la capitaine de l'équipe de France de handball feminin Sandrine Mariot (D) soulève le trophée en argent de la deuxième place, le 12 décembre 1999 à Lillehammer, après avoir perdu la finale contre la Norvege 24-25, le 12 décembre 1999.

La capitaine de l'équipe de France de handball féminin Sandrine Mariot soulève le trophée de vice-championnes du monde, le 12 décembre 1999.

© Crédits photo : THOMAS COEX / AFP

Le jour où le handball féminin a détrôné Michel Drucker à la télévision

Personne ne l’avait vu venir : le 12 décembre 1999, l’équipe de France féminine de handball arrive en finale du championnat du monde. L’émission phare de Michel Drucker, « Vivement dimanche », lui cède la place in extremis sur France 2. Un évènement qui en dit long sur la lente et difficile médiatisation de ce sport au féminin. 

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Vingt-quatre années ont passé mais cet épisode reste vif dans la mémoire collective des handballeuses de l’époque. Qualifiée par miracle pour le championnat du monde 1999, l’équipe de France féminine atteint la finale alors que personne ne l’attendait à ce niveau. Surtout pas France Télévisions, le diffuseur de la compétition, qui rappelle son envoyé spécial Patrick Montel la veille de cette première finale internationale. Car le coup d’envoi, prévu à 19 heures, le 12 décembre, tombe au milieu de « Vivement dimanche », le sacro-saint rendez-vous de Michel Drucker sur France 2.

La suite, c’est le directeur technique national Philippe Bana qui la raconte dans son livre, Le Roman du hand tricolore (Marabout, 2018). « Lorsque je l’apprends, je deviens fou, écrit le dirigeant, pas encore président de la Fédération française de handball (FFHB). C’était minable et méprisant, tout ça parce qu’on parle de sport féminin. Ça allait à l’encontre de notre idée consistant à mettre les filles en lumière. » Enragé, Bana passe un coup de fil à la ministre des Sports, Marie-George Buffet, qui promet de l’aider de son mieux. En attendant, il téléphone à la rédaction sportive du service public, tombe sur un stagiaire dénommé Florent Houzot — futur directeur de la rédaction de BeIN Sports — qui prend sur lui de contacter la directrice générale de France 2, Michèle Cotta. Bana essaie d’écarter de l’antenne le roi du PAF et de la messe télévisée du dimanche soir mais on lui répond gentiment qu’on ne chamboule pas la programmation à la dernière minute, encore moins s’il s’agit de cette émission phare du dimanche.

« Un sport macho »

L’intervention de Marie-George Buffet auprès de Michèle Cotta aurait eu plus de poids. Cette dernière n’a pourtant pas gardé en mémoire une intervention politique. « On n’avait pas acheté les droits pour arrêter la diffusion juste avant la finale, assure l’ancienne dirigeante. D’ailleurs, nous avons été la première chaîne à se mobiliser pour le handball féminin. » Si bien que le dimanche soir, les handballeuses tricolores rassemblent entre six et plus de dix millions de téléspectateurs, selon les sources, pendant soixante minutes de temps réglementaire, plus deux prolongations. Malgré la défaite contre la Norvège (25-24), l’équipe de France peut se satisfaire d’avoir « déboulonné Drucker puis zigouillé le journal télévisé de 20 heures », selon l’expression de Philippe Bana.

Quelle fut la réaction de Michel Drucker ? L’animateur n’a pu être joint. De son côté, Michèle Cotta estime aujourd’hui que « c’était toujours embêtant d’enlever Drucker de l’antenne » et qu’elle avait « peut-être enrobé » en lui disant : « Excuse-moi, mais on est obligé. » D’autres sources croient se souvenir que le roi du PAF aurait « râlé » sur le moment puis changé sa version, bien plus tard, assurant qu’il avait approuvé le changement de programme. Pour l’anecdote, Patrick Montel, à peine rentré en France, avait été renvoyé à Lillehammer par le premier avion pour commenter en direct ce match fondateur pour la médiatisation du hand féminin.

« Le handball français ne se résumait plus seulement aux Barjots »

« Au début du tournoi, il y avait peut-être deux journalistes qui nous suivaient, se souvient Nodjialem Myaro, l’une des vice-championnes du monde 1999. L’intérêt a grandi pendant qu’on avançait dans la compétition. Après la finale, même perdue, on a senti que le handball français ne se résumait plus seulement aux Barjots », le surnom donné aux doux dingues de la sélection masculine, à partir de leur médaille de bronze aux Jeux olympiques de Barcelone, en 1992. Une équipe qui va devenir la plus titrée de l’histoire des sports collectifs français (douze médailles d’or internationales entre 1995 et 2021).

Philippe Bana situe la bascule en 1998, quand Marie-George Buffet, fraîchement nommée ministre des Sports par Lionel Jospin, « a commencé à parler un peu plus fort du sport féminin ». Elle a réclamé un effort de parité aux fédérations trop concentrées sur la pratique masculine. Cette impulsion venue du sommet valide celle de la FFHB. À son arrivée en 1996, comme directeur technique national adjoint, Bana faisait ce triste constat : « Il manquait une vraie volonté de s’y coller. Je n’ai pas peur de dire qu’on était alors un sport macho, tellement fier de ses garçons qu’il avait du mal à se dire qu’il serait bon d’investir ailleurs. »

Jusqu’au début des années 2000, le positionnement reste flou : la handballeuse est-elle glamour, sportive, engagée, battante ? « Elle n’était pas dans les radars de la com et des médias, elle était transparente. Il était urgent de lui donner une identité », dit encore Bana, qui dit avoir « galéré ».

« Sans vulgarité »

Attachée de presse à la FFHB entre 1999 et 2014, Nadège Coulet énumère les embûches des premières années : alors que la compétition annuelle masculine (Mondial ou Euro) ouvre sans concurrence l’année sportive et bénéficie d’une bonne exposition en janvier, celle des filles, en décembre, s’achève juste avant Noël, dans une période « un peu compliquée où les télévisions et les radios ont souvent des émissions pré-enregistrées ou des best-of ». Parfois, l’actualité internationale s’en mêle : le 15 décembre 2003, au lendemain de leur première médaille d'or mondiale, les Françaises peinent à trouver une place au sommaire des JT : le dictateur irakien Saddam Hussein a en effet été capturé deux jours plus tôt par les forces américaines.

Dès le retour au pays, les médias se réveillent : invitations sur les plateaux TV, séance photo pour Paris Match, et même des affiches aux Galeries Lafayette, à Paris. Mais l’intérêt reste corrélé aux résultats. Une compétition ratée et c’est le retour à l’anonymat. « Les résultats n’ont pas aidé [une seule médaille entre 2003 et 2016] et l’écart avec les garçons s’est beaucoup creusé », compare Nadège Coulet.

En interne, la FFHB a poursuivi ses efforts en faveur de la promotion de son équipe féminine. Avant beaucoup d’autres fédérations, elle a débloqué des budgets de communication communs avec les hommes, produits des calendriers et des agendas mixtes. Organisatrice du Mondial féminin en 2007, la France monte une stratégie autour des « Femmes de défis », en parallèle des Experts, le nouveau surnom des garçons qui raflent tout dans cette période. « Le but de la campagne était de parler des filles, de leurs métiers, des à-côtés, mais sans vulgarité, comme dans d’autres sports », se souvient Nadège Coulet, qui rappelle le visuel du Mondial, un pied dans une basket, l’autre dans une chaussure à talon.

Une médaille d’or éclipsée

Le nombre d’envoyés spéciaux augmente doucement mais le hand féminin souffre de résultats décevants aux Jeux olympiques jusqu’en 2021. Et encore, cette première médaille d’or des joueuses d’Olivier Krumbholz a-t-elle été éclipsée par la signature au Paris Saint-Germain du meilleur footballeur du monde, Lionel Messi. La gardienne Cléopâtre Darleux avait interpellé le journal L’Équipe, qui avait choisi de faire sa Une sur l’Argentin plutôt que sur leur Graal tant attendu. « On ne mérite pas la Une ? », avait tweeté la médiatique joueuse de Brest, déjà agacée d’avoir dû plusieurs articles de presse au fait d’être jugée « mignonne » ou « sexy ». La veille, le sacre concomitant des handballeurs et des volleyeurs avait bien fait la première page du quotidien sportif. À résultat équivalent, la revue de presse réalisée au retour de Tokyo a révélé un total de reprises nettement plus élevé pour l’équipe masculine.

tweet celopatre darleux

En comparaison d’autres disciplines féminines, le handball peine encore : attachée de presse indépendante sur ces deux compétitions, Nadège Coulet se rappelle avoir « ramé » pour faire parler de l’Euro 2018, pourtant organisé à domicile ; alors que pendant le Mondial 2019 de football, qui s’est aussi déroulé en France, « ça venait tout seul ». Lassées d’attendre les médias traditionnels, les handballeuses prennent des initiatives. La plate-forme Handball TV, créée par la fédération, promeut leur pratique. Des championnes écrivent des livres (Cléopâtre Darleux, Allison Pineau), comme l’ont fait leurs homologues Nikola Karabatic ou Didier Dinart. Plusieurs d’entre elles parlent volontiers de la maternité ou des règles, des sujets qui trouvent désormais leur place dans les titres sportifs. « Le traitement médiatique s’est globalement équilibré, pense Nodjialem Myaro, à la pointe du sujet en tant de présidente de la Ligue féminine de handball (LFH). C’est lent mais on avance, il ne faut surtout pas baisser les bras. » De son côté, la Fédération continue d’encourager et d’incarner la parité : trois joueuses et trois joueurs partagent l’affiche promotionnelle des équipes de France pour les JO de Paris.

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