Télé 7 jours, un univers rassurant face aux bouleversements des modes de consommation des écrans.

© Illustration : Charlotte Mo

Télé 7 Jours : cet univers si rassurant où la télé est encore reine

Depuis 1960, l'hebdomadaire le plus vendu en France présente les programmes jour par jour, heure par heure. Comment s'adapter à celle du streaming et du replay ?

Temps de lecture : 7 min

Tout doux. Quand tant de médias, obsédés par la nouveauté ou craignant la ringardise, ne jurent que par les usages émergents qu'ils s'empressent de transformer en phénomènes incontournables, la lecture de Télé 7 Jours (1,50 euro le numéro) inspire une placide certitude : le monde ne change pas si vite — en tout cas pas pour tout le monde. La bonne vieille télé occupe toujours une place centrale dans la vie quotidienne et l'imaginaire de millions de gens.

Bien sûr, quelques concessions à la modernité sont sans doute nécessaires. À Levallois-Perret, au deuxième étage du siège de CMI France (le groupe de presse de Daniel Křetínský), oui, là, juste en face de la salle de réunion Céline Dion, la rédaction de l'hebdo le plus vendu en France (près de 840 000 exemplaires par semaine) a ainsi entrepris de relever un défi de taille : concevoir « un vrai guide du streaming » pour ses lecteurs.

Lors des précédentes révolutions télévisuelles — l'arrivée du câble et du satellite, puis de la TNT — il avait fallu faire rentrer au chausse-pied toujours plus de chaînes dans les pages. Mais l'organisation de l'information restait la même depuis la création du journal, en 1960 : des programmes présentés jour par jour, heure par heure, et salués d'un, deux, trois ou quatre « 7 » — autant de rendez-vous potentiels que l'on peut cocher, entourer ou surligner.

Pour la télé à la demande, cette antique logique de grille ne fonctionne plus. Depuis la dernière refonte de Télé 7 Jours, en novembre 2022, deux pages sont donc consacrées au « meilleur des plateformes », un traitement comparable à celui des sorties de films au cinéma. Et une colonne récapitule les dates de mise en ligne des séries les plus attendues. Un casse-tête. Alors que les chaînes sont tenues de transmettre leurs programmes aux éditeurs de magazines trois semaines à l'avance, pour le streaming, rien n'est encadré ; chaque plateforme communique comme elle l'entend.

Habitudes

Signe des temps : des personnalités à l'affiche de programmes en streaming font désormais la couverture de Télé 7 Jours. « On y va doucement », assume Jérémy Parayre, le jeune directeur de la rédaction — pantalons fluides, flegme à toute épreuve et passion immodérée pour « Mariés au premier regard », la téléréalité de M6. « Il y a cinq ans, détaille-t-il, seuls 40 % de nos lecteurs étaient abonnés à une plateforme. Aujourd'hui, près de 70 % ont un abonnement (à Netflix, dans leur très grande majorité). On s'est ouvert progressivement aux autres plateformes, on met de temps en temps un peu de Twitch et de YouTube, mais il ne faut pas bouleverser les habitudes de nos lecteurs. »

Les pages de pub esquissent efficacement l'univers de ces lecteurs : c'est un monde de legs et de viagers, de services de téléassistance et de sous-vêtements absorbants, de bracelets porte-bonheur et de monte-escaliers. Un monde, loin des grandes villes, où la télé reste allumée plus de cinq heures par jour et où règne parfois une forme d'illettrisme numérique.

Marie-France Dumas peut en témoigner : en perfecto et lunettes rouges, la responsable du courrier des lecteurs est en train de shazamer un spot publicitaire pour répondre à Liliane, une abonnée du Pas-de-Calais curieuse d'identifier l'interprète de la « jolie mélodie » entendue entre deux feuilletons. Juste avant, la préposée au courrier a fait des recherches pour localiser la « belle cascade » repérée par Françoise, une lectrice bisontine, dans le film Les Vétos « avec Clovis Cornillac ». Requêtes suivantes : le prénom de l'inspecteur Columbo, l'adresse de Nikos Aliagas et la marque du pull porté par la comédienne Michèle Bernier lors de sa dernière apparition « sur le petit écran ».

Parfois, les abonnés écrivent pour se plaindre : il y a deux ans, la présentation des grilles avait été retouchée pour présenter trois chaînes par page au lieu de deux. En quinze jours, « mille messages » de protestation étaient arrivés à la rédaction, qui avait aussitôt fait machine arrière. « Souvent, raconte Marie-France Dumas, des lecteurs nous demandent aussi pourquoi on arrête telle ou telle émission. Pour eux, c'est nous qui décidons des programmes. Ils imaginent qu'on a le pouvoir de faire changer les choses. »

Peut-être subsiste-t-il, chez certains lecteurs, le très lointain souvenir des campagnes menées autrefois par « le grand hebdomadaire de la famille française » (sa baseline dans les années 1960) et des pétitions qu'il adressait aux patrons de l'audiovisuel au nom de la défense des téléspectateurs. Le magazine ne prétend plus jouer ce rôle de porte-parole du public. Depuis les années 1980, l'audimat est l'unique vox populi. « Mais les chaînes nous demandent parfois ce que nos lecteurs ont pensé de tel programme ou de telle personnalité », module Jérémy Parayre. Avec elles, décrit-il, « on est dans une forme de discussion permanente » : « On est sans cesse à la recherche de sujets intéressants, et elles, de couverture médiatique pour leurs programmes. »

Flex-office

Pour l'heure, dans l'open-space en flex-office, le directeur du journal est en négociation serrée avec une attachée de presse de TF1. L'enjeu : obtenir l'autorisation de dégainer avant la concurrence ses prochaines couvertures avec Audrey Fleurot (pour la troisième saison de HPI) et Clémentine Célarié (pour la mini-série Les Randonneuses), sinon « Clémentine » risque de passer à l'as, puisque La Zarra — la candidate présentée par la France à l'Eurovision — , est incontournable : Télé 7 Jours est partenaire du concours diffusé par France 2, la couv est déjà prête. Jérémy Parayre reprend son planning du mois de mai, fait rouler entre deux doigts l'anneau qui pend à son oreille gauche, et dit : « C'est pas très bien emmanché. »

À Télé 7 Jours, la conception des couvertures est régie par quelques lois immuables : une personne seule « marche » mieux qu'un duo ; un homme fait plutôt moins vendre qu'une femme (sauf Alain Chabat) ; les « talents » (on ne dit plus « célébrités ») traînent presque toujours des pieds pour décrocher un sourire (« on essaye pourtant de faire un journal feel-good ») ; aux animateurs soucieux d'avoir l'air un peu rock, il faut patiemment expliquer que le blouson en cuir ne flatte guère la silhouette ; un entretien avec la chanteuse Jenifer (53 couvertures à son actif) ou l'animatrice Faustine Bollaert (autrefois journaliste à Télé 7 Jours) garantit de très bonnes ventes ; il est plus facile pour le magazine de décrocher Jennifer Aniston ou Matt Damon que Virginie Efira ou Camille Cottin (« Les Américains ne sont pas snobs, ils regardent nos chiffres d'audience, c'est tout ») ; souvent, à l'issue de la séance photo, les animateurs qui en ont rêvé très fort confient que Télé 7 Jours trônait sur la table du salon de leurs parents.

« Ce qui peut sembler très connu à Paris ne l'est pas toujours du grand public »

En cas de doute sur le choix d'une personnalité, Jérémy Parayre appelle une retraitée de 63 ans établie dans la région lyonnaise : sa mère. Ancienne assistante dans une société de prothèses orthopédiques, elle est pour son fils un mètre-étalon de la notoriété. Le nom de Laure Calamy, pourtant omniprésente au cinéma, ne lui évoque rien ? La couv de Télé 7 attendra. « Ce qui peut sembler très connu à Paris ne l'est pas toujours du grand public », souligne Amandine Scherer, cheffe de service Actu. Dans les pages intérieures du magazine, elle veille à présenter « deux tiers de valeurs sûres » (par exemple : Philippe Lavil, Séverine Ferrer) pour « un tiers de découvertes » (par exemple : un jeune chorégraphe repéré dans « La France a un incroyable talent »).

Amandine Scherer parle de ce qu'elle regarde avec une gourmandise manifeste. « Il y a quatre ou cinq ans, raconte-t-elle, je trouvais que la télé n'avait plus aucun intérêt. Mais la concurrence des plateformes a condamné les chaînes au sursaut. Franchement, on bénéficie aujourd'hui d'une offre incroyable. » Conséquence : alors que les trente journalistes de Télé 7 Jours passent une part non négligeable de leurs journées à visionner des programmes « pour le travail », il n'est pas rare, le soir venu, qu'ils s'installent devant « le poste ». Frédéric Lohézic, qui « regarde en direct le sport et l'info », ne raterait pour rien au monde un épisode d'Ici tout commence, le feuilleton quotidien de TF1. « Parfois, confie-t-il, je m'accorde un petit plaisir : je me retiens de regarder pendant trois jours puis je me fais une soirée spéciale. »

Gros mots

Collaborateur du magazine depuis 1994, il a connu une époque où la rédaction était quatre fois plus nombreuse et l'organigramme long comme une cérémonie des Sept d'or. L'argent n'était pas un sujet. Aujourd'hui, l'équipe choisit souvent les programmes qu'elle souhaite mettre en lumière avant même de les visionner. En fonction de leur sujet, des audiences habituelles d'une émission, d'un subtil équilibre entre les chaînes. De leur tenue, aussi : même s'il y a bien longtemps que Télé 7 Jours ne communique plus, à côté de ses propres recommandations, la cote de la Centrale catholique du cinéma, l'hebdomadaire reste allergique aux films « trop violents » ou « truffés de gros mots ».

Également jugées trop trash pour ses lecteurs traditionnels, les émissions de Cyril Hanouna et la téléréalité d'enfermement sont en revanche traitées sur le site du magazine où sont empilées, à destination d'un lectorat plus jeune, des « news » et des reprises de « moments de télé », ces extraits susceptibles d'émouvoir ou d'indigner fabriqués à la chaîne par les talk-shows ou « Chez Jordan », inénarrable émission people de C8. Une autre manière de prendre des nouvelles de la télé.

Tous ces contenus, gratuits, sont très proches de ceux proposés par les médias concurrents. Les lignes éditoriales sont indiscernables. Seuls varient les titres, ultra-incitatifs, et l'ordre des mots-clés choisis pour livrer l'infernale bataille du référencement et permettre aux internautes d'atterrir sur programme-television.org (le site de Télé 7 Jours, fréquenté par 9 millions de visiteurs) plutôt que sur programme-tv.net (le site de Télé-Loisirs, ultra-dominant avec 19 millions de lecteurs).

Pour l'instant, les études montrent que les lecteurs du print ne lisent pas le web, et réciproquement. Mais ceux qui grappillent des échos sur le site du magazine ont-ils seulement conscience de lire Télé 7 Jours ? « Ma fille de 25 ans, je ne l'ai jamais vue avec un magazine, mais elle a téléchargé l'appli », triomphe Marie-France Dumas. Elle sourit, déplace une pile d'enveloppes et ouvre un nouveau courrier de lecteur. Pensive, elle interrompt sa lecture : « Cette histoire d'appli, je me demande quand même si c'est pas pour me faire plaisir. »

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