D » est toujours très ancré dans la population russe, où les populations ne sont pas toujours très sensibilisées au phénomène de la contrefaçon.