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Les titres de presse écrite sont de plus en plus nombreux à proposer la fonctionnalité des articles lus, pour leurs abonnés. 

© Crédits photo : montage La Revue des médias / captures d'écran La Matinale, Le Monde, Le Monde diplomatique, Le Point, L'Express, Mediapart, The Economist, L'Équipe, Le Figaro

Articles audio : pourquoi certains préfèrent écouter la presse écrite

De plus en plus de titres de presse écrite proposent des versions lues de leurs articles sur leurs sites ou applications, avec des voix naturelles ou de synthèse. Avec quels résultats auprès des lecteurs ?

Temps de lecture : 7 min

C’est le petit-déjeuner. Attablée devant un café, Élisa sort son téléphone. Elle lance l’application du Monde, sélectionne un article et lance la lecture automatique. Après avoir ajouté cette option sur l’application La Matinale en novembre 2022, le quotidien la teste en effet depuis quelques mois sur une petite partie des utilisateurs de son application principale. Il a ainsi rejoint des titres proposant cette fonctionnalité à leurs abonnés depuis quelques années. Comme Le Monde diplomatique (225 606 écoutes en moyenne par mois en 2023), L’Express (30 000 écoutes par mois sur l’application et le site, deux à trois articles écoutés par utilisateur et par mois, 600 articles générés par mois), Mediapart (sélection de cinq articles par semaine, 24 000 écoutes par mois, avec en moyenne 14 000 auditeurs uniques mensuels), sans oublier Le Figaro. Libération prévoit également de s’y mettre en 2024.

Professeure d’histoire-géographie dans le secondaire dans le centre de la France, Élisa, 29 ans, est abonnée au Monde et à Mediapart. Mais elle n’écoute que le premier, elle n’a pas remarqué que Mediapart proposait aussi cette fonctionnalité, avec des acteurs. Quand elle est déprimée, elle opte pour des articles « feel good », mais écoute le plus souvent les papiers à la Une. « J'aime vraiment bien les articles du Monde, raconte-t-elle, le téléphone à la main. Dernièrement, je n'ai pas pu beaucoup en lire, et ça me pose un souci. Si des élèves me posent des questions, me demandent des références, je ne peux pas forcément répondre et c'est un problème. » Et d’ajouter que s’informer, « c’est un peu [son] boulot aussi ».

« Une écoute passive »

Ces articles, si elle en avait le temps, elle les lirait. Mais justement, quels moments consacre-t-elle à cette écoute ? Élisa l’avoue, « faire des trucs » en silence chez elle, ce n’est pas sa tasse de thé. « Si je rentre du boulot, que je dois faire à manger ou que je n'ai pas le temps de me poser pour lire, eh bien j'écoute. » Et dans la voiture alors ? « Il faudrait que j'aie une enceinte. Je préfère écouter la radio dans ce cadre-là. » D’ailleurs, la professeure écoute beaucoup de podcasts, ces pratiques sont mêmes liées, selon elle. « Si je n'écoutais pas de podcasts, je n'aurais pas forcément écouté ces articles lus automatiquement. Mais je n’en écoute pas non plus trois par jour. Et s’il y a un podcast de France Culture vraiment intéressant sur le même sujet, je vais le prioriser. »

Pour Soundoussia, 29 ans, attachée de presse, ces offres sont incontournables dans sa routine quotidienne d’information. Principalement en télétravail, lorsqu’elle exécute une action qui n'a pas de « valeur ajoutée intellectuellement, longue et répétitive ». Durant des sessions d’une heure, « c'est un peu comme si j'écoutais un podcast et ça me permet de parcourir la presse rapidement », ajoute-t-elle. Elle concentre sa lecture sur quelques médias : Le Monde, Le Figaro — parfois Le Parisien — et écoute les articles, d’une durée comprise entre cinq et dix minutes. Soundoussia est aussi une fidèle de la revue de presse internationale de France Culture le matin, ainsi que des podcasts du Parisien et des Échos. « Étant donné mon travail, il est important que je puisse passer en revue l'actualité. Pour Soundoussia, tout comme Élisa, cette pratique est un « pis-aller » : « Je le fais par manque de temps. »

« Écouter peut-être parfois plus fatigant, finalement »

Les articles lus sont un bonus pour Timothée — un nice to have, pour reprendre son expression. Âgé de 30 ans, le responsable digital dans les télécoms est un auditeur quotidien de podcasts, principalement sur le chemin du travail. L’écoute d’articles se retrouve cantonnée aux moments sédentaires. « J'écoute zéro article la plupart des jours, mais parfois ça peut monter entre cinq ou dix en une journée, analyse-t-il. Si j’en écoute un tout en scrollant sur autre chose, c’est que je n'ai pas envie de passer cinq minutes à le lire. C'est une écoute passive, comme pour la radio en fond. Je lis si je suis vraiment intéressé par les sujets.  » Son offre préférée d’articles à écouter ? The Economist — pour les abonnés — depuis son ordinateur. « La voix est naturelle, ça donne l'impression d'écouter un podcast. C'est le même article à la virgule près, dans un anglais très propre. » « Avide lecteur du Monde » sur le site, il ne savait pas que l’option existait sur l’application. « Je ne suis pas sur le bon canal », ajoute-t-il en riant.

Si la voix naturelle peut convaincre, l’équivalent synthétique crée de la frustration. Le résultat est « un peu aride, estime Élisa, abonnée au Monde. Mais ça correspond à l’identité audio du journal, même chose avec leur podcast “L’Heure du Monde. » Yannick, 42 ans, occupe un emploi administratif. Des articles lus, il en a écouté. Un peu. Et puis il a vite arrêté. « C'est pas génial en fait, dit-il, de but en blanc. Un jour, j'écoutais un podcast et je suis tombé sur un article sur le site du Figaro. Il avait l'air intéressant, j'ai vu qu'il était possible de l'écouter. Comme j'avais mes oreillettes, je l'ai lancé... et j'ai tenu la moitié de l'article. Le ton est trop monotone, et on retrouve les mêmes voix un peu partout, ça n'a pas de personnalité. Je n'arrive pas à entrer dedans. »

« Lorsque j’écoute un article très long avec une voix artificielle, j’ai du mal à me concentrer, abonde Soundoussia. Ça devient juste un fond sonore. » Elle se plaint également de coupures lorsqu’elle parcourt l’application du Monde. « Il y a des limites techniques, renchérit Timothée. Lorsque tu lances l’écoute d’un article, il est quasi impossible de savoir où tu te trouves dans le texte. Et s’il y a un problème, que ça se déconnecte, bon courage pour reprendre la lecture où ça s’est arrêté. » Sans parler des voix synthétiques et de leur « petit côté GPS des années 2010 ».

« Terminator »

Grand auditeur de podcasts et de radio, Stephan, 58 ans, travaille à l’intersection des nouvelles technologies et des médias. Il écoute « une quinzaine ou vingtaine d’articles lus par jour » — mais quasiment aucun venant de médias français. « Le Monde se détache nettement : du fait de l’incarnation de ses contenus avec ces voix clonéesl’intelligence artificielle permettant de reproduire avec précision les intonations de voix d’actrices et acteurs — la lecture est beaucoup plus personnifiée, analyse-t-il. La plupart des autres médias utilisent les mêmes voix, les mots sont mal transcrits en audio, la lecture est toujours saccadée avec des grossières erreurs de retranscription. » Entre les frictions techniques et le travail supplémentaire pour bien comprendre ce qui est dit, « écouter peut-être parfois plus fatigant, finalement ».

Plusieurs personnes contactées racontent aussi recourir à de l’écoute automatique de contenus en ligne — sans pour autant passer par les offres des sites d’information. Perceval Barrier, illustrateur de livres pour enfants, n’est abonné à aucun site d’information proposant cette option. Avant de travailler, il sélectionne un article, le télécharge en PDF, l’ouvre avec TextEdit sur son Mac, puis lance la synthèse vocale. « Le résultat de la synthèse vocale sur Mac est épouvantable, assène-t-il. Mais c'est une façon pour moi de beaucoup lire tout en travaillant, car je prends peu le temps de le faire sur mon temps libre. » Le style, l’humour des articles — ceux d’Arrêt sur images, par exemple, qu’il écoute de cette façon — sont « dégommés ». Mais cela crée, selon lui, une certaine poésie supplémentaire.

« L'accessibilité des sites de presse en général est juste catastrophique »

Francis*, la quarantaine, auto-entrepreneur dans le bâtiment, écoute des articles en passant par la synthèse vocale de son navigateur web favori, Firefox — Chrome propose la même chose. Pour lui, pas question de gagner en temps et en efficacité. Non, l’enjeu est de pouvoir s’informer malgré son handicap. « J’ai des problèmes aigus de concentration, au niveau cognitif. Les intervalles où je peux lire en pleine possession de mon attention sont limités », décrit-il. Avant d’utiliser les fonctionnalités des navigateurs web, Francis écoutait les articles, comme Perceval, en passant par la synthèse des traitements de texte — « les voix, c’était Terminator ». Puis il est passé sur les offres des médias, lors de leur apparition (« J’en étais très content »)… avant de totalement les abandonner. Pourquoi ? « La fonction native de Firefox a pour avantage de proposer une option de vitesse de lecture. Ce qui peut me permettre de mieux profiter du texte. Dans les moments où c'est nécessaire pour moi de consulter des informations, j'ai besoin que ça parle vite parce que mon temps de concentration est court. » Il ne se voit pas « retourner en arrière », vers les offres d'écoute des sites d'information.

« Ces offres de synthèse vocales sont faites essentiellement pour des gens qui sont soit des personnes empêchées de lire, les dyslexiques et dyspraxiques », estime Manuel Pereira, 59 ans. D’ailleurs, le responsable du pôle accessibilité de l’association Valentin Haüy, qui accompagne les déficients visuels, ne les utilise pas non plus. Il est pourtant aveugle : « Avec leurs systèmes, les journaux ne nous visent pas du tout en tant que public. » Pour s’informer en ligne — « l'accessibilité des sites de presse en général est juste catastrophique », ajoute-t-il par ailleurs — Manuel Pereira utilise des assistants techniques. Apparus au milieu des années 1990, ils intègrent la synthèse vocale et le braille. « Ils me proposent des choses de très bonne qualité, qui me permettent de naviguer dans les articles, de paragraphe en paragraphe, d’avoir une lecture très spécifique. » À travers ces témoignages, se dessine donc l’offre idéale : une voix naturelle, doublée d’une ergonomie adaptée à tous. À bon entendeur ?

* Le prénom a été modifié à la demande de la personne

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