Illustration d'une ruche avec des ondes radio et un essaim d'abeilles butinant à des micros

© Crédits photo : INA. Illustration : Émilie Seto.

Podcasts, un nouvel essor ?

L’offre de podcasts n’a jamais été aussi grande en France, emmenée par des studios créatifs porteurs d’un nouveau souffle. De nouveaux venus entendent structurer davantage le marché, offrant l’opportunité de mieux monétiser les contenus. Et pour les médias de se lancer dans l’aventure audio à faible coût.

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Le podcast est-il en train de vivre l’essor que la vidéo a connu sur le Net avec Youtube au tournant des années 2010 ? Le moment rappelle en effet ce point de bascule lorsque la plateforme de Google a commencé en France à conseiller les créateurs dans la professionnalisation de leurs productions et à leur offrir un modèle de rémunération. Lors d’un grand raout en 2011 à La Plaine Saint-Denis, Youtube réunissait ses vidéastes pour leur partager un message : « Lancez-vous, nous sommes là pour vous accompagner. » Au dernier Salon de la radio, organisé en janvier à la Villette (Paris), bien des acteurs de l’audio ont véhiculé le même appel, presque mot pour mot.

« Il y a toutefois une différence dans ce parallèle car Youtube est à la fois plateforme d’hébergement et de distribution. Or, il n’existe pas aujourd’hui de plateforme unique comparable pour les podcasts mais des dizaines d’hébergeurs et des dizaines de distributeurs », souligne Maxime Piquette, co-fondateur de la plateforme de podcasts Ausha, et PDG de la structure.

 

Un marché exponentiel, encore ouvert aux nouveaux venus

Liée à Radio King, Ausha dispose d’une équipe de huit personnes et a lancé ses services en octobre. La plateforme propose aux podcasteurs, contre un abonnement d’une dizaine d’euros, un espace d’hébergement illimité, et surtout un flux RSS permettant de propulser leurs contenus vers Apple Podcast, Deezer ou Spotify. Pour bon nombre de créateurs, la génération de ce flux RSS constituait, jusque-là, une barrière qui nécessitait pour la franchir des connaissances techniques spécifiques.

Ausha offre également gratuitement ses conseils via son « académie » en ligne. Il s’agit d’aiguiller les nouveaux entrants dans l’élaboration d’un concept, dans l’enregistrement de leurs contenus, le montage, leur promotion sur les réseaux sociaux, l’analyse de leur audience... « Nous ne réaliserons jamais les contenus à la place des podcasteurs, mais nous voulons apporter notre aide et expertise à ceux qui veulent se lancer. » L’entreprise veut enfin proposer dès cette année des sessions de formation ou d’enregistrement en studio. Ausha souhaite ainsi accompagner des créateurs indépendants, des professionnels de la radio ouverts à de nouveaux terrains de jeux, des médias ou bien encore des marques.

« Notre idée est aussi de mettre nos podcasteurs en lien avec les bonnes régies et de programmer des campagnes publicitaires permettant leur rémunération, poursuit Maxime Piquette. C’est maintenant qu’il faut se lancer car il y a encore plein de sujets à traiter, de nouveaux regards à porter, de récits à inventer. »

« Tout le monde s’intéresse au podcast, le marché est exponentiel et il y a encore de la place pour de nouveaux acteurs. »

Même constat chez Louie Média, studio de podcasts narratifs qui s’est fait connaître grâce à Transfert, produit pour Slate. « Tous les indicateurs sont au vert, estime, confiante, Mélissa Bounoua, journaliste, ex rédactrice-en-chef adjointe à Slate et co-fondatrice du studio. De la même manière que les blogs ont du jour au lendemain permis de publier facilement des articles sur le Net, les hébergeurs facilitent l’émergence du podcast. » L’année 2019 promet d’être très intéressante, souligne-t-elle, prenant pour exemple l’entrée du groupe Le Parisien / Les Échos au capital de Binge et, outre-Atlantique, le rachat par Spotify de la société de production Gimlet Média et de la startup Anchor qui propose des outils de création de podcasts et de monétisation. « Tout le monde s’intéresse au podcast, le marché est exponentiel et il y a encore de la place pour de nouveaux acteurs. »

Au dire de la cheffe d’entreprise, les affaires sont bonnes et les propositions de projets quotidiennes. Fondée en 2017, sa société a été bénéficiaire dès la première année. Louie Média accompagne aujourd’hui médias (Slate, Madame Figaro…) et marques dans la production sonore. La liberté encore permise dans les formats, l’arrivée des enceintes connectées et demain de la voiture autonome sont autant d’opportunités à saisir, de temps à occuper. « En un an, nous avons réussi à construire une offre média. Nous vivons aujourd’hui du podcast et nous faisons travailler des journalistes, des ingénieurs du son, des musiciens… »

Les marques sont devenues friandes de ce support que l’auditeur écoute généralement en intégralité, lui accordant davantage son attention.

Les marques sont devenues friandes de ce support que l’auditeur écoute généralement en intégralité, lui accordant davantage son attention. Elles y trouvent une nouvelle manière de communiquer. Chez Louie Média, comme pour bon nombre de sociétés de production audiovisuelles, les contrats avec les marques permettent de financer les contenus éditoriaux. « Tout simplement parce qu’elles disposent de budgets plus importants que les médias », répond Mélissa Bounoua, qui explique « rechercher des sponsors pour chaque projet » afin d’assurer la pérennité de son entreprise et de ses quatre salariées. « Il est inconcevable de se lancer dans des contenus juste parce qu’ils sont bons. »

Intérêt croissant des groupes de presse historiques

Quand ils n’investissent pas directement dans un studio de podcasts, la facilité permise par des hébergeurs comme Ausha ou l’américain Pippa incite des titres de presse à se lancer à leur tour, à l’image du groupe Bayard. « Passer par un tel partenaire avec une solution clé en main, pour quelques euros, et sur lequel s’appuyer a été déterminant, confie Laurence Szabason, chargée de mission podcast. On ne se serait pas lancé si rapidement autrement. » Pour le groupe qui a déployé trois salariés sur la conception de podcasts, ce support permet de faire connaître un titre comme La Croix auprès d’un nouveau public et d’en faire un média global. Le journal voit aussi dans le podcast un atout supplémentaire pour son offre premium. « Nous proposons aujourd’hui une émission racontant, par la voix de son journaliste, un reportage qui a laissé une trace. On veut aussi investir d’autres sujets et montrer que La Croix n’est pas que de la religion. »

Un autre acteur aimerait tout autant séduire les médias : Europe 1 Studio, qui entend s’adresser à la presse écrite pour accompagner les rédactions dans la création de podcasts. Autres cibles en vue : les institutions culturelles, les marques, les entreprises... Parmi les formats dont le groupe est très fier : « 3h56 », une série audio née d’une opération de brand content avec Universal, à l'occasion de la sortie du film First Man de Damien Chazelle. « La radio se diversifie et se renouvelle. Europe 1 Studio est un label qui porte cette évolution », argue Olivier Lendresse, directeur numérique du pôle radio chez Lagardère. Une équipe est dédiée à recueillir les projets, à les affiner si besoin, et permet même aux podcasteurs d’accéder, dans certains cas, aux micros d’un des 22 studios créés dans les nouveaux locaux de la station. « Cette équipe coordonne les trois axes de réussite d’un podcast : la production, la distribution et la monétisation. Si un projet est bon, on peut l’acheter, le co-produire, lui donner de la visibilité sur l’antenne, sur nos réseaux sociaux, sur Apple Podcast avec qui nous sommes partenaire. Mais également le monétiser grâce à la puissance de notre régie publicitaire. »

« Le confort d’utilisation des plateformes est encore loin d’être comparable à ce que l’on retrouve dans la musique et la vidéo à la demande. »

De son côté, la plateforme d’agrégation, de distribution et de production Majelan, qui doit sortir au printemps, veut faire de l’expérience un axe fort. Mathieu Gallet, ancien président directeur-général de Radio France(1)  et créateur avec Arthur Perticoz de la société, explique sa démarche : « Un marché émerge autour du podcast depuis quatre à cinq ans mais des faiblesses demeurent. Le confort d’utilisation des plateformes est encore loin d’être comparable à ce que l’on retrouve dans la musique et la vidéo à la demande. On passe encore trop de temps à chercher et à découvrir de nouveaux podcasts. Quand nous parlons de créer le Netflix du podcast, c’est à la fois éditorialiser l’offre, assurer la recommandation et proposer des contenus exclusifs dans une partie payante. » Majelan connaît le même objectif de structuration que d’autres acteurs en voulant créer de nouvelles fonctionnalités, en mobilisant de nouveaux talents, en diversifiant la production, en imaginant des modèles de financement. Elle a annoncé en décembre avoir réalisé une première levée de fonds de quatre millions d’euros.

Peut-être que demain, les podcasteurs disposeront, eux aussi, d'aides spécifiques.

Bien que ces nouveaux acteurs mettent en avant la rémunération des créateurs et la monétisation de leurs contenus, aucun n'est aujourd'hui en mesure d'annoncer publiquement quelles sommes, sonnantes et trébuchantes, peuvent être attendues et promises. Savoir combien peut être achetée une idée de podcast, à quelle hauteur peuvent être financés une série d'émissions ou un long reportage, quel montant peut être généré par un annonceur et en fonction de quel niveau d'audience, restent autant de questions sans réponses. Il n'existe pas plus pour l'heure d'organismes soutenant et accompagnant les auteurs comme un CNC (Centre national du cinéma) ou une Scam (Société civile des auteurs multimédia) des podcasteurs. Le podcast n'en est véritablement qu'à ses débuts dans ce domaine. Les Youtubeurs ont aujourd'hui droit à différents fonds de la part du CNC. Peut-être que demain, les podcasteurs disposeront, eux aussi, d'aides spécifiques.

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    Il a également été PDG de l’INA de 2010 à 2014

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