Évelyne Dhéliat présentant son faux bulletin météo de 2050

© Crédits photo : Ina

« Lorsque Météo France m’a envoyé les températures de 2050, j’ai dit que c’était impossible »

En 2014, Évelyne Dhéliat présente un bulletin météo qui anticipe les températures du 18 août 2050. Ce bulletin est depuis massivement partagé à chaque épisode de canicule et les températures ne sont pas si éloignées de celles constatées dans la réalité.

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40° à Paris, 41° à Strasbourg, 43° à Nîmes... Huit ans en arrière, ces températures record anticipées par Météo-France pour le mois d'août 2050, Évelyne Dhéliat elle-même n'y croyait pas. La présentatrice vedette, directrice du service météo de TF1 depuis 2000, revient sur son vrai-faux bulletin météo qui circule partout sur les réseaux sociaux durant les périodes de canicule. Car ses prévisions alarmantes ont été dépassées avec trente ans d’avance.

Comment avez-vous procédé pour réaliser ce bulletin de 2050 ?

Nous étions en pleine COP20 [la 20e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, NDLR]. À cette occasion, l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) avait demandé à un présentateur ou une présentatrice météo de chaque pays de préparer un bulletin pour le mois d'août 2050. J’ai eu l’honneur d’être choisie pour représenter la France et tout le monde était très fier de cette confiance accordée par l’OMM. C’était TF1, c’était nous, c’était la façon dont nous travaillions. Je suis partie de rien pour fabriquer ce bulletin. Dans un premier temps, j’ai décidé de réaliser ce que demandait l’OMM, c’est-à-dire une prévision pour le 18 août 2050 avec des cartes telles qu’on les présente chaque jour. Bien sûr, il était hors de question d’inventer quoi que ce soit. J’ai exposé le projet à Météo France étant donné qu’ils travaillaient sur le futur et élaboraient déjà des modèles de ce qui allait se passer dans les années à venir. Ils m’ont alors fourni des cartes de températures et des cartes de nébulosité. Et puis, puisque l’on commençait à parler du réchauffement climatique, j’ai choisi de faire une deuxième partie plus explicative, en rendant compte de faits avérés et observés, notamment dans l’Arctique avec la fonte progressive de la banquise de mer. Pour cette partie, j’ai travaillé avec des météorologues et des climatologues du GIEC, dont Jean Jouzel.

 

Quelle a été votre réaction en découvrant les prévisions ?

Lorsque Météo France m’a envoyé la carte des températures pour 2050, je les ai appelés en leur disant : « Attendez, vous avez mis des 40°. Vous vous rendez compte ? C’est impossible, c’est de la folie. » Eux étaient convaincus de ce qu’ils avançaient. Et nous avons pulvérisé ces prévisions avec plus de trente ans d’avance, le 28 juin 2019 avec des températures homologuées et authentiques. Il n’avait jamais fait aussi chaud en France, c’était un record absolu. À Vérargues, dans l’Hérault, il faisait 46° ce jour-là. Le 25 juillet 2019, à peine un mois plus tard, on enregistrait 42,6° à Paris. On constate d’année en année que les périodes de canicule s’allongent. Elles commencent au mois de juin et se terminent en septembre. On se souvient évidemment des canicules de 2003 et de 2006. À présent, cela se répète. Les 40° deviennent monnaie courante. Les neuf dernières années font partie des dix années les plus chaudes jamais enregistrées. 

Les scientifiques sont des gens extrêmement prudents. J’ai commencé à parler avec eux du réchauffement climatique au début des années 2000, à l’occasion des forums internationaux de la météo. Ils disaient : « On s’aperçoit que la courbe du CO2 est exponentielle et qu’elle est parallèle à l’augmentation des températures, mais attendons d’avoir du recul. » Maintenant, on a les deux pieds dans le plat et on s’aperçoit que tout est avéré. 

Comment sensibiliser les téléspectateurs à ces questions ?  

Il y a quelques années, j’ai commencé à glisser quelques phrases en lien avec le réchauffement climatique à la fin de mes bulletins. J’ai tout de suite voulu apporter des réponses aux téléspectateurs. Je tenais à garder ce côté positif pour ne pas désespérer les gens. Je suis convaincue que les petits ruisseaux forment les grandes rivières et que si tout le monde s’y met, on arrivera à quelque chose. Alors, j’ai travaillé avec des climatologues pour proposer des solutions, comme : « 10km/h en moins en voiture c’est 10% d’économie d’énergie. » C’est ainsi que je perçois mon rôle. Je ne m’appuie que sur des faits concrets. 

Au fil des années, je me suis aperçue que les jeunes devenaient de plus en plus sensibles à ces questions. J’ai connu les Trente Glorieuses, une époque où personne ne parlait de changement climatique et où l’on consommait à tout-va. Si la prise de conscience a été si longue, c’est parce qu’il était difficile pour ma génération d’appréhender le changement climatique sans faire face à ses conséquences. Il ne faut pas confondre météorologie et climatologie. La météorologie, c’est ce qu’il se passe au jour le jour. La climatologie, c’est sur le long terme. Quand, dans un bulletin météo, j’explique aux téléspectateurs : « demain vous allez avoir cinq degrés de plus qu’aujourd’hui », ce n’est pas la même chose que de leur exposer que sur un siècle, les températures vont augmenter de deux degrés. Au début, c’était compliqué pour les téléspectateurs d’appréhender le réchauffement climatique pour cette raison. À présent, ils se rendent compte des conséquences réelles de cette crise sur leur quotidien. On constate une hausse des températures et des phénomènes météorologiques de plus en plus violents. Avant, la grêle, cela vous pétait juste quelques tuiles. Aujourd’hui, on voit dans le Sud-Ouest des toits percés.  J'ignore s’il reste encore beaucoup de climatosceptiques. Je ne comprends pas qu’on puisse encore l’être.

Avez-vous songé à hausser le ton pour faire comprendre la crise du climat ?

Je n’ai jamais voulu effrayer, tout comme je n’ai jamais voulu faire l’autruche. Je suis là pour informer. Ce n’est pas mon rôle de dire : « Attention, la France va cramer » [en référence à Marc Hay, journaliste et présentateur météo de BFMTV ayant expliqué vouloir changer de ton pour parler de la canicule  lors d'une intervention sur la chaîne le 15 juin 2022 avant de déclarer « Il faut que les gens comprennent que la France va cramer cette semaine », NDLR]. D’abord, je trouve cela violent. Mon rôle consiste avant tout à transmettre l’information. J’explique aux téléspectateurs :  « En début de semaine prochaine, nous entrerons dans une période de canicule. Il est encore tôt pour le confirmer mais les températures vont augmenter et nous dépasserons facilement une moyenne de trente-et-un degrés au Nord et de trente-cinq degrés dans le Sud. » Mais je ne vais pas chercher à leur faire peur. Le sensationnel, très peu pour moi. Je ne me le permettrais pas. Les lanceurs d’alerte, ce sont les scientifiques. Je suis le maillon entre eux et les téléspectateurs, que j’informe à partir de faits. Je crois qu'à partir du moment où on vous informe, on vous sensibilise déjà. 

Vous venez d’ouvrir un compte Twitter afin de dialoguer avec les Français sur le climat. Était-ce une demande de leur part ?

Les téléspectateurs m’ont longtemps demandé de mettre en place un moyen de prolonger la discussion sur le climat. Un bulletin météo, c’est une minute et cinquante secondes avec énormément d’informations. Tous les jours, je reçois des données de Météo France que je n’ai pas forcément le temps de transmettre parce que les gens veulent surtout connaître la météo du lendemain et du surlendemain. Maintenant, on donne même les prévisions à six jours. J’ai souvent été frustrée de ne pas pouvoir donner toutes les informations concernant une région ou une autre. Quand je reçois les températures et que je vois qu’un record s’apprête à être battu à tel ou tel endroit, cela m’ennuie de ne pas toujours pouvoir le dire. Cela doit également frustrer certains téléspectateurs puisqu’en 24 heures, j’ai obtenu plus de 20 000 abonnés sur Twitter. J’en ai aujourd’hui 27 000. C’est énorme, cela signifie qu’il y a une attente et que je ne suis pas obligée de faire de la rétention d’informations. Je vois ce compte Twitter comme un prolongement du bulletin météo de TF1.

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