Diversification
Dès l’origine, Axel Springer s’est préoccupé de diversifier l’activité de son groupe, ce qui dans un pays où radio et télévision relevaient du monopole public, signifiait le développement de toute une gamme de magazines, dans des domaines extrêmement diversifiés, comme cela est évoqué plus haut. Lorsque, dans les années 1980, le monopole de la radio et de la télévision prit fin, et que se développèrent le câble et les satellites, en même temps qu’émergeait la télématique, avec le Bildshirmtext, le groupe se lança aussi sur ce créneau. Il était notamment très présent dans les négociations avec les pouvoirs publics, et participa aux expérimentations collectives (projets pilotes du câble à Berlin, Dortmund, Ludwigshafen, et Munich), au travers du puissant syndicat des éditeurs de quotidiens, le BDZV. Logiquement le groupe Springer a été en pointe dans la création de « la chaîne des éditeurs », baptisée Sat1, au sein de laquelle se retrouvait pratiquement toute la presse allemande, hormis Bertelsmann et la WAZ, qui pour leur part ont préféré un partenariat avec la CLT (Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion). L’expérience de Sat1, dans laquelle chaque éditeur gérait de façon autonome sa tranche horaire (hormis APF, structure communede production d’information d’actualité) fut cependant aussi coûteuse qu’inefficace, immédiatement devancée par RTL Plus (CLT / Bertelsmann / WAZ)… On assista alors à une prise de contrôle par le trio Springer-Burda-Beta Taurus, de la chaîne Sat1, mais en pure perte, car c’est finalement le groupe de Léo Kirch (Beta Taurus), qui regroupa Sat1 et l’une de ses concurrentes, ProSieben, au sein du groupe audiovisuel ProSiebenSat1 Média.
Faut-il voir dans les déboires combinés de l’internationalisation (Claro) et de la diversification dans l’audiovisuel (Sat1, DSF, Premiere une forme d’apprentissage du groupe qui va conduire celui-ci à une approche complètement nouvelle dans Internet ? Face à cette nouvelle donne, le groupe a en effet choisi de s’appuyer largement sur des pure players, en majorité hors d’Allemagne, qui ont construit avec lui un groupe aux activités et au périmètre géographique totalement renouvelés. C’est en tout cas ce que laisse penser l’acquisition en juin 2007 d’un peu plus de 80 % du groupe Aufeminin.com. Ce dernier, lancé en France sous la forme d’un site largement participatif dès 1999, lui apportait d’emblée un savoir-faire éditorial sur ce nouveau média, une place de leader sur le marché des femmes internautes et une dimension largement internationale, devenue mondiale, puisque Aufeminin.com est présent en Amérique du Nord, au Brésil, au Vietnam, au Maroc, en Tunisie et un peu partout en Europe, revendiquant une audience globale de plus de 40 millions de visiteurs uniques dans le monde. L’international représenterait 56 % du chiffre d’affaires du groupe en 2014.
Aufeminin.com est un opérateur qui fait preuve de beaucoup d’agilité pour se développer dans le secteur du numérique
Au-delà, Aufeminin.com est un opérateur qui fait preuve de beaucoup d’agilité pour se développer dans ce nouveau secteur du numérique, multipliant les acquisitions, telles que Marmiton. org (cuisine), MyLittleParis, OnMeda (santé), Netmums (jeunes parents), acquisitions en France, mais aussi en Allemagne et en Grande-Bretagne. Au-delà de l’éditorial, Aufeminin.com est présent dans la publicité du Net avec SmartAdverser (notamment les enchères en temps réel) qui réalise un peu plus des 10 % du chiffre d’affaires de la galaxie Aufeminin, largement augmenté après ses dernières acquisitions (MyLittleParis en 2013) s’élevant à 42 millions d’euros pour le premier semestre 2014. Il s’est également donné en 2011, avec Womenlogy, un «laboratoire» intervenant dans les champs du marketing et de l’univers des femmes.
L’autre grand volet de la diversification de Springer sur Internet est celui des sites et portails de petites annonces, au travers de sa filiale Axel Springer Digital Classified, coentreprise en partenariat avec le nord-américain General Atlantic (30 %). S’accélérant depuis la décennie 2010, la présence du groupe couvre principalement l’immobilier (Immoweb, Seloger.com, etc.), l’emploi (Stepstone, Saongroup, Totaljobs, etc.) et l’automobile (Car&Boat Media, Autoreflex.com). Là encore, Springer fait le pari de s’appuyer principalement sur des pure players performants, souvent leaders sur leur marché, glanés dans de nombreux pays dont la France, la Grande-Bretagne, la Norvège, la Belgique, Israël, etc. Très fréquemment, les acquisitions laissent une place aux créateurs des sites (Immoweb) ou se font en partenariat avec d’autres groupes européens tels Mondadori (en France, au travers d’Emas) ou Ringier (en Pologne). Très récemment, en 2013, le groupe Axel Springer, qui a manifesté à plusieurs reprises ses craintes à propos de la place occupée par Google, a pris 20 % de la start-up française Qwant et son moteur de recherche.
Apprentissage toujours avec ce retour inattendu dans le secteur de la télévision, grâce à l’acquisition, en décembre 2013, d’un indépendant, la chaîne d’information en continu allemande N24. Cette chaîne, créée en 1999, aurait vocation à constituer un pôle d’information plurimédia avec Die Welt : les deux rédactions doivent à l’avenir produire des contenus écrits (imprimé et numérique) et image (chaîne d’information et vidéos pour les sites numériques d’information).
Même s’il est trop tôt pour juger des résultats, il est important de souligner l’originalité de la stratégie choisie par le groupe Springer depuis quatre ans, mélange d’innovations sur quelques activités historiques du groupe (Bild et Die Welt) et d’emprunts à la dynamique des pure players du numérique, que ce soit dans l’éditorial (Aufeminin), le marketing, les petites annonces et peut-être également les services (avec le moteur de recherche). Dans cette stratégie, force est de reconnaître la puissance de ce groupe qui n’a pas hésité à investir largement, mais aussi l’agilité de son management pour identifier et acquérir les perles sur lesquelles appuyer son développement. Agilité que confirme, début septembre 2014, l’annonce d’un partenariat avec le pure player nord-américain Politico pour le lancement d’une édition européenne de celui-ci.
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Crédits photos :
« Nous sommes Pape ! », annonce en avril 2005 la une du Bild sur la façade du bâtiment Springer. © Jose Giribas / ROPI / REA.
À la tête du groupe depuis 2002 : Mathias Döpfner. © Carsten Koall / Getty.
Springer, un patron très conservateur mais entreprenant. © Herbert List / Magnum Photos.