La cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques de Londres en 2012, diffusée sur TV8 Mont Blanc

La cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques de Londres en 2012, diffusée sur TV8 Mont-Blanc.

© Crédits photo : capture d'écran TV8 Mont-Blanc

Jeux paralympiques : en 2012, ils étaient diffusés par une chaîne locale

En 2024, pour la première fois, France Télévisions diffuse les Paralympiques en intégralité. Douze ans plus tôt, les directs des Jeux paralympiques de Londres, eux, étaient retransmis sur TV8 Mont-Blanc, une chaîne locale.

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Nous sommes mi-août 2012 : les Jeux olympiques viennent à peine de se terminer. En Haute-Savoie, dans les locaux de la chaîne locale TV8 Mont-Blanc (aujourd’hui appelée « 8 Mont-Blanc »), les équipes s’agitent. Une semaine, ou peut-être dix jours avant les Jeux paralympiques, la décision tombe. Emmanuel Jaud, journaliste de 27 ans, apprend qu’il part à Londres couvrir l’événement sportif. On lui dit : « Fonce, débrouille-toi ! » Il réserve un hôtel, prend ses billets, son ordinateur et sa caméra sous le bras, puis rejoint, incrédule, la capitale britannique.

Son média, dont l’émission star fut pendant des années « La Place du village », un programme mettant en lumière les habitants et les paysages des Pays de Savoie, devient la seule chaîne française permettant de suivre en temps réel les 154 athlètes français engagés dans la compétition.

Peu d’intérêt

Cette année-là, du 27 juillet au 12 août, France Télévisions a diffusé 300 heures de direct : des Jeux olympiques du matin au soir. Mais ces Jeux paralympiques, historiques avec leurs 4 200 athlètes venant de 166 pays, ne bénéficient pas du même traitement, bien que le groupe en ait acquis les droits de diffusion télévisée. Seule une heure de direct a été visible sur les chaînes publiques. Les directs non commentés, juste avec le son d’ambiance, étaient disponibles sur le site de France TV sports.

À l’époque, « les Jeux paralympiques ne suscitaient pas d’intérêt majeur », précise Elie Patrigeon, directeur général du Comité paralympique et sportif français (CPSF) depuis 2019. Le nageur paralympique Sami El Gueddari dira même en 2012, lors d’une commission à l’Assemblée nationale, que « la France n’est pas prête à ce que les Jeux paralympiques fassent l’objet d’une diffusion en direct et en continu. » Selon une étude de l’Arcom, menée avec l’INA, la compétition paralympique de Londres a fait l’objet de 74 sujets dans les journaux télévisés du soir, contre 731 pour les Jeux olympiques.

Un caméraman aux Jeux paralympiques de 2012.
Toutes les épreuves des Jeux paralympiques de 2012 n'ont pas été enregistrées. Photo FRANCK FIFE / AFP

Le directeur du CPSF remarque qu’en 2012, OBS, le service officiel chargé de la captation des sons et des images de la compétition, ne filmait d’ailleurs pas toutes les épreuves : « Seulement 60 % à 70 % d’entre elles sont enregistrées. » Il se rappelle qu’en 2008, près de la moitié des épreuves de la manifestation sportive n’étaient pas captées. 

Pour une chaîne de télévision, détenir les droits sur les directs même sans les diffuser permet au moins une chose : « Être au cœur de l’événement, explique Elie Patrigeon. Cela donne par exemple accès à la zone mixte sur place », le lieu de rencontre entre les athlètes et les journalistes.

Plus de visibilité

Cette fin d’été 2012, les téléspectateurs de France Télévisions peuvent suivre la finale de cécifoot entre la France et le Brésil (remportée par la Seleçao), les cérémonies d’ouverture et de fermeture diffusées sur France Ô, des portraits de para-athlètes et un récapitulatif des résultats de la journée.

Ce n’est pas assez pour Benoit Coulon, un escrimeur français fan de handisport. Le 7 août 2012, ce jeune sportif valide lance une pétition en ligne : il demande au groupe de donner plus de visibilité à la compétition. Plus de 21 000 signatures sont recueillies, dont 16 000 en une semaine. Neuf jours plus tard et à treize jours de l’événement, France Télévisions revoit sa grille et programme un magazine quotidien de 52 minutes sur France 2.

Daniel Bilalian, alors directeur des sports de France Télévisions, expliquait ce choix dans Aujourd’hui en France : « Notre président [NDLR : Rémy Pflimlin] a voulu faire un geste de bonne volonté pour ne pas envenimer les choses. »

En parallèle, le groupe public propose de sous-licencier le flux. L’offre n’attire pas foule. Seule une chaîne répond à l’appel : TV8 Mont-Blanc. Sans concurrence, le canal local créé en 1989 récupère les droits de diffusion des Jeux paralympiques. Dès lors, le public peut suivre la compétition à la télévision dans les Pays de Savoie et via la plupart des bouquets satellites, câbles et boxes ADSL.

Un euro symbolique

Les Échos parle d’une acquisition pour « un euro symbolique ». Une information confirmée par Daniel Bilalian dans une interview donnée à Aujourd’hui en France le 18 août 2012 : « On a voulu vendre les droits pour un euro symbolique, et il n’y [avait] qu’un seul client : TV8 Mont-Blanc. »

« Lorsqu’on a su que des heures de direct allaient passer à la trappe, on a sauté sur l’occasion », se souvient avec joie Patrice Mallet, alors rédacteur en chef. La chaîne a l’habitude de couvrir des événements sportifs.

Installée au cœur des montagnes, TV8 Mont-Blanc a diffusé les Jeux paralympiques d’hiver de 2006 à Turin puis ceux de Vancouver en 2010. Les journalistes commentent aussi les coupes du monde de ski. « On avait senti qu’il y avait une attente particulière sur ces Jeux », se remémore le retraité.

« C’était hors-sol par rapport à ce qu’on diffusait d’habitude : des vaches et du reblochon »

Aux manettes de ce deal, Loïc Caron, alors responsable des programmes de la station régionale, contacte Sven Lescuyer, directeur délégué aux sports de France Télévisions. Les deux hommes se connaissent bien, ils travaillaient ensemble lorsque Loïc Caron était chez Eurosport : leurs médias avaient de nombreux droits de diffusion en commun. Un coup de téléphone et c’est acté. De nombreux mails s’ensuivent jusqu’à l’accord officiel : France Télévisions, membre de l’Union européenne de radio-télévision (UER), prévient l’organisation que TV8 Mont-Blanc devient co-diffuseur des paralympiques. « Sven m’ajoute alors dans la boucle d’échanges au sujet des réceptions techniques. Je suis co-destinataire de tous les scripts satellites de l’événement », indique Loïc Caron, aujourd’hui restaurateur. Jamais TV8 Mont-Blanc ne s’était placée pour des Jeux d’été. « C’était hors-sol par rapport à ce qu’on diffusait d’habitude : des vaches et du reblochon. »

Chez France Télévisions, douze ans plus tard, aucune trace de cet accord. Sven Lescuyer qui ne travaille plus pour le groupe n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet. « Peut-être que le contrat n’a pas été numérisé », justifie Frédéric Prallet Dujols, directeur délégué aux droits sportifs du groupe depuis cinq ans. « Je suis étonné, mais c’est possible que l’accord ait été fait ainsi, le marché a beaucoup évolué. Aujourd’hui, les Jeux paralympiques ont une valeur réelle et après ceux de Paris, je pense que ça va en prendre d’autant plus. »

TV8 Mont-Blanc se retrouve citée dans la presse nationale, les titres pointent la non-diffusion par France Télévisions. « Beaucoup se sont demandé pourquoi c’était cette petite chaîne de télévision qui faisait le travail et pas le grand groupe », se souvient Loïc Caron.

Folklorique

Cette acquisition permet à la station régionale d’émettre 77 heures de direct. Onze disciplines sont commentées et accompagnées d’un résumé du jour et d’un JT spécial.

Avec une heure de décalage horaire entre le Royaume-Uni et la France, TV8 Mont-Blanc doit adapter ses programmes de la journée. « Mais l’avantage, c’est qu’on n’a pas vraiment eu à chambouler nos grilles », précise Patrice Mallet. Selon lui, les téléspectateurs ne restent normalement pas plus d’une heure sur une chaîne locale, « juste le temps du journal télévisé, généralement ». Le reste de la grille se compose surtout de rediffusions. « Mettre les Jeux à la place, c’était parfait. D’autant plus que nous sommes une région de vacances, donc il y a du monde entre août et septembre ! »

Depuis Londres, Emmanuel Jaud se donne pour objectif d’interviewer le plus d’athlètes français. « Ils étaient très abordables, très contents de voir des journalistes s’intéresser à eux. Nous n’étions pas nombreux, nous n’avions pas à négocier de créneau d’interview. » En bonne entente avec les associations handisports et les organisations, Emmanuel Jaud suit les épreuves des Français, quitte à faire trois heures de bus pour aller les voir à l’aviron. Il réalise la grandeur de l’événement en arrivant dans le stade olympique. « Il y avait du monde partout, je ne savais plus où donner de la tête. » Certaines épreuves se jouent à guichets fermés.

« On avait des moyens minimalistes, il y avait beaucoup d’improvisation »

Emmanuel Jaud envoie ses images et assure quelques directs sur la chaîne locale, face caméra ou par téléphone. Sur le plateau, l’équipe est accompagnée de consultants du milieu handisport. Loïc Caron précise : « Il y avait des para-skieurs que la chaîne connaissait bien, comme Yohann Taberlet. Ils étaient ravis de commenter des épreuves paralympiques ! » C’est une première aux commentaires pour la plupart d’entre eux. « Certains sont devenus des amis, se réjouit Patrice Mallet. C’était magique ! On a rigolé, on s’est passionné, on se levait sur la table quand les Français gagnaient, il y avait un enthousiasme fabuleux ! »

« C’était folklorique », se remémore Sébastien Germain, journaliste à TV8 Mont-Blanc depuis treize ans. Les équipes recevaient du flux non traduit ni commenté. « Parfois, on devait traduire instantanément. On avait des moyens minimalistes, il y avait beaucoup d’improvisation. »

Deux millions de téléspectateurs

Sur les réseaux sociaux, quoique moins développés qu’aujourd’hui, des groupes se passent le mot de cette diffusion exceptionnelle. La chaîne n’atteint plus seulement un public local, les téléspectateurs viennent de tout le pays. « Le nombre de messages qu’on recevait était déconnant ! Des familles de personnes handicapées nous écrivaient pour nous remercier pour cette diffusion. On s’est dit qu’on faisait quelque chose qui avait de la résonance », sourit Loïc Caron.

François Hollande à Londres le 6 septembre 2012 pour rencontrer l'équipe de France Paralympique.
Le président de la République François Hollande rencontre l'équipe de France paralympique, à Londres, le 6 septembre 2012. Photo D. Echelard

Le 6 septembre 2012, François Hollande rend visite à la délégation française. La veille, à quelque 20 kilomètres des locaux de TV8 Mont-Blanc, un fait divers fait la Une des JT : la tuerie de Chevaline. Les journalistes britanniques sont sur le qui-vive pour interroger le président. Emmanuel Jaud se faufile dans la conférence de presse et l’interroge à son tour. Lui ne perd pas son objectif de vue : couvrir les Jeux paralympiques. « Un petit mot pour les spectateurs des Paralympiques qui sont toujours plus nombreux ? » François Hollande lui répond puis il glisse : « Je salue TV8 Mont-Blanc et je les remercie parce que c’est bien de s’intéresser à ces champions ! » Sébastien Germain en rigole aujourd'hui : « Nous avons tellement de fois rediffusé cette interview ! »

Le 3 octobre 2012, près d’un mois après la fin des Jeux paralympiques, la députée de Haute-Savoie Sophie Dion rend hommage à TV8 Mont-Blanc lors d’une commission de l’Assemblée nationale sur le bilan des Jeux olympiques. L’équipe de la chaîne est même conviée par le CSA (le Conseil supérieur de l’audiovisuel, désormais nommé Arcom) dans ses locaux à Paris pour être à nouveau félicitée. Le pari est réussi, le succès au rendez-vous.

« On était une petite chaîne locale sans mesure d’audience, indique Loïc Caron. On a senti qu’il y avait du monde qui nous regardait avec les courriers et les messages du public. » Interviewé dans Le Dauphiné sur le bilan de cette retransmission, le PDG de l’époque, Paul Rivier, parlait quant à lui de « deux millions de téléspectateurs, dont un nombre très important de téléspectateurs originaires de l’Île-de-France. »

Précurseurs

Face au succès des Jeux paralympiques de Londres, à Rio en 2016, France Télévisions change de cap et mise sur les Jeux paralympiques. Avec le décalage horaire, les épreuves sont souvent visibles en fin de journée, voire la nuit. « Je pense qu’ils se sont sentis obligés de diffuser cette édition. C’était une manière de s’acheter la paix », raconte Loïc Caron. Pour Elie Patrigeon, le directeur général du comité paralympique, le groupe public « a compris l’intérêt [de cette compétition] après le succès incroyable de Londres. »

Avec 400 heures de direct diffusées sur ses différents supports, la couverture de la chaîne britannique Channel 4 a fait date. Sa diffusion de la cérémonie d’ouverture avait réuni 11,2 millions de téléspectateurs.

« La chaîne a montré que ça pouvait être un spectacle extraordinaire. Après cet événement, c’est devenu quelque chose de très attractif », détaille Elie Patrigeon. Lors de la cérémonie de clôture, des artistes tels que Rihanna, Jay-Z ou encore Coldplay se sont produits sur scène. Cette édition à Londres est décrite comme l’une des plus abouties de l’histoire.

Pour Paris 2024, France Télévisions n’a pas raté le coche. Loin de là. Sa directrice, Delphine Ernotte-Cunci, déclarait d’ailleurs fin août 2024 dans Le Parisien vouloir « créer une dynamique irréversible dans l’exposition des Jeux paralympiques. […] Il y aura un avant et après Paris 2024 dans le regard des Français sur le handicap, c’est certain. »

Le comité paralympique veut y croire : avec Paris 2024, « on va dépasser le standard de Londres, les images sont identiques à celles des JO et le spectacle est au rendez-vous », salue Elie Patrigeon. Selon Ouest-France, au 4 septembre 2024, 2,4 millions de billets ont été vendus. En 2012, à Londres, 2,7 millions de tickets avaient trouvé preneurs.

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