Entre les Jeux olympiques confinés de Tokyo, en 2021, et l’édition parisienne de 2024, le contexte ne pourrait pas être plus radicalement différent. Espoir de médaille de la lutte tricolore il y a trois ans, Koumba Larroque avait été « peu sollicitée » avant de s’envoler pour le Japon, car la pandémie de Covid-19 avait « vachement isolé » les sportifs de leur environnement. Son élimination dès le premier tour n’avait pas aidé. « Cette année, on me parle de beaucoup plus de choses, se réjouit la vice-championne du monde. Plus on s’approche de la compétition, plus les journalistes ont besoin de contenus. » Inconvénient, « il y a de la redondance dans les questions sur la compétition à venir et les objectifs ».
À Tokyo, la gymnaste américaine Simone Biles, star planétaire, avait craqué en plein concours général par équipes, jetant une lumière crue sur la santé mentale des sportifs de haut niveau. Un thème très présent, désormais, dans les médias. Étudiante en psychologie, Koumba Larroque est ce qu’on appelle « une bonne cliente ». « C’est un aspect que je mets volontiers en avant car j’ai eu moi-même des difficultés et vu un préparateur mental », confie la lutteuse de 25 ans, qui a demandé à parler de charge mentale le jour où elle a enregistré le podcast « Championnes du monde ».
Aspérités
Les journalistes recherchent les aspérités chez les interviewés. Ainsi, le kayakiste Denis Gargaud Chanut a-t-il parlé souvent de son projet professionnel, le développement d’une entreprise de produits alimentaires pour sportifs. Un moyen, pour lui, de faire connaître son sport, peu médiatisé hors JO. « Ça demande de la concentration pour ne pas dire de bêtises donc ce n’est pas un exercice très agréable », juge-t-il. En préparant les Jeux olympiques de Rio, en 2016, le Vauclusien était accompagné par les attachés de presse du Comité olympique et sportif français (CNOSF) et le service de presse de sa fédération. Il n’a donc pas été seul pour surfer la vague médiatique qui a suivi sa médaille d’or en C-1.
Insuffisant pour s’éviter de mauvaises surprises. « Quelques interviews me sont restées en travers de la gorge car le résultat ne correspondait pas à l’ambiance de la discussion », rembobine le céiste, non qualifié pour Paris 2024. Exemple : pour un article, Le Monde l’avait longuement interrogé sur le sport et les études. « J’ai dit que sans avoir eu un parcours académique fulgurant, j’avais quand même beaucoup appris pendant ma carrière, se souvient Denis Gargaud Chanut. Au final, le journaliste faisait passer les sportifs pour des bourrins. » Échaudé, le champion olympique a désormais une liste de personnes avec qui il ne souhaite plus s’entretenir. « Détourner des propos, faire du journalisme d’opinion ou porter un jugement, ce n’est pas correct. »
Bien gérée, l’exposition médiatique peut générer des retombées sympathiques. Celui qui a succédé à Tony Estanguet au palmarès des Jeux olympiques a été sollicité pour participer à « Danse avec les stars » ou à « Ninja Warrior », sur TF1. Après réflexion, il a décliné, alors qu’il aurait accepté « Fort Boyard », sur France 2, séduit par l’idée de reverser des gains à une association de son choix. Mais la discussion n’avait pas abouti.
À l’aise
L’année est déjà chargée pour l’archère Caroline Lopez. Qualifiée début janvier pour ses premiers Jeux, la Mosellane de 20 ans tient le compte de ses interventions médiatiques : journaux locaux, France 3 Grand Est, supports numériques de World Archery, la fédération internationale de tir à l’arc... À l’aise, elle a hâte de participer à un plateau en direct. Jusque-là, elle a dû se contenter de visio-conférences.
Ses entraîneurs l’imaginaient plutôt postuler aux JO de Los Angeles, dans quatre ans. Du coup, sa précocité constitue une porte d’entrée pour les journalistes qui viennent à elle. La Fédération française (FFTA) ne lui a pas donné de directive particulière, sinon d’agir en ambassadrice capable de « faire connaître la discipline ». Elle est bien partie. Plus jeune membre de l’équipe de France féminine médaillée d’argent aux Mondiaux, en août 2023, Caroline Lopez a été soudain « demandée de toutes parts ». Elle apprécie de pouvoir « raconter [sa] propre histoire ». La période actuelle de préparation est propice aux tournages de reportages ou d’interviews qui seront diffusés plus tard, d'ici à l'été. À son âge, on l’imagine plus intéressée par les réseaux sociaux que par les médias traditionnels. « Pas forcément, répond-elle, car les uns et les autres touchent des publics différents. » Elle estime que la FFTA est « un peu en retard » sur le numérique mais répond volontiers à la presse quotidienne régionale. Elle ne refuse rien mais sait aussi poser des limites. Trop proche d’une compétition, une sollicitation médiatique serait « comme un caillou dans la chaussure ». Dans quelques mois, il sera temps de rentrer dans une bulle.
Savoir dire non
À l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep), l’usine à champions du sport tricolore, des professionnels dispensent des cours de media-training. La région Île-de-France en propose également. Koumba Larroque a décliné l’invitation, après avoir « appris sur le tas », mais en reconnaît l’utilité. Ne serait-ce que pour savoir dire non. Lors de ses premières interviews, il y a six ou sept ans, « beaucoup plus gênée » qu’aujourd’hui, la championne de lutte ne se doutait pas qu’elle pouvait refuser de répondre à une question. L’attachée de presse qui travaille à ses côtés le lui a appris.
Timothée Clément a reçu les enseignements de l’Insep. Il se souvient d’un exercice pratique visant à améliorer les contenus des réponses, à corriger la prestance, surveiller le mouvement des mains. « Je commence à avoir l’habitude », sourit l’attaquant de l’équipe de France de hockey sur gazon, considéré comme l’un des meilleurs talents mondiaux. S’il va disputer, à 23 ans, ses premiers Jeux, la lumière ne sera pas une découverte pour lui. D’ailleurs, le hockeyeur assure qu’il trouve « très bien » ses mots en français, surtout quand on le questionne sur le sport qu’il aime tant. Lorsque les interviews se ressemblent, il s’amuse à « changer les mots » de ses réponses, comme pour y trouver un intérêt malgré tout.
« Il faut être transparent mais garder ce qui doit rester entre nous »
Le hockey étant moins populaire en France que dans les pays anglo-saxons, Timothée Clément doit répondre en anglais pour les plateformes de diffusion des matches. Jouer dans un club belge, Royal Orée, avec des partenaires anglophones, l’aide. À son agenda figure une présentation, dans les prochains jours, de l’environnement médiatique qui attend les sportifs avant et pendant l’événement parisien. « Il y a parfois des questions délicates et des choses qu’il ne faut pas dire aux journalistes, qui pourraient les utiliser contre nous », sait déjà le millénial, qui résume ainsi sa pratique : « être transparent mais garder ce qui doit rester entre nous ».
La priorité des instances sportives françaises : diffuser les bonnes pratiques sur les réseaux sociaux. Le scandale qui a suivi la publication, en octobre 2023, d’une story Instagram à propos de la guerre entre Israël et le Hamas par Émilie Gomis, ex-basketteuse devenue ambassadrice des Jeux, est un parfait contre-exemple. Elle n’a pas été la seule à subir les conséquences d’une communication inadaptée. Alors, pour éviter un bad buzz planétaire pendant les JO, qui seront couverts par 26 000 journalistes accrédités venus du monde entier, Timothée Clément s’est donné une règle toute simple : « Il y a certains sujets où nous devons faire attention à ne pas prendre parti ».