Stratégies OTT : être gardien du temple ou simple fournisseur de services
Un bouillonnement croissant apparaît autour des diverses offres «
over the top » (OTT), diffusées
via le web et gérées en direct par un terminal connecté, sans contrôle ni rémunération de l’opérateur de réseau. L’enthousiasme des acteurs est stimulé par l’espoir de répéter autour du téléviseur la désintermédiation des opérateurs qu’Apple a réussie avec l’iPhone. En quelques années, la marque de Cupertino est ainsi passée du stade de géant de l’électronique grand public (EGP) à celui d’acteur central de la distribution des contenus numériques à la demande, allant jusqu’à imposer le partage de revenus aux opérateurs téléphoniques. Le plus intéressant dans cette
success story est qu’elle est fondée sur une stratégie absolument non conventionnelle, qui est passée par une redéfinition complète de la chaîne de valeur. Une recomposition de la concurrence
décrite par l’ancien ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, comme un véritable « tsunami ».
Les constructeurs pourraient s’affranchir de leurs partenaires. Certains industriels décident d’ajouter à leur activité de commercialisation de matériels, un métier de distributeur de services et de gestion d’abonnement. Par exemple, Sony commercialise en avril 2008, sur le marché des États-Unis, le Bravia Internet Video Link. Ce boîtier, qui permet de connecter au web les téléviseurs de la gamme Bravia, se positionne en concurrence avec des boîtiers tels que l’Apple TV ou le Roku Digital Player. Sony conclut ensuite des accords avec différents opérateurs de services de VoD sur Internet, dont les incontournables Amazon, YouTube et Netflix, afin de diffuser leurs contenus sur l’écran de télévision. En parallèle, Sony lance son propre service de VoD, disponible sur ses terminaux connectés. Accessible depuis 2010 en Europe via l’icône Qriocity dans le menu principal des appareils, le service offre la location de films en VoD pour des prix compris entre 2,99 et 4,99 €, avec un délai de visionnage de 14 jours ou 48 heures après la première lecture.
Ce type de stratégie OTT fait craindre aux divers détenteurs de contenus vidéo et fournisseurs de services Internet que les fabricants de matériels EGP (électronique grand public) ne souhaitent s’affranchir à terme de leurs partenaires. En effet, cette stratégie leur permettrait d’entrer en relation directe avec le client final et de supprimer les intermédiaires, et donc les reversements financiers.
Plusieurs choix de positionnement s’offrent alors à eux : se constituer comme un point d’entrée obligé ou un simple prestataire de service. Mais les constructeurs qui veulent accélérer les ventes de leurs terminaux connectés et promouvoir les usages ont tout intérêt à passer des accords avec les grandes entreprises de la VoD et d’Internet. Ils ne sont en effet pas familiers de la chaîne de valeur traditionnelle des contenus et certains services tels que
YouTube ou
Netflix sont incontournables. En outre, des services qui fonctionnent bien et sont adaptés au téléviseur les aideront à vendre leurs produits. Il s’agit, par ailleurs, d’une véritable opportunité pour les services de vidéo en ligne qui, jusqu’à présent, devaient travailler avec les opérateurs nationaux et qui, grâce à une dizaine de constructeurs, couvrent maintenant tout le marché mondial.
Les téléviseurs connectés constituent un enjeu stratégique pour les opérateurs télécoms qui pourraient bien être réduits à une activité de vendeur de tuyaux. Présents dans tous les foyers, ceux-ci resteront cependant incontournables. Dans une guerre de mouvements entre fabricants de terminaux et opérateurs de réseaux, l’importance du parc de box d’IPTV déjà déployé en France fournit de bonnes bases de résistance aux opérateurs.
Avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui fabriquent des boîtiers connectés comme le décodeur d’Apple ou la Google TV d’Android, de nouveaux modèles économiques OTT apparaissent et font craindre une vraie crise publicitaire. Google pourrait ainsi venir capter une part substantielle du marché de la publicité télévisée aux États-Unis estimé à 70 milliards de dollars. Constituant un risque de concurrence déloyale vis-à-vis des diffuseurs, cette initiative risque de tendre encore plus les relations entre le géant américain du web et les chaînes télé. La possibilité pour les ayants droit de distribuer directement leurs contenus audiovisuels aux téléspectateurs et de contourner ainsi les chaînes TV inquiète aussi la filière audiovisuelle.
Les chaînes semblent toutefois disposer de solides atouts pour résister à l’arrivée des contenus en ligne sur le téléviseur : force du contenu premium et de leur marque média, puissance du prime time, capacité à fidéliser l’audience par des rendez-vous, ancrage de la TV dans les habitudes des consommateurs, simplicité d’utilisation et immédiateté de l’expérience télé. Pour leur part, les opérateurs de la TV à péage possèdent une large base d’abonnés, une maîtrise de la facturation et de la qualité, une offre riche, des terminaux dédiés avec des fonctionnalités avancées de type media center assez équivalentes aux terminaux connectés, une capacité d’innovation avec des offres multi-écrans et 3D. L’arrivée du téléviseur connecté pourrait même être une opportunité pour les chaînes, leur permettant d’étendre leurs offres, de distribuer du contenu complémentaire et des services interactifs, d’exploiter de nouveaux espaces publicitaires, de fidéliser leur public, de recruter des clients.
Le problème est que le web est par essence ouvert, ce à quoi les chaînes de TV sont hostiles.
L’opérateur sait que ce qu’il perdra sur la box, il le récupérera sur le web
Mais la question n’est pas de savoir s’il faut interdire l’ouverture du marché. Il faut comprendre en quoi les usages changent et voir comment s’y adapter pour en faire de nouvelles opportunités. Si Orange a racheté une partie de Dailymotion, c’est bien pour anticiper la migration de valeur. L’opérateur sait que ce qu’il perdra sur la
box, il le récupérera sur le web. Malgré la forte concurrence autour des services de TV connectée, pouvant opposer les différents acteurs entre eux, on est en pleine situation de « coopétition ».