Pour la presse, un bilan assez maigre
« Libération (…) voit la possibilité d’étendre son audience auprès d’un public nouveau
», se réjouissait
Laurent Joffrin, en avril 2016, lors du rachat de Libération par SFR. Combien représente ce « public nouveau » ? En novembre 2017, le nombre de téléchargements du quotidien à partir de SFR Presse variait entre « 7 000 à 15 000 téléchargements par jour », annonçait Jérôme Lefilliâtre, journaliste médias au sein du journal, à
Arrêt sur images. En avril 2018, les chiffres, certifiés par l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), étaient
plutôt dans la fourchette basse avec près de 6 000 exemplaires téléchargés par jour. Ces téléchargements du quotidien via le kiosque numérique de SFR ont-ils permis une augmentation globale des audiences ? D’après les chiffres de l’ACPM, les audiences globales de
Libération ont grimpé très légèrement. La diffusion payée du journal (kiosques numériques inclus), c’est-à-dire les numéros effectivement achetés chaque jour (que ce soit par abonnement ou au numéro) a augmenté de 2,30 % entre 2016 et 2017.
Du côté de
L’Express, le nombre de téléchargements par semaine (
L’Express étant un hebdomadaire) varie « actuellement entre 20 et 25 000 exemplaires téléchargés par numéro », selon Guillaume Dubois, directeur de la publication, interrogé par mail début mars 2018, ce qui représente une fourchette élevée. En mai 2018, l’ACPM dénombrait 14 500 exemplaires téléchargés par numéro, en moyenne. Comme
Libération, Guillaume Dubois expliquait,
sur France Inter, en mars 2017, que l’enjeu de ce type d’offre était de « reconquérir des lecteurs (…) perdus sur le papier. » Mais à l’inverse du quotidien dirigé par Laurent Joffrin, la réalité montre que cette reconquête ne s’est pas produite pour l’instant. Malgré un point de distribution supplémentaire via SFR Presse,
L’Express a vu sa diffusion payée (les numéros achetés, que ce soit à l’unité ou par abonnement) baisser de 3,56 % entre 2016 et 2017.
Si de nombreux titres de presse sont distribués via des kiosques numériques d’autres ont refusé d’intégrer ces plateformes virtuelles comme l’hebdomadaire Le Point.
Si de nombreux titres de presse sont distribués via des kiosques numériques (SFR Presse de SFR, ePresse avec Orange, LeKiosk de Bouygues Telecom…), d’autres ont refusé d’intégrer ces plateformes virtuelles comme l’hebdomadaire
Le Point. « Dans la pratique (…), SFR rémunère les journaux au téléchargement et ce à une fraction – environ le dixième – de leur prix normal »
, justifiait
Étienne Gernelle, le directeur de la publication,
sur France Inter, le 14 mars 2017.
Le revenu généré dépend cependant du kiosque. Certains journaux expliquent, par exemple, que Bouygues serait bien plus intéressant que SFR d’un point de vue financier. « Les éditeurs de presse restent encore partagés, même si LeKiosk [proposé par Bouygues à ces clients de téléphonie mobile, NDLR] a la réputation de bien mieux payer que SFR », rapporte
Les Echos. C’est là une question majeure pour les journaux. Pour les médias concernés, il s’agit ni plus ni moins de savoir si l’opération est rentable ou non.
C’est d’autant plus vrai dans les cas de
Libération et
L’Express, qui ont perdu un tiers de leur rédaction suite au rachat par Patrick Drahi (respectivement 69 et 26 postes). Ces départs massifs étaient voulus par l’entrepreneur comme préalable à une restructuration de ces titres.
In fine, l’idée était la suivante : l’audience et les revenus connexes engendrés par l’intégration de ces journaux dans le kiosque SFR Presse devaient permettre de réinvestir, en réembauchant des journalistes par exemple.
« La question est de savoir comment on partage la valeur, à savoir : comment les journaux sont rémunérés quand il y a une lecture de leur journal », s’interroge lsa Bembaron
, à Arrêt sur images.
«
Chaque téléchargement de
Libé sur SFR Presse rapporte 36 à 37 centimes par téléchargement à
Libération », répond Jérôme Lefilliâtre. Avec 5 920 téléchargements quotidiens par jour en moyenne (en 2017), SFR Presse rapporterait environ 65 700 euros environ par mois au journal. Ce chiffre n’est cependant qu’une estimation. D’abord car le nombre de téléchargements et les revenus du journal sont variables selon les jours. Ensuite parce que le revenu par téléchargement a pu évoluer selon les éventuelles discussions entre SFR et
Libération. Quoi qu’il en soit, comparativement au budget nécessaire pour un tel journal, ces 65 000 euros mensuels représentent un revenu relativement faible.
Concernant la rémunération de L’Express, Guillaume Dubois ne souhaite pas communiquer les chiffres de répartition des gains financiers entre SFR et l’hebdomadaire. « Cela relève du secret des affaires », argue-t-il sur France Inter. Mais tout laisse à penser que, puisque les téléchargements hebdomadaires sont relativement peu nombreux, les revenus acquis par cette voie sont globalement faibles en comparaison au budget du journal.