Quasi-inconnue en France, la chaîne de télévision polonaise TVN fait depuis quelques semaines l’actualité de la presse spécialisée, en particulier depuis que Vivendi s’est déclaré intéressé par son rachat. La transaction étant désormais confirmée, elle fait du Français un acteur de poids des médias en Pologne car TVN est l’une des chaînes les plus regardées du pays. Portrait de l’une des success-stories les plus emblématiques du paysage audiovisuel polonais.
Créée en 1997, TVN est devenue en l’espace de 15 ans l’un des groupes de télévision les plus puissants du pays. La chaîne bat régulièrement des records d’audience avec des programmes phares tels que « Taniec z Gwiazdami », « Mam Talent » ou « Fakty ».
En 1995, deux hommes d’affaires polonais - Mariusz Walter et Jan Wejchert – décident de lancer une nouvelle chaîne de télévision privée en Pologne. Les deux hommes président alors le groupe ITI (Grupa ITI) qu’ils ont fondé quelques années plus tôt. Cinq ans après la transaction démocratique de la fin des années 1980, le paysage audiovisuel polonais apparaît encore relativement vierge : outre les deux chaînes publiques de Telewizja Polska, on compte un seul opérateur privé en la personne de Telewizja Polsat, lancé en 1993.
Soucieux de ne pas lui laisser le champ libre, les deux hommes décident alors de fonder TVN, qui n’est autre que l’abbrévation de TV Nowa (littéralement « Télévision Nouvelle, Indépendante »).
L’alliance avec Telewizja Wisla est le premier coup de génie de Mariusz Walter et Jan Wejchert.En mars 1997, TVN obtient l’autorisation du Conseil supérieur de l’audiovisuel polonais (KRRiT) d’émettre seulement sur la moitié nord du territoire polonais. Afin d’atteindre rapidement une couverture de diffusion quasi-nationale, le tandem décide de s’allier à Telewizja Wisla qui émet principalement dans les régions sud de Pologne. L’alliance avec Telewizja Wisla est le premier coup de génie de Mariusz Walter et Jan Wejchert. Cet accord permet à TVN d’obtenir très rapidement une couverture quasi-nationale et de pouvoir être captée dans toutes les grandes villes polonaises. Paradoxalement, ce n’est que beaucoup plus tard, en 2004, que TVN parviendra à acquérir 100% de couverture nationale sur le territoire polonais. C’est d’ailleurs cette même année que TVN absorbera Telewizja Wisla et deviendra un groupe unifié.
TVN restera également dans l’histoire comme l’initiateur de la téléréalité en Pologne.TVN restera également dans l’histoire comme l’initiateur de la téléréalité en Pologne. C’est d’ailleurs grâce à « Wielki Brat », l’adaptation polonaise de « Big Brother », que la chaîne réalisera l’audience la plus élevée de son histoire avec 10 millions de téléspectateurs recensés pour la finale de l’émission en juin 2001.
En juillet 2001, Mariusz Walter décide de céder les commandes du groupe à son fils Piotr. Alors que TVN est devenue une marque reconnue des téléspectateurs polonais, ce dernier adopte une nouvelle stratégie de développement fondée sur la création d’une offre de chaînes thématiques. Ce choix lui semble d’autant plus judicieux que le principal concurrent de TVN, Telewizja Polsat, développe lui aussi depuis quelques mois ses propres chaînes thématiques dans le cadre de son bouquet satellite Polsat.
Cette stratégie trouve son aboutissement dès le mois suivant avec le lancement de la première chaîne d’information continue en Pologne. Baptisée TVN 24, la chaîne s’impose rapidement comme une référence en la matière en s’inscrivant dans le prolongement du journal télévisé « Fakty », dont la notoriété ne cesse de croître en Pologne.
L’année suivante, TVN poursuit son expansion en rachetant à l’allemand Bertelsmann la chaîne RTL7 qu’elle rebaptise TVN 7. La nouvelle équipe dirigeante modernise la programmation de la chaîne en misant sur deux axes principaux : le cinéma et les séries télés. TVN 7 offre également une deuxième vie aux programmes de TVN en les rediffusant quelques mois après leur première diffusion.
Fort du succès de TVN 24, le groupe décide de continuer à jouer la carte de l’info en lancant en mars 2003 TVN Meteo, une chaîne dédiée aux prévisions météo et à l’environnement. Les téléspectateurs répondent également présents. Pour compléter son offre de chaînes thématiques, TVN lance successivement TVN Turbo (sports mécaniques) en décembre 2003, puis TVN Style (lifestyle) le 1er août 2004 et TVN Gra (jeux intéractifs) en octobre de la même année.
L’année 2004 marque également le tournant de l’international pour le groupe qui décide de lancer une version de TVN dédiée l’international (iTVN). Inspirée directement du modèle de TV Polonia (TVP) et Polsat 2 International (Polsat), iTVN vise à ses débuts le marché nord-américain qui abrite une importante dispora polonaise, notamment à New York ou à Chicago. Elle se tournera quelques mois plus tard vers l’Europe de l’Ouest (France, Angleterre, Allemagne) en étant disponible chez la plupart des opérateurs du câble et du satellite. iTVN reprend le meilleur des programmes de TVN, TVN 24, TVN Style et TVN Turbo.
2004 inaugure enfin une autre petite révolution : après plusieurs années de bons et loyaux services, la direction du groupe décide de crypter en janvier 2004 le signal de TVN sur le satellite Hotbird. Ce changement est un coup dur pour les Polonais implantés à l’étranger car TVN était depuis ses débuts disponible en clair et comptait parmi les chaînes les plus regardées par la communauté polonaise. Officiellement, cette décision est justifiée par la volonté du groupe d’accorder plus de place aux évènements sportifs, ce qui serait incompatible avec une diffusion à l’échelle européenne en raison du coût élevé des droits de diffusion. En réalité, cette décision s’inscrit davantage dans la lignée d’une stratégie de contenus « premium » amorcée avec le lancement de TVN 24.
Depuis 2001, toutes les chaînes thématiques lancées par TVN font en effet l’objet de contrats d’exclusiveté avec certains câblo-opérateurs et bouquets satellite polonais. L’idée de Piotr Walter était clairement de monétiser davantage les contenus en misant sur le développement parallèle d’une offre payante de chaînes thématiques qui devait cohabiter avec la généraliste TVN.
En 2004, TVN devient à son tour payant sur le câble et le satellite, tout en continuant à émettre en clair sur le réseau hertzien. Le cryptage partiel de TVN ne fait que renforcer la stratégie du groupe vers une offre payante qui est censée palier les aléas du marché publicitaire.
Jusqu’à présent, la direction de TVN semblait avoir fait un sans-faute mais la seconde moitié des années 2000 va beaucoup moins réussir au groupe : en octobre 2006, TVN lance deux nouvelles chaînes thématiques qui s’avéreront pourtant un échec commercial, conduisant à leur retrait quelques mois plus tard : TVN Med (santé) et TVN Lingua (langues étrangères). TVN Warszawa (actualités de la capitale polonaise) connaitra également le même sort en mai 2011 après trois petites années d’existence. Malgré ces échecs, TVN poursuit en parallèle sa politique d’acquisition en rachetant la chaîne de téléachat Mango TV (mai 2007) puis en s’alliant au géant américain CNBC Europe pour lancer TVN CNBC (septembre 2007).
Fort du succès de Polsat Cyfrowy et Cyfra+, la direction de TVN espère profiter du boom de la télévision numérique en Pologne pour imposer son propre bouquet satellite. Son nom : « Telewizja N – Nowej Generacji).
Le moment paraît d’autant plus opportun que la seconde moitié des années 2000 est marquée par une série d’innovations majeures dans le secteur de la télévision à péage : apparition du format de la Haute Définition (HD) et de fonctions innovantes : VOD (Vidéo à la demande), PVR (fonction d’enregistrement), Multiroom... Le positionnement de « N » est alors tout trouvé : TVN ambitionne de faire de son nouveau bébé le « bouquet de l’innovation technologique et des exclusivités » dans un marché polonais dominé jusqu’alors par des offres familiales ou premium.Le bouquet voit officiellement le jour le 12 octobre 2006. N est le premier opérateur satellite en Europe Centrale à proposer dès sa sortie un nombre élevé de chaînes en Haute Définition (HD) ainsi qu’une bibliothèque virtuelle de films à visionner sur le modèle de la VOD.
D’autres innovations majeures sont également à mettre au crédit du bouquet : fonction d’enregistrement des programmes en différé (PVR) à l’aide d’un disque dur intégré au terminal, diffusion des chaînes au format DVB-S2 (MPEG-4), possibilité de connecter les décodeurs à l’Internet afin d’accéder au portail « nPortal » et à un bouquet de web-radios (nRadio) diffusées au format SHOUTCast, réception des chaînes de la télévision numérique terrestre polonaise (TNT) et possibilité de visionner plusieurs programmes simultanément dans le cadre d’un abonnement unique (Multiroom).
Mais les innovations ne se limitent pas seulement à la technique. En plus de la galaxie des chaînes thématiques de TVN, N développe une programmation spécifique avec plusieurs chaînes produites en interne : Wojna i Pokój (documentaires historiques), nSport HD (sports), nFilm HD 1 et 2 (cinéma). « NShow 3D »- un canal dédié aux productions 3D - est même lancé le 4 décembre 2010.
Cette stratégie s’avère payante puisqu’en l’espace de 4 ans, N parvient à capter 20 % de parts de marché, soit environ 826 000 abonnés, ce qui en fait le troisième bouquet satellite en Pologne. À ce jour, c’est également le bouquet satellite en Pologne qui propose le plus de chaînes en HD (27).
Outre un positionnement original - résolument technolophile - et certaines exclusivités cinéma, N doit également son succès à une politique de distribution efficace, largement relayée par une multitude de points de vente et un système de vente en ligne performant. L’accord stratégique signé en octobre 2010 entre TVN et l’opérateur historique Telekomunikacja Polska constitue une étape supplémentaire dans le développement de N : le géant polonais des télécoms accepte alors de mettre à disposition sa force de vente pour promouvoir le bouquet de chaînes de N dans les agences du groupe. En échange, N propose désormais à ses abonnés les offres de téléphonie mobile et d’accès Internet du groupe TP.
En plus de N, TVN - via sa filiale Cyfrowy Dom - lance en octobre 2008 un deuxième bouquet satellite directement inspiré des offres prépayées de la téléphonie mobile. Baptisé « Telewizja na karte », ce bouquet se compose d’un pack de réception (décodeur + carte) que les utilisateurs peuvent acquérir sans signer un contrat avec l’opérateur. C’est le premier bouquet satellite de ce type à voir le jour en Pologne. L’autre originalité du bouquet est de proposer un accès illimité à certaines chaînes sans devoir créditer son compte. Pour accéder aux autres chaînes, il est possible de recharger son compte par téléphone ou par Internet. Une déclinaison HD du concept est lancée quelques mois plus tard, puis rebaptisée « N na karte », sans doute en vue d’unifier les différentes marques du groupe. Une fois de plus, le succès est au rendez-vous avec environ 300 000 utilisateurs cumulés en janvier 2011.
L’année 2006 ne marque pas seulement le tournant de la télévision à péage puisque TVN rachète l’intégralité des parts de la société Onet.pl, qui exploite le portail Internet du même nom. Onet.pl n’est autre que le portail Web le plus consulté en Pologne avec 12, 188 millions d’utilisateurs en septembre 2011 selon le Megapanel PBI Gemius et un acteur majeur du commerce électronique dans ce pays. On lui doit notamment le premier site de rencontres du pays (« Sympatia.pl ») ou encore le site de cartographie en ligne Zumi.pl.
En août dernier, l’actionnaire principal Grupa ITI crée la surprise et annonce son intention de céder TVN. Plusieurs candidats au rachat parmi lesquels les plus grands groupes de médias au monde (Bertelsmann, Vivendi, Time Warner, T-Mobile...) sont alors consultés.
La direction de TVN reste évasive sur les motifs qui ont conduit Grupa ITI à vouloir se séparer du groupe, se contentant d’évoquer de « nouvelles opportunités stratégiques ». Pourtant les milieux financiers se veulent plus précis, invoquant tour à tour un endettement important(2) et surtout des dissensions entre les actionnaires historiques du groupe, notamment entre les familles Wejchert et Walter. Une thèse qui semble se confirmer puisque Lukasz Wejchert a récemment annoncé son intention de vendre la totalité de ses parts et de se retirer de la gestion de TVN.
Fin septembre, la presse polonaise annonce que deux sociétés seraient finalement en lice pour le rachat de la première chaîne privée polonaise. Il s’agit de l’américain Time Warner et du français Vivendi. Le suspense est définitivement levé début novembre : la direction de Grupa ITI annonce l’ouverture de négociations exclusives et l’amorce d’un « partenariat stratégique » avec Vivendi - déjà présent en Pologne via sa filiale Canal+ Cyfrowy, qui contrôle le bouquet satellite Cyfra+.
On ignore encore les contours exacts de l’accord qui devrait être finalisé d’ici la fin de l’année 2011. Selon plusieurs médias polonais, Canal+ pourrait dans un délai de 5 ans racheter progressivement l’intégralité des parts de Grupa ITI dans TVN.
D’ici là, plusieurs axes rapprochement pourraient être envisagées, dont la fusion probable de Cyfra+, le bouquet satellite de Canal+ en Pologne, avec « Telewizja N ». Sur le papier, l’absorption de N par Cyfra+ présenterait un intérêt certain pour Canal+ : le nouvel ensemble pèserait alors 2,5 millions d’abonnés, permettant ainsi à Canal+ de venir talonner le leader de la télévision à péage en Pologne, le polonais Cyfrowy Polsat (3,5 millions d’abonnés). Surtout le Français pourrait ainsi récupérer plusieurs accords d’exclusivité signés par N avec des majors américaines du cinéma telles que la Paramount. Enfin, il n’est pas exclu que Canal+ profite du rachat de TVN pour investir le marché de la télévision en clair et prendre des positions dans la TNT polonaise, où TVN est déjà présente. Quoiqu’il en soit, ce rachat devrait consacrer Canal+ comme un acteur de premier plan dans le secteur des médias en Pologne.
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