Illustration de Killian Pelletier montrant de façon imagée l'adaptation du podcast français Conf Call pour le public américain, sous le nom de Conference Call

© Crédits photo : © Illustration : Killian Pelletier

« Conference Call » : comment un podcast français s’est adapté au marché américain

Trois ans de travail ont été nécessaires au studio français Paradiso pour lancer une nouvelle version de son podcast « Conf Call » aux États-Unis. La Revue des médias en a retracé le cheminement.  

Temps de lecture : 5 min

En juin 2022, pour la deuxième fois de son histoire, le Tribeca Film Festival de New York ouvre ses portes à des formats audio — notamment des podcasts. Dans la programmation de ce rendez-vous incontournable du cinéma indépendant, un nom retient l’attention : « Conference call ». Dans les crédits du pilote de cette œuvre, des noms très américains, deux beaucoup moins : Lorenzo Benedetti et Louis Daboussy (cofondateurs avec Benoît Dunaigre du studio de production français Paradiso). On les trouve juste en dessous de la mention « adapted from the podcast “Conf Call”, created by… ».

Rembobinons : juin 2020, Deezer propose un nouveau podcast, « Conf Call ». Dans cette fiction, on suit trois entrepreneurs au fil de leurs réunions à distance. Chaque épisode (ou presque) a sa nouvelle idée farfelue. Ruche domestique connectée anti-cambriolages, bot anti-procrastination, escape game pour les timides : rien ne va, et c’est de pire en pire. « Nous avons l’habitude de voir les studios pour leur proposer des projets, nous expliquait Lorenzo Benedetti en 2021. Deezer nous a demandé de produire une comédie. » La plateforme de streaming coproduit le programme, Paradiso se réserve les droits à l’international. Écrits, enregistrés — dans les conditions réelles d’une réunion à distance — et produits au tout début de la pandémie de Covid 19, les épisodes sont publiés en juin 2020. Sans donner de chiffres, Deezer considère ce programme comme un succès.

Un humour à adapter

Juillet 2020 : Molly O’Keefe, chargée de développement au sein de la branche américaine de Paradiso, contacte le réalisateur Gregory Stees et le scénariste Jeff Ward. Elle leur propose d’élaborer une version américaine de « Conf Call ». Ils ne parlent pas français ? Pas de problème, elle leur communique une version sous-titrée. Soit un fichier vidéo avec un fond noir pour image, le son original et une traduction des dialogues à l’écran. Les versions sous-titrées de podcast sont « un outil très intéressant pour étudier le potentiel d’un programme, explique-t-elle, et intéresser les auteurs et réalisateurs à travailler dessus. »

C’est la première fois que Gregory Stees travaille sur une fiction audio, mais il a déjà de l’expérience dans la comédie — il a collaboré à CollegeHumor entre 2014 et 2018, une société de production qui s’est illustrée dans l’humour en ligne. « J’ai été étonné par la similitude entre les sens de l’humour français et américain », raconte-t-il au téléphone. Avec Jeff Ward, ils vont cependant proposer quelque chose d’assez différent. « La comédie est un genre très local, analyse Lorenzo Benedetti, à l’inverse du thriller par exemple, il faut s’adapter aux codes [du pays]. »

En août 2020, Gregory Stees et Jeff Ward présentent leur « traitement », leur vision du podcast. Ils en conservent le concept initial : des personnes moins malines qu’elles ne le croient et qui veulent révolutionner le monde avec leur produit — on en trouve partout, l’idée est universelle.

Des personnages plus calculateurs

La structure, elle, évolue : la version française est une anthologie — pas de fil rouge narratif, juste une succession de sketchs sans progression de l’intrigue d’épisode en épisode. L’équipe américaine fait le choix d’introduire une véritable histoire, grâce à l’ajout d’un nouveau personnage, une journaliste interprétée par la comédienne Emma Roberts. Nous n’écoutons plus seulement des entrepreneurs discuter de leurs nouvelles idées, mais l’enquête d’une journaliste utilisant l’enregistrement de ces discussions comme base pour son travail. C’est aussi l’occasion de proposer une sorte de parodie des podcasts d’investigation.

Autre transformation : l’écriture. Les dialogues de « Conf Call » sont écrits à l’avance et rythmés. Pour « Conference Call », Gregory Stees et Jeff Ward ont parié sur l’improvisation des acteurs à partir d’une situation de départ. Charge au montage de rendre le tout fluide et maîtrisé. Les personnages sont aussi un peu différents, en l’occurrence plus calculateurs, voire peut-être même nocifs. « Ils seraient capables de tout pour une photo avec Elon Musk », ironise Gregory Stees.

« C’était une série française à l’origine, faite par un studio français pour un distributeur français »

Les enregistrements débutent tout début 2022, peu après le bouclage du casting et les dernières signatures de contrats. Au seuil de l’été, l’intégralité des voix est enregistrée. Approche le festival de Tribeca de New York. Une vitrine potentielle : y faire écouter une production permet d’attirer d’éventuels partenaires. Un pilote est alors monté en toute hâte, car seuls les programmes faisant une « world premiere » peuvent y être présentés. « Ce n’était pas idéal, reconnaît Emi Norris, directrice déléguée de Paradiso aux États-Unis, car le show n’était clairement pas terminé. Cependant, nous avons estimé que les bénéfices de le présenter à Tribeca, la visibilité notamment, compensaient largement le reste. »

À la suite de la présentation, le travail d’édition de la série reprend, à la façon d’un documentaire. « Nous avions beaucoup de matériaux, pas de script à proprement parler, explique Emi Norris, et nous avons décidé d’ajouter beaucoup de narration. » Un travail de plusieurs mois, en raison notamment du planning chargé d’une des stars de la série : Emma Roberts devait (ré)enregistrer plusieurs séquences.

Tout début 2023, la série est enfin bouclée. Mais elle est loin d’être publiable. Car Paradiso ne souhaite pas juste « balancer » les épisodes. Rappel : présenter « Conference Call » à Tribeca avait pour objectif de faire parler du programme… et d’attirer de potentiels partenaires. Rapidement, les discussions s'engagent avec Realm, un diffuseur américain. La mission de ce nouveau partenaire ? Monétiser le programme. C’est-à-dire, entre autres, de trouver des annonceurs souhaitant mettre de la publicité dans les épisodes.

Un contexte « très tendu »

Au bout de quelques mois, un accord est trouvé entre Realm et Paradiso. Moment idéal pour publier la série ? Pas vraiment : à ce moment précis, les syndicats d’acteurs et de scénaristes américains se mettent en grève. Les acteurs réclament notamment une régulation de l’usage par les studios d’intelligence artificielle pour les cloner, les auteurs une revalorisation de leurs droits résiduels, sommes versées lors de la rediffusion de matériaux sur lesquels ils ont travaillé.

Les podcasts n’étaient touchés par aucune de ces revendications, mais « le contexte était très tendu, récapitule Emi Norris, nous étions face à la plus grosse grève du secteur depuis des dizaines d’années. Aucun des acteurs ne voulait donner l’impression de faire de la promotion pendant que leurs collègues manifestaient. » Décision est donc prise… d’attendre encore un peu. Jusqu’en août : la grève continue, mais les épisodes sortent en catimini, petit à petit. Ce n’est qu’une fois la grève terminée, et Thanksgiving passé, que la promotion commence : les visuels invitent à « binger » la série.

Après la vente en 2020 de « Love Under Lockdown », une fiction, à la plateforme Stitcher, l’adaptation de « Mes 14 ans » de Lucie Mikaélian, et celle de « Free from Desire » d’Aline Mayard, « Conference Call » est la troisième production de Paradiso lancée aux États-Unis. « C’était une série française à l’origine, faite par un studio français pour un distributeur français, rappelle Emi Norris. Qu’il en existe aujourd’hui une version américaine est un grand succès, c’est un très beau gâteau. La cerise serait que l’on puisse, au terme de négociations, en faire une série télévisée. »

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