Photographie du livre Fortune's Fool: Edgar Bronfman, Jr., Warner Music, and an Industry in Crisis par Fred Goodman

Warner Music Group ou les velléités d'Edgar Bronfman

Le PDG du groupe Warner a connu, depuis son association désastreuse avec Jean-Marie Messier, un véritable échec.

Temps de lecture : 4 min

Né avec une cuillère d’argent dans la bouche, Edgar Bronfman Jr. se donne pour tâche de s’émanciper de sa famille

Fortune’s Fool raconte l’histoire de la maison de disque Warner Music Group et de son président Edgar Bronfman Jr., héritier d’une grande fortune, des années 80 jusqu’à aujourd’hui. A travers les péripéties de la major du disque, Fred Goodman dresse un panorama informé et objectif des aventures de l’industrie du disque secouée par l’arrivée révolutionnaire d’Internet. Selon l’auteur, l’effondrement de Warner Music Group ne peut se comprendre qu’à travers l’itinéraire d’un homme, celui d’Edgar Bronfman Jr. surnommé Efer.

La famille Bronfman constitue sa fortune durant la prohibition des années 1920 au Canada et aux Etats-Unis. M. Sam – le grand-père d’Edgar Jr – a fait fortune dans la liqueur grâce à son entreprise Seagram. Son fils Edgar Sr prend la tête de cette compagnie avec son frère Charles. Puis, Edgar Bronfman Jr., né le 16 mai 1955 prend seul les rênes de la multinationale en 1982. Ses relations avec son père sont néanmoins complexes et il lui faut du temps pour être pris au sérieux au sein de la compagnie. Efer n’est pas particulièrement intéressé par le métier – il fut d’abord producteur et compositeur avant d’intégrer Seagram- et il souhaite, en fait, se débarrasser du secteur des spiritueux pour intégrer l’industrie de l’entertainment.

Cette prise de position apparaît, aux yeux de son père et son oncle, comme une erreur de débutant et son action se voit fermement décriée dans la presse. Ses relations familiales difficiles expliquent, en partie, la manière dont le jeune héritier de Seagram - entreprise spécialisée dans les liqueurs - a dirigé les compagnies du divertissement pendant près de vingt ans. Après avoir racheté Polygram et Universal Pictures, Efer a besoin d’un partenaire de poids dans l’industrie de l’entertainment. Pour lui, Seagram n’est plus une compagnie à la hauteur de ses ambitions ; il envisage donc une fusion décisive.  
 
En 2000, Jean-Marie Messier, chef d’entreprise français à la tête du groupe Vivendi, propose un poste de PDG adjoint à Edgar Jr. au sein du groupe Vivendi-Universal.
 

L’épisode humiliant chez Vivendi Universal

Pour Edgar Jr. l’épisode du conglomérat Vivendi n’est guère satisfaisant. Il détient peu de pouvoirs de décision au sein de l’entreprise et les décisions d’achat de Jean-Marie Messier sont prises sans aucune consultation comme celle de l‘acquisition de Maroc Telecom pour 2.7 milliards de dollars qui a conduit la compagnie à sa perte… L’affaire crée un scandale en Europe et aux Etats-Unis car le parachute doré de Jean-Marie Messier s’élevait à l’époque à 20 millions de dollars. Bronfman devient alors la risée des médias pour s’être associé à une entreprise dont l’échec est si retentissant.

Edgar Jr. décide alors de réorienter ses choix en misant sur une nouvelle entreprise d’entertainment : Warner Music Group. Edgar Jr. s’est toujours défendu d’avoir dilapidé la fortune familiale et affronte les critiques pour se rapprocher de Lyor Cohen - un maître dans l’art de la production musicale - ainsi que du manager Ahmet Ertegun qui a révélé Ray Charles.
 
 

L’achat de Warner Music Group

Bien que ces trois personnalités soient toutes différentes, Edgar est parvenu à faire travailler tous les labels d’un commun accord sous sa direction, et ce malgré les difficultés inhérentes au marché. En effet, l’achat de Warner Music Group (WMG) se déroule au moment où l’industrie du disque est en crise. De plus, un événement ébranle l’image de la major : c’est le single de l’artiste Hip-Hop Ice-T « Cop Killer ». Les syndicats policiers interprètent les paroles de ce « tube » comme une incitation à la violence envers les forces de l’ordre. Si Warner prend la défense de son artiste au départ, la compagnie choisit bien vite de retirer le titre des ventes pour éviter que l’affaire ne prenne trop d’ampleur.
 

Edgar Jr. parvient néanmoins à s’imposer comme un véritable chef d’entreprise puisqu’il arrive tout de même à retenir Madonna qui avait pourtant tenté un procès contre WMG.
 

Une entreprise qui tente tout pour sauver une industrie en crise

Malgré quelques bons résultats, l’entreprise WMG se trouve en crise, amplement, ébranlée par l’engouement pour Internet et les plateformes de téléchargement de Peer-to-Peer comme Napster. La réaction de Warner face à ce piratage à grande échelle, est la même que celle des grandes entreprises comme Universal. La compagnie lutte férocement contre les pirates et met tous ses efforts au service de la préservation du marché du CD. Cependant, Warner est peut être la première major, à investir dans d’autres marchés comme celui des sonneries téléphoniques, ou celui des goodies (produits dérivés)comme les T-shirt ou les vidéos à destination des internautes.
 

Ainsi, Fred Goodman qualifie WMG de compagnie qui tente tout pour survivre mais sans vraiment avoir de ligne directrice. Les employés de WMG témoignent même du changement radical qui s’est opéré au sein de la compagnie en soulignant que les politiques de marketing changent tous les mois.
Dans les faits, d’autres organisations ont pris le relais du travail des maisons de disque. Live Nation, entreprise d’organisation événementielle, semble être plus attrayante et plus lucrative que les vieilles maisons de disque. La rupture de Madonna avec WMG pour Live Nation à l’occasion de la signature de son dernier album Confessions on a Dance Floor sorti en 2005, en est un exemple significatif. En effet, si l’industrie de la musique enregistrée s’effondre, d’autres organisations indirectement liées à la musique engendrent des profits considérables, comme l’entreprise MusicToday qui produit, entre autres, des partitions ou des T-shirt. 


Les perspectives d'avenir de WMG

Pour l’auteur, WMG persiste dans l’erreur à vouloir conserver à tout prix son contrat 360° pour ses artistes, ce qui lui permet de gagner des royalties sur tous les produits dérivés d’un artiste. Fred Goodman n’est pourtant pas si négatif qu’on pourrait le croire sur l’avenir des maisons de disque : s’il affirme qu’elles n’ont pas su intégrer les nouvelles technologies dans leur fonctionnement, il défend en revanche leur capacité à dénicher des musiciens talentueux et à s’occuper de leur carrière. Pour lui, un producteur si proche des artistes, comme le fut Ahmet Ertegun ne serait plus possible à l‘ère d’Internet. Les artistes du Web, noyés dans la masse ont plus de mal à être reconnus et à perdurer.
 

Dans le prolongement de l’histoire de WMG et de son président, Fred Goodman dresse ainsi un bilan juste et modéré de la situation actuelle des labels. L’ouvrage étant très documenté, il est parfois possible de se perdre dans tous les détails des opérations de fusion et d’acquisition engagées par la famille Bronfman ; pour avoir une vue plus générale des producteurs et labels musicaux, il est possible de se référer au précédent livre de l’auteur The Mansion on the Hill.
 

Pour aller plus loin

  • Fred GOODMAN, The Mansion on the Hill, Dylan, Young, Geffen, Springsteen, and the Head-on Collision of Rock and Commerce,  Vintage (March 31, 1998), 464 pages,
  • Brian SOUTHALL, The Rise & Fall of EMI Records, Omnibus Press (September 1, 2009), 278 pages,
  • David KUSEK, Gerd LEONHARD, The Future of Music, Manifesto for the Digital Music Revolution, Berklee Press (January 1, 2005), 197 pages,
  • Allen BARGFREDE, Music Law in the Digital Age, Berklee Press (December 28, 2009), 176 pages
  • Jacob SLICHTER, So You Wanna Be a Rock & Roll Star, How I Machine-Gunned a Roomful Of Record Executives and Other True Tales from a Drummer's Life,Broadway (May 10, 2005), 304 page
  • Steve KNOPPER, Appetite for Self-Destruction, The Spectacular Crash of the Record Industry in the Digital Age,  Free Press, 2009, 301 pages

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