Ana Jiménez, journaliste de Gala, filme avec son téléphone des personnalités présentes lors du Gala national à l'opéra de Paris le 21 septembre 2023.

Ana Jiménez, journaliste à Gala, filme avec son téléphone des personnalités présentes lors du Gala national à l'opéra de Paris, le 21 septembre 2023.

© Crédits photo : Florine Amenta

La recette gagnante de « Gala » sur TikTok

Premier compte au monde d'un média people sur TikTok, « Gala » génère des centaines de millions de vues en postant des vidéos de célébrités. Voici comment il procède.

Temps de lecture : 5 min

Ana Jiménez ne quitte jamais des mains son téléphone. En tout cas, jamais lorsqu’elle est en déplacement pour Gala. Pour éviter de perdre ou de faire tomber son iPhone, la journaliste de 31 ans l’a même équipé d’un solide cordon qu’elle passe autour de son cou. Lorsque l’application de l’appareil photo n’est pas déjà ouverte sur son écran, elle sait la dégainer à toute vitesse. Ana Jiménez fait partie de ces petites mains qui alimentent la machine de guerre de Gala : son compte TikTok. Avec 8,8 millions d’abonnés (en septembre 2023), c’est un peu comme si toute la population suisse visionnait les vidéos tournées par le titre people, « premier média européen sur TikTok et troisième compte média au monde », selon Alexandre Maras, son rédacteur en chef adjoint. Objectif : « dépasser MTV et ses 9,8 millions d’abonnés »

Pour l'atteindre, Gala — qui est en train d'être racheté à Prisma par Le Figaro — multiplie les images de célébrités captées par ses journalistes sur et en dehors des tapis rouges. Toute l'équipe est amenée à produire du contenu pour le compte. « Si une journaliste beauté est à un événement et croise une célébrité, elle va sortir son téléphone et filmer pour nous envoyer les images », raconte Maurane Hugon, social media manager. Environ six personnes ont la main sur le compte pour poster, une fois les vidéos réceptionnées.

Ana Jiménez était présente lors du Gala national organisé à l’opéra Garnier, jeudi 21 septembre 2023, à Paris. Ce jour-là, dans l’espace dédié aux photographes, entre leurs cris et les flashs de leurs installations, la journaliste est la seule à ne pas dégainer d’objectif dernière génération. Son iPhone lui suffit. Placée face au photocall, elle balaye du regard la foule présente dans le hall de l’opéra. 

À l’aide du trombinoscope des invités affiché sur son écran de téléphone, elle cherche des stars « de la génération TikTok ». Pour être certaine de ne rater personne, elle est sur le qui-vive, quitte à filmer certains sans trop savoir de qui il s’agit. Elle triera ses images et enverra un topo à son équipe à la première accalmie, ou une fois rentrée. Car les fins d’événements, les coulisses et les images non-officielles sont parmi les plus prisées des utilisateurs de TikTok. Lorsque les célébrités sortent de leur hôtel pour aller à un défilé, entrent dans leur voiture… Ce même jour, le compte de Gala sera alimenté par des vidéos du dîner d’État entre Emmanuel Macron et le roi Charles III, la présence de Zinédine Zidane à une soirée ainsi que des images d’Usain Bolt sur les toits de Paris. 

Des vidéos basiques mais uniques

« Les contenus sont simples à produire, ce sont des vidéos brutes, sans montage », analyse Myriam Roche, fondatrice des Gens d’Internet, un média qui traite des actualités des créateurs de contenus et des réseaux sociaux. « C’est d’autant plus facile à mettre en ligne, car ils peuvent récupérer plein de petits extraits de leurs vidéos et publier à un rythme très dynamique. » 

« On peut désormais s’adresser à des lecteurs qui ont entre 15 et 70 ans »

Lorsque le prince Harry s'est rendu avec Meghan Markle aux Jeux Invictus en Allemagne à la mi-septembre, neuf vidéos de moins de quarante secondes ont été postées en quelques heures seulement. Chacun des mouvements du couple a son post TikTok, de son arrivée sur place, aux prises de photos avec les fans en passant par son installation dans les gradins. Quatre jours après avoir été postée, l’une des vidéos avait déjà cumulé 26,5 millions de vues. 

Vidéos classées dans l'ordre croissant du nombre de vues sur le compte TikTok de Gala
Aperçu des vidéos les plus visionnées sur le compte TikTok de Gala au 26 septembre 2023.

« En publiant beaucoup, le compte multiplie ses chances d’être visible et de toucher les personnes qui seront intéressées », analyse Myriam Roche. Sur TikTok, Gala ne s’adresse pas aux mêmes personnes que sur son site ou avec sa version papier. Le magazine attire majoritairement un public de plus de 35 ans, là où le compte TikTok touche « une tranche d’âge d’environ 15-35 ans ». « Le but, c’est d’avoir des audiences différentes, on peut désormais s’adresser à des lecteurs qui ont entre 15 et 70 ans. TikTok permet de rajeunir notre audience en touchant ceux qui n’auraient pas nécessairement connu Gala », précise Alexandre Maras. 

Vendre du rêve

Sans description sous les posts, seuls quelques hashtags permettent d’identifier le lieu et de s’assurer de l’identité de la personne représentée. Mais alors, qu’est-ce qui attire tant dans ces vidéos très peu contextualisées ? « Il y a un côté coulisses qui plaît beaucoup au public », explique Virginie Spiès, analyste des médias. « On nous montre de manière instantanée ce à quoi nous n’avons pas accès, vous et moi. » À l’image du magazine sur papier glacé créé en 1993, les vidéos « vendent du rêve. Et ça marche très bien avec TikTok parce que ce qui intéresse Gala, c’est de montrer la belle robe, le beau bijou, la montée des marches, de faire rêver les gens. Ce réseau social est idéal, c’est celui de la rapidité, on va scroller pour du pur divertissement. » 

Afin d’obtenir les images voulues, les journalistes comme Ana Jiménez sont présents devant les photocalls mais pas uniquement. « On est beaucoup au même endroit, au même moment, donc il faut savoir se démarquer ; essayer de trouver le meilleur accès, l’angle original », détaille Alexandre Maras. « Je me souviens d’une vidéo où l’on voit l’acteur Tom Holland rencontrer Mbappé. Notre force, c'est aussi d’avoir un œil différent, pas seulement lorsque les stars posent, mais aussi l’avant et l’après. » Fin septembre 2023, le record de nombre de vues sur le compte était détenu par l’acteur américain Michael B. Jordan lors de l’inauguration de son étoile sur le Hollywood Walk of Fame. La vidéo a été visionnée plus de 91 millions de fois. 

Audience internationale

Dans ces vidéos, aucun journaliste ne parle, et les personnes mises en avant viennent du monde entier. Seuls le « .fr » et le drapeau tricolore ajouté au nom du compte permettent à l’utilisateur de connaître la nationalité de Gala. Au lancement du compte en 2020, parmi les abonnés, seul un quart était francophone. C’est bien là tout l’avantage de TikTok : la plateforme n’a pas de frontière. En 2023, le géant chinois comptait 1,7 milliard d'utilisateurs actifs mensuels dans le monde. « Un de nos premiers posts était une vidéo de Virgil van Dijk, un footballeur néerlandais. Ça a réalisé des centaines de milliers de vues parce que le post a été diffusé aux Pays-Bas », se remémore Alexandre Maras.

Pour expliquer le fonctionnement de l’algorithme de TikTok, Myriam Roche le compare à une série de tests. « TikTok prend un premier échantillonnage de personnes qui vont voir la vidéo. La plateforme analyse le type de profil qui a apprécié [en étant resté, en ayant commenté ou liké la vidéo] en se basant sur l’âge, le lieu, mais aussi les autres types de contenus appréciés par ce même utilisateur. » Grâce à ces données, les vidéos sont ensuite diffusées aux utilisateurs qui correspondent le mieux aux résultats. Le public touché par les contenus de Gala est très large puisqu'on y trouve autant des amateurs de sport, de mode, de musique ou encore de cinéma.

Posts sponsorisés 

Pour décider de couvrir ou non un événement sur TikTok, la rédaction cherche à savoir « s’il y aura des personnalités qui sont en phase avec notre audience sur ce réseau social », explique Alexandre Maras. Mais la décision peut aussi relever d'une logique commerciale. Gala est parfois contacté directement par des marques pour suivre leurs événements et publier des vidéos sur TikTok. « Ça fait partie de deals commerciaux : on nous offre une enveloppe pour couvrir une soirée. Après, on n’accepte pas toujours. Il faut quand même qu’il y ait des personnalités à la hauteur de notre compte et de ce qu’attend notre communauté », précise Maurane Hugon, social media manager du titre. On parle alors de posts sponsorisés.

Pour que l’utilisateur de la plateforme en soit informé, « on identifie toujours la marque avec son nom dans la légende ainsi qu’un hashtag ». C'est une forme de publireportage. « On a énormément d’opérations et ça génère des revenus confortables », ajoute le rédacteur en chef adjoint. « En 2023, 40 % des revenus liés au social media sont générés par TikTok. » Mais la social media manager l’assure, « les marques nous font confiance donc nous n’avons quasiment jamais de briefs détaillés, nous restons libres de ce que l’on produit. C’est important qu’on puisse garder notre ADN. »

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