La sentence est tombée le 17 octobre dernier pour la Ligue de football professionnelle (LFP). L’appel d’offres qui visait à trouver un diffuseur français pour la Ligue 1 entre 2024 et 2029 n’a pas abouti. Malgré de fortes attentes de la LFP, aucun des lots mis à prix n’a trouvé preneur. Les potentiels intéressés — la plateforme britannique DAZN et BeIn Sports notamment, Canal ayant annoncé ne pas participer — ne se sont pas alignés sur le montant de départ des enchères : 530 M€ pour le lot premium, comprenant les deux plus belles affiches de la journée et la quatrième en co-diffusion, et 270 M€ pour un deuxième lot avec les autres rencontres. La LFP doit maintenant négocier de gré à gré avec tous les interlocuteurs, y compris Canal et Amazon, qui ne s’étaient pourtant pas positionnés jusqu’alors.
Cet échec apparaît comme un camouflet pour la LFP, qui avait pourtant réussi, lors du précédent appel d’offres, en 2018, à dépasser le cap du milliard d’euros (1,153 milliard par saison pour la période 2020-2024), grâce notamment au groupe espagnol Mediapro, qui avait raflé les principaux lots. Une manne financière impressionnante qui n’a en réalité jamais été atteinte. Quelques mois après le lancement de sa chaîne Téléfoot, Mediapro se voyait dans l’impossibilité de régler plusieurs versements obligatoires, avant de rapidement se retirer des débats. Les droits étaient alors récupérés par Canal et Amazon Prime Video, pour un montant presque deux fois plus faible (663 M€).
Cet épisode ne doit pas faire oublier que, depuis la première diffusion d’un match de Ligue 1 sur Canal + en 1984, le prix des droits TV de la Ligue 1 n’a presque jamais cessé d’augmenter. Au lancement de la chaîne cryptée, celle-ci conclut un accord de diffusion de la LFP, autour de 250 000 francs (environ 38 000 €) par rencontre, pour une vingtaine d’affiches par saison. De ces quelque 760 000 € au total en 1984, à 106 M€ par saison pour la période 1998-2000, et jusqu’à 726 M€ pour 2016-2020, la Ligue 1 a progressé au gré de l’évolution du marché, du développement du football mondial mais aussi d’une concurrence accrue chez les diffuseurs.
« La France reste la cinquième roue du carrosse »
Pour mieux comprendre cette évolution des droits TV de la Ligue 1, nous avons posé trois questions à Pierre Rondeau, économiste du sport et co-directeur de l’Observatoire du sport à la Fondation Jean-Jaurès.
Cette courbe de l’évolution des droits TV de la Ligue 1 montre une augmentation progressive des prix, avec cependant quelques poussées significatives. À quoi sont-elles dues ?
Pierre Rondeau : Les différentes grosses augmentations sont liées au phénomène de concurrence. Initialement, Canal + était seul sur le marché des droits TV de la Ligue 1. À la fin des années 1990, TPS vient concurrencer Canal, puis c’est au tour d’Orange à la fin des années 2000, dans une moindre mesure.
L’arrivée de BeIn Sports dans les années 2010 provoque une inflation supplémentaire, amoindrie via une intervention politique sur le prix du marché. BeIn voulait candidater à hauteur de 900 millions d’euros pour la période 2016-2020 et le président de l’époque, François Hollande, a demandé d’arrêter les frais pour protéger Canal, grand financier du cinéma français.
Durant cette période entre 2000 et 2020 que je surnomme « les Vingt Glorieuses », les prix vont même dépasser la valeur réelle de la Ligue 1 française. Eu égard au pouvoir économique des Français et du poids démographique de la France, on pourrait estimer les droits TV de la Ligue 1 entre 500 et 700 millions d’euros. C’est notamment cette décorrélation avec la valeur réelle de la L1 qui a provoqué la faillite de Mediapro et qui entraîne aujourd’hui une crainte que les prix n’atteignent pas les 600 ou 700 millions d’euros attendus. Cela a un impact direct sur le sportif puisque 35 % du budget des clubs provient des droits TV.
On parle souvent de « Big 5 » pour désigner les cinq grands championnats européens (Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie et France). Comment expliquer que la France soit, en termes de droits TV, largement en dessous de ses concurrents ?
Sur le profil économique, la France mérite de faire partie de ce « Big 5 ». 68 millions d’habitants, un fort pouvoir d’achat, un PIB par habitant élevé et une capacité importante à vendre du produit : la France a des atouts, et possède aussi un fort taux d’équipement en matière d’audiovisuel et une bonne dotation numérique. Nous sommes donc largement crédibles et légitimes.
Maintenant, il faut associer à cela l’aspect sportif. Et de ce point de vue, la France est médiocre. Elle reste la cinquième roue du carrosse, talonnée par les Pays-Bas au classement UEFA (calculé selon les performances des clubs de chaque pays en compétitions européennes), à une cinquième place très éloignée des quatre premières. Nos contre-performances sportives, avec un palmarès d’une seule Coupe d’Europe (Marseille avec la C1 en 1993), font que nous sommes moins prisés que nos voisins européens.
Comment expliquer que la Ligue 1 s’exporte si mal, avec des chiffres de vente des droits internationaux très faibles par rapport à ses concurrents ?
Les droits TV internationaux et domestiques ne dépendent pas du même appel d’offres. Pour les droits internationaux, les négociations datent de 2014. C’est le président de la LFP de l’époque, Frédéric Thiriez, qui a négocié les contrats avec BeIn Sports pour une période de 2016 à 2024. En 2014, la Ligue 1 n’était pas dotée d’une société commerciale donc elle ne pouvait pas négocier directement avec les diffuseurs étrangers comme elle le fait aujourd’hui. Elle devait passer par un prestataire privé qui avait les reins solides et les outils juridiques et commerciaux pour vendre à travers le monde.
La LFP a cédé ses droits commerciaux à BeIn Sports pour une somme totale de 73 millions par an, auxquels il faut ajouter 50 % de la marge faite en cas de revente. En moyenne, cela correspond à 80 millions d’euros par an entre 2016 et 2024. Très loin des autres championnats. Mais cela s’explique avant tout, encore une fois, par la méforme sportive européenne de la France. Il y a moins d’intérêt, moins de demande du public étranger, et donc des droits qui valent moins cher.