captures d'écran de JT évoquant le conflit israélo-palestinien

De gauche à droite : reportages sur le siège de la basilique de la Nativité à Bethléem (2002), sur les bombardements des tunnels à Rafah (2009) et sur la montée des violences après les meurtres d’adolescents israéliens et d'un jeune Palestinien (2014).

© Crédits photo : captures d'écran des JT TF1/ France 2/ France 3

Avant l’attaque du Hamas, le conflit israélo-palestinien avait presque disparu des JT

INFOGRAPHIES. Jusqu’à l’attaque terroriste lancée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, la couverture du conflit israélo-palestinien était en forte baisse depuis une vingtaine d’années. Quelques épisodes ont malgré tout connu des pics de médiatisation.

Temps de lecture : 6 min

Samedi 7 octobre, l’attaque surprise menée par le mouvement terroriste Hamas contre Israël qui a coûté la vie à plus de 1 400 Israéliens — principalement des civils —, a remis le conflit israélo-palestinien au cœur de l’actualité. Depuis une vingtaine d’années, il était en effet de moins en moins couvert dans les journaux télévisés du soir. C’est l’une des leçons de notre plongée statistique dans les quelque 13 000 reportages, brèves ou sujets de plateaux diffusés dans les JT du soir entre 1995 et juin 2023 (voir méthodologie en bas d’article).

1. Un conflit de moins en moins couvert depuis vingt ans

Sur l’ensemble de la période étudiée, les chaînes de télévision ayant le plus parlé d'Israël et de la Palestine dans leurs journaux télévisés du soir sont Arte (31 % du corpus) et France 2 (22 %) devant TF1 (16 %), France 3 (15 %), M6 (8 %) et Canal+ (7 %). 

L’intensité de la médiatisation a connu, malgré quelques soubresauts, une évolution très nette. Depuis la fin de la seconde Intifada en 2005, la couverture du conflit israélo-palestinien était en effet en forte baisse.

Interrogé sur ce désintérêt par La Revue des médias en 2021, Charles Enderlin, correspondant de France 2 en Israël entre 1981 et 2015, avançait trois facteurs d’explication. D’abord, l’impression, chez les directeurs de rédactions, « que le conflit israélo-palestinien a perdu de son importance », en raison notamment de la normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays du Moyen-Orient ou le Maroc, par exemple. S’ajoute à cela, expliquait-il, la « crainte de se retrouver face à des réactions extrêmes, de la part des deux camps ». Et de rappeler les pressions infructueuses exercées par l’ambassade d’Israël, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) ou le Consistoire central israélite, pour empêcher la diffusion, en 2018, du reportage d’Envoyé spécial (France 2), Gaza, une jeunesse estropiée. Charles Enderlin relevait enfin une moindre attention des JT à la politique étrangère.

Ce désintérêt médiatique pour le conflit israélo-palestinien n’est pas uniquement français et trouve une traduction concrète sur le terrain, avec la fermeture par plusieurs chaînes de leurs bureaux permanents à Jérusalem (ABC, NBC, CBS, et en France TF1 en juin 2019).

Sollicité pour commenter la baisse de couverture du conflit israélo-palestinien par les journaux télévisés, Xavier Guignard, chercheur au sein du centre de recherche indépendant Noria Research et spécialiste de la Palestine, relève « une accentuation de la médiatisation dans les périodes de violence, notamment quand elles impliquent les Israéliens, soit parce qu'ils sont engagés dans un conflit avec le Hamas à Gaza, soit parce qu'ils sont visés par des séries d'attentats pendant la seconde Intifada ». Ce qu’il explique par l’absence de nouveauté sur le terrain politique ou diplomatique. « Dans le creux de 2013, il y a quand même l'annonce d'une reprise des négociations sous l'égide de Barack Obama, qui objectivement est une vraie nouvelle politique. C'est le dernier cycle de négociations israélo-palestiniennes et c'est presque l'année où il y a eu le moins de couverture. » Également interrogé, le spécialiste d’Israël Alain Dieckhoff, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre de recherches internationales (Ceri), abonde et précise : « Entre 2014 et 2021, la violence n'a jamais cessé, avec des tirs de roquettes et des ripostes d'artillerie, mais elle était plus banalisée. Elle n'apparaissait donc pas comme méritant forcément un sujet. »

Si l’on s’en tient aux chiffres, entre 1995 et 2023 : 6 % des descriptions des sujets de JT se rapportant au conflit israélo-palestinien mentionnent le terme « diplomatique » et/ou « négociation » entre les deux pays, et moins de 3 % le terme « élection ». À titre de comparaison, 11 % évoquent spécifiquement un ou des « attentats » et 13 % mentionnent l’« armée israélienne ».
 

2. Trois moments ont malgré tout suscité une intense couverture médiatique

  • La seconde Intifada (2000-2005) a concentré près de la moitié (44 %) des sujets de JT sur le conflit depuis 1995

Sur les près de trois décennies passées, l’épisode du conflit israélo-palestinien le plus couvert par les JT a de très loin été la seconde Intifada (septembre 2000 – février 2005), déclenchée à la suite de la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées et le mont du Temple, à Jérusalem. Dans cette séquence, le mois d’avril 2002 concentre à lui seul 399 reportages, brèves ou plateaux diffusés dans les journaux télévisés du soir de TF1, France 2, France 3, Canal+, M6 et Arte — un record. Ce mois-là, les sujets les plus récurrents concernent les opérations militaires comme l’opération « Rempart » déclenchée le 29 mars par le gouvernement d’Ariel Sharon avec la construction d'un mur pour séparer Israël de la Cisjordanie, ou encore le siège de près de quarante jours de la basilique de la Nativité à Bethléem, mené par l’armée israélienne. TF1 y avait consacré ce sujet :

Cet épisode se solda par un accord : en échange de la levée du siège par l'armée israélienne, les Palestiniens évacuèrent l'église, et 13 d'entre eux, jugés les plus dangereux par Tsahal, s'exilèrent à Chypre.

Les autres sujets les plus traités dans les JT du soir de cette période traitent des questions diplomatiques (notamment l’isolement de Yasser Arafat à Ramallah), de la couverture d’actes antisémites en France principalement ou de leur prévention et, enfin, de la question humanitaire.

  • En 2009, l’opération « Plomb durci » dans la bande de Gaza

Le deuxième mois au cours duquel le conflit israélo-palestinien a été le plus couvert est janvier 2009. 397 reportages, brèves ou plateaux évoquent alors principalement l’opération « Plomb durci », lancée fin décembre 2008 et qui s’achève le 18 janvier 2009. Les journaux télévisés du soir traitent en particulier du déroulement de l’opération au cours de laquelle l'armée israélienne bombarde la bande de Gaza en réponse au lancement de roquettes et de tirs de mortiers sur le sol israélien à partir du 19 décembre 2008. Les journalistes évoquent ainsi la suspicion de l’utilisation par l’armée israélienne d’armes très décriées — des bombes au phosphore blanc —, ou encore la chasse aux tunnels de contrebande dans Gaza. France 2 y avait consacré ce sujet :

L’enjeu diplomatique est l’autre thème majeur abordé en janvier 2009 dans les JT, porté par l’ambition du président Nicolas Sarkozy de négocier un cessez-le-feu entre les deux parties.

  • En 2014 : l’opération « Bordure protectrice »

Le troisième mois le plus abordé dans les JT correspond au lancement d'une autre opération militaire israélienne dans la bande de Gaza en juillet 2014. Nommée « Bordure protectrice » et intervenant en réaction à l’assassinat de trois adolescents israéliens enlevés le mois précédent, cette opération suscite une importante couverture, avec 395 reportages, brèves ou plateaux.

Sur cette période, les journalistes traitent en premier lieu des opérations militaires et des violences, y compris leur bilan humain — selon l’ONU : 56 morts côté israélien, dont trois civils ; plus de 1 100 victimes côté palestinien, dont près de 800 civils — puis des manifestations, qu’elles soient pro-palestiniennes, pro-israéliennes ou pour la paix. Mais aussi de la question humanitaire et enfin des questions diplomatiques.

 

Méthodologie

Avec l’aide des équipes de l’Inathèque nous avons rassemblé un corpus de plus de 13 000 notices correspondant à la fois à des reportages, des brèves et des plateaux diffusés sur les journaux télévisés du soir des chaînes TF1, France 2, France 3, Canal+, M6 et Arte entre janvier 1995 (date du début du dépôt légal) jusqu’à juin 2023. Ce corpus a été sélectionné via les mots-clés (singulier et pluriel le cas échéant) : Israël, israélien, israélienne, Palestine, palestinien, palestinienne et Gaza. Sans être limité au strict conflit israélo-palestinien, ce corpus permet de donner une idée de l’intensité de la couverture de ce dernier. Les chiffres présentés ici sont donc à prendre comme des indicateurs de tendance. Il est à noter qu’à partir de 2018, la chaîne Canal+ n’a plus de JT du soir.

Après avoir détecté les mois au cours desquels le conflit israélo-palestinien a été le plus médiatisé (avril 2002, janvier 2009 et juillet 2014), une étude qualitative des thématiques les plus abordées a été réalisée sur la base des notices des reportages, des brèves et des plateaux établies par les documentalistes de l’INA. Nous avons choisi de porter notre attention sur ces trois mois qui atteignent chacun près de 400 reportages, brèves ou plateaux — soit plus de deux sujets par jour et par JT. Aucun mois de l’année 2006 n’a atteint ces records, alors que cette année représente pourtant un pic (visible sur notre graphique) avec 767 sujets. Cela explique que 2006 ne figure pas dans notre recension des trois séquences les plus médiatisées.

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