Il a beau jurer qu’on ne l’y reprendra plus, difficile d’être certain que Robin Jafflin ne reviendra jamais à son premier amour. D’après ceux qui l’ont côtoyé durant sa courte carrière, le journalisme, il l’a dans la peau. Peut-être un peu parce que sa mère lui a constitué, enfant, une collection de Tintin. « J’avais conscience que ce n’était pas du journalisme, mais je me disais que ce métier pouvait être intéressant, qu’il permettait de découvrir des choses et des gens », pose le jeune retraité des médias avec simplicité. Ses espoirs n’auront pas été douchés de ce côté-là. Le journalisme aura bel et bien permis à Robin d’alimenter sa curiosité. Mais contrairement au héros à la mèche blonde, il ne s’est pas éternisé dans le milieu.
Le journaliste de 25 ans a quitté la profession fin 2023 de manière remarquée par un post sur X (ex-Twitter) proche du million de vues. En guise d’adieu, un texte poétique aux accents de rupture amoureuse : « Journalisme, je t’ai tant aimé, parfois je t’ai aussi profondément haï. Pendant sept ans, je t’ai tout donné : ma vie personnelle, ma santé morale, physique parfois. »
La visibilité de sa publication ne doit pas tout au lyrisme de son écriture. Elle fait aussi écho à la fatigue ressentie par une partie de la profession qui, comme Robin, fait aussi le choix de partir vers d’autres aventures. Le sociologue des médias Jean-Marie Charon dépeint d’ailleurs cette génération désabusée quelques années seulement après avoir mis un pied dans le milieu dans L’Heure du doute, son dernier essai. Il y rappelle que 40 % des détenteurs d’une première carte de presse quittent la profession au bout de sept ans.
Beaucoup se détournent du journalisme à cause de la précarité, qui touche 66 % des journalistes de moins de 30 ans. Robin ne cache pas avoir été plutôt chanceux de ce côté-là. « C’est une pression, c’est sûr. Mais j’ai été aidé par le fait d’avoir eu des grosses piges rapidement. » Dès sa première année à l’École publique de journalisme de Tours (EPJT), l’apprenti journaliste vend un premier sujet à l’hebdomadaire La Vie en 2017. À quelques jours de ses 18 ans, le jeune homme aux lunettes rondes plonge déjà dans le grand bain. Cette première pige sur une famille de fabricants de cassoles, le plat de cuisson du cassoulet, lui permet de mettre à profit sa passion pour la photographie. Ce penchant se retrouve récompensé la même année au Grand Prix Paris Match du photoreportage étudiant. Il y décroche une publication dans le magazine et une bourse de 2 500 euros. Jusqu’ici, tout va bien.
Déceptions
Sa première désillusion, Robin la vit dans son école. Il confie y avoir été victime de harcèlement, comme d’autres camarades, et avoir très tôt alerté l’EPJT de cette situation. L’école n’aurait pas pris assez au sérieux le problème à ses yeux. « Je leur ai dit qu’on se doit de donner l’exemple. Comment on peut critiquer les gens si on n’est pas capable de regarder notre merde ? Je reconnais avoir dépassé mon rôle d’élève à ce moment-là. Comme j’avais manqué un partiel pour des raisons médicales et que l’école ne m’a jamais proposé de le rattraper, la direction m’a dit que ce n’était pas la peine de revenir l’an prochain. » Laurent Bigot, directeur de l’école tourangelle, fait de son côté savoir qu’il a « souvent été absent lors d’évaluations ou de contrôles des connaissances, pour des raisons personnelles, notamment afin d’honorer des commandes photo ». Sur le harcèlement, le maître de conférences précise qu’il n’aurait jamais fait l’objet d’un signalement formel ni devant la direction de l’EPJT, ni auprès de l’université de Tours.
« J’ai eu zéro pige, zéro alternance et j’ai un peu eu la haine »
Un temps, Robin pense reprendre des études de journalisme après cette première année inachevée. Il vise alors une année en alternance à l’ESJ Pro de Montpellier. Le jeune journaliste nourrit l’espoir de rentrer au Monde. Il force la chance avec l’espoir de rejoindre le prestigieux journal du soir : en pleine affaire Benalla, une de ses sources policières lui aurait donné les noms et les contacts de la chaîne de commandement. « J’appelle Ariane Chemin, journaliste au Monde, je lui dis ce que j’ai et que ce que je veux en échange, c’est une alternance. Elle me répond qu’elle ne peut pas me l’assurer, mais qu’elle peut me garantir des piges. Résultat : j’ai eu zéro pige, zéro alternance et j’ai un peu eu la haine. » Contactée par La Revue des médias, Ariane Chemin se souvient avoir échangé plusieurs fois avec Robin, mais précise n’avoir pas eu besoin de ses informations, pas plus qu’elle lui a promis d’alternance. « Ce n’est pas dans ma compétence », assure-t-elle.
Piqué par ce qu’il présente comme sa deuxième désillusion après son année à Tours, il se lance directement dans le grand bain. Il vit alors grâce à son travail pour le studio de production Hans Lucas ainsi que pour La Croix, Les Échos ou encore Vice. Un ancien salarié du pure-player américain se souvient encore « d’un jeune photojournaliste arrivé avec des sujets qu’il défendait avec passion et un appétit pour le métier » avec « une plume perfectible mais un œil acéré ». Cet « œil acéré » lui permet d’être encore repéré en 2018 par le jury du Grand Prix Paris Match. Cette fois, il ne décroche pas de prix, mais finit tout de même dans la shortlist.
Des histoires à raconter
Comme un premier avertissement, le média Vice ferme sa rédaction française six mois avant que Robin ne quitte la profession. « Une grande partie de la notoriété du média s’est construite sur l’exploitation du travail de pigistes, free-lances ou stagiaires qui n’ont jamais été rémunérés à la hauteur de leur investissement, résume un ancien salarié de Vice. Robin a fait partie de ces « collaborateurs externes ». Avide de reportage, il s’est rapidement heurté aux moyens limités alloués à la partie éditoriale de l’entreprise. »
Ce manque de moyens, le photojournaliste confie s’y être heurté à de nombreuses reprises. En février 2023, il passe trois semaines avec une consœur en Turquie pour Les Jours. L’objectif : documenter le séisme qui a frappé le pays et la Syrie. « On devait écrire trois articles, mais un de ces papiers n’est pas passé. J’avais fait les photos pour l’illustrer et elles n’ont pas été payées. » Ce voyage ne s’avère donc pas très rentable. Le photojournaliste se sent d’autant plus mal considéré qu’il vit dans une voiture le temps d’un reportage et qu’il voit un immeuble voisin s’effondrer devant ses yeux. Le directeur de la rédaction Raphaël Garrigos confirme les faits, mais rajoute avoir fait ce choix en discussion avec la journaliste l’accompagnant. « Cela ne correspondait pas à l’angle que l’on attendait, précise-t-il. Dans ce genre de cas, on partage souvent les frais avec différents médias. Sa binôme travaillait sur place pour une radio, j’imagine que Robin n’était pas dans ce cas-là. »
« C’est un virus, le journalisme »
Entre les articles peu rémunérateurs et les idées qu’il estime avoir été chipées par des rédactions après les leur avoir proposées, il sent monter « un grand ras-le-bol » de ce métier qu’il avait tant désiré exercer. Robin quitte la profession après un ultime coup du sort : il espérait tirer sa révérence dans un dernier reportage sur les mines de Moselle à paraître dans 6 mois. Pris financièrement à la gorge, le mook ferme définitivement ses portes avant de pouvoir le publier.
Au retour d’un voyage en terre milanaise à l’été 2023, Robin prend une décision : arrêter le journalisme et se reconvertir dans l’import-export de vin. L’ancien Tintin assure ne pas regretter son choix, mais tout le monde ne croit pas à cet aller sans retour. « Je sais qu’il reviendra, estime Alain Frilet, ancien rédacteur en chef de la revue 6 mois. C’est un virus, le journalisme. Une fois que tu l’as attrapé, tu ne peux pas quitter ce métier comme ça. Il a raison de partir avec cette posture et il est cohérent avec lui-même. Mais la passion est plus forte que lui : il sera frustré de voir passer des choses qu’il pourrait traiter. » En attendant, le stagiaire caviste à Dijon se sent apprécié dans ses nouvelles fonctions. Il parle déjà de vin avec autant de passion qu’il parle de ses reportages. Sa fibre journalistique n’est d’ailleurs jamais très loin. « Dans l’idée, j’aimerais chercher des vins dans les pays où je faisais des reportages et les ramener en France. Tu n’as pas que du vin à vendre dans ce métier, tu as aussi des histoires à raconter. »