Mégadonnées ou méga-problèmes?
Les rapports et articles font souvent preuve de beaucoup d’optimisme en annonçant que le recours aux mégadonnées (Big Data) permettra, par exemple, aux cinéastes et à l’industrie cinématographique de prévoir les tendances. Ce déterminisme informationnel relève d’une conception mécaniste, quoique courante, du rôle de la technologie, qui comporte le risque de ne servir (souvent de façon inadéquate) que la majorité laissant de côté les minorités. De plus, les statisticiens le savent bien, corrélation ne signifie pas causalité. L’échec de la prévision de la grippe par Google (surestimation de l’ordre de 50 %)
est là pour nous le rappeler.
Les applications les plus fréquemment mises en avant relèvent du marketing (exemple de
Criteo
ou d’une forme ou d’une autre de commerce électronique, dont on perçoit aisément l’apport potentiel. Ainsi, dans l’exemple cité d’Iron Maiden il s’agit d’une rationalisation de détection de la demande. Toutefois, d’un point de vue plus qualitatif, dans l’univers des contenus, l’analyse des données peut s’avérer être un cercle vicieux du point de vue de la création et de l’innovation.
La prévision de la demande peut relever du fantasme
Chercher ce qui est le plus populaire en musique comme au cinéma n’est pas forcément la meilleure façon de trouver des œuvres nouvelles et majeures. La prévision de la demande peut relever du fantasme et, en tout état de cause, les exemples cités, dont celui de Netflix, ne sont que des cas isolés jusqu’à présent. Il reste ainsi à voir si la firme de distribution peut confirmer ses succès dans la production, ou alors tomber dans les aléas habituels d’une profession marquée par l’incertitude. De fait, la dernière série en date, « Marco Polo”, ne semble pas susciter le même enthousiasme que
Game of Thrones
Enfin, des problèmes plus généraux se posent en matière de
protection de la vie privée : et de sécurité. Une enquête de 2012 de l’institut de recherche Pew Internet donnait un verdict pour le moins partagé entre ceux qui décelaient le fort potentiel des
Big Data et ceux qui étaient de plus en plus préoccupés
des abus possibles.
En ce qui concerne la protection des données, les normes de protection actuelles (anonymisation, consentement individuel et clause de retrait) s’avèrent de moins en moins appropriées et devront être modifiées notamment pour passer du contrôle des données elles-mêmes à leur utilisation, l’anonymisation des données devenant de plus en plus délicate. De plus, l’équilibre entre la collecte d’information à des fins sécuritaires et les droits fondamentaux se modifie.
La gestion de ces problèmes sociétaux majeurs prendra du temps, générera des tensions entre promotion de l’innovation et protection des droits. La technologie est autant une partie du problème que de la solution. Pour autant, les problèmes technologiques ne doivent pas être sous-estimés ni considérés comme réglés ou en voie de l’être. La poursuite de la croissance indéniable de cette valse des zettabytes passe par le déploiement de réseaux à même de traiter ces données (4G, 5G), de contribuer au développement de nouvelles applications, à la mise en place de nouvelles plateformes, au développement de nouveaux terminaux mobiles
à des prix accessibles et d’une connectivité appropriée.
Passer au crible une masse d’information est une opération complexe, le stockage de terabytes n’est pas simple non plus. Si les barrières à l’entrée peuvent se réduire avec la chute des coûts, notamment avec le « cloud computing », l’expertise reste coûteuse et peu ou pas présente dans les industries créatives.
Cette inégalité entre acteurs traditionnels des médias et dragons numériques est source de conflits, comme on l’a vu dans le désaccord qui a opposé Amazon et Hachette. Ce conflit renvoie à un problème de concurrence, de concentration du marché entre les mains des oligopoles du Big Data, de ces « barons des données »
, même si pour l’instant, cette tendance a été contrecarrée par la vivacité de l’écosystème des start-ups dans le domaine.
En résumé, les mégadonnées sont peut-être là, mais la méga-vision manque encore à l’appel.