Le défilé militaire du 14 juillet, des ses préparatifs à la retransmission en direct.

Le défilé militaire du 14 juillet est couvert dès ses préparatifs par les journalistes des chaînes télévisées, et retransmis en direct.

© Crédits photo : Captures d'écran BFMTV / Franceinfo / TF1 / France 2

Le défilé du 14 Juillet : un moment de télé consensuel

Évènement aussi régulier que populaire, le défilé militaire du 14 Juillet sur les Champs-Élysées réunit plus de dix millions de téléspectateurs. L’historienne Bénédicte Chéron nous éclaire sur la portée médiatique de ce rite républicain.

Temps de lecture : 4 min

C’est un évènement télévisuel aussi régulier que populaire. Diffusé pour la première fois en direct à la télévision (RTF) en 1950 — la France ne compte alors que 3 794 postes de télé — le défilé militaire du 14 Juillet réunit désormais plus de dix millions de téléspectateurs. Diffuseur historique de l’évènement, France 2 en alterne la production avec TF1 depuis 1992. Les deux chaînes cumulent environ 75 % d’une audience aujourd’hui partagée avec plusieurs autres chaînes (dont LCI, BFMTV, CNews, Franceinfo). Maître de conférences à l’Institut catholique de Paris, et spécialiste de la médiatisation du fait militaire, Bénédicte Chéron nous éclaire sur la dimension médiatique de ce rite républicain.

Pourquoi, et depuis quand, le défilé militaire du 14 Juillet est-il diffusé à la télévision ?

Bénédicte Chéron : La première diffusion en direct, à la télévision, du défilé militaire du 14 Juillet remonte à 1950. Et depuis, il s’est imposé comme un rendez-vous télévisuel important. C’est un spectacle qui remplit un rôle politique et social, et c’est un rite pensé pour être regardé. 

Depuis l’instauration, en 1880, du 14 Juillet comme fête nationale, nous sommes passés d’une cérémonie réservée à un petit monde d’initiés (les familles des militaires, les habitants présents à proximité des lieux du défilé…) à une retransmission plus large. La forme du défilé s’est adaptée à l’apparition de chaque média dit « de masse » : d’abord la presse écrite avec des récits et des photographies, puis la radio avec les musiques militaires, et enfin la télévision, média idéal en raison de l’aspect très visuel du défilé, avec ses uniformes, ses emblèmes, ses couleurs, ses matériels. 

Un défilé recouvre toujours plusieurs rôles qui sont parfois difficile à démêler. Il peut être conçu pour faire une démonstration de force visant à impressionner, voir effrayer des ennemis intérieurs ou extérieurs ; c'est souvent le cas dans des régimes totalitaires . En France, les circonstances mêmes de la naissance du défilé en font d'abord un moment d’affirmation de l’unité nationale autour du régime républicain même si tout démonstration de ce type vise aussi à montrer une certaine puissance. 

Comment expliquer le succès d’audience du défilé du 14 Juillet ?

Les armées jouissent, depuis les années 1980-90, d’une bonne image. Après la guerre d’Algérie, les armées ont commencé à se raconter de façon séduisante en effaçant leur finalité combattante au profit d’une efficacité de logisticiens, d’une serviabilité lors de catastrophes naturelles… Cette bonne image actuelle s’explique aussi par une plus forte médiatisation des Opex [opérations extérieures, NDLR] avec la guerre d’Afghanistan dès 2008, et une communication politique qui a peu à peu accompagné le retour dans notre espace public de la médiatisation de la finalité combattante de l'engagement militaire. Cette médiatisation, dans une société qui se perçoit comme en crise, tout en étant défiante envers les politiciens, construit une image sacrificielle d’individus qui ont le courage de s’engager jusqu’au bout. Cet écho positif, favorable, suscite l’admiration de la population française.

Est-ce une spécificité française ?

Le défilé militaire occupe une place centrale dans la fête nationale, qui n’est pas d’une telle ampleur et d’autant de moyens dans d’autres pays. Nous avons, par exemple, la particularité de ne pas voir défiler que les armées, mais aussi des policiers, des pompiers… 

À quel moment le défilé du 14 Juillet s’est-il transformé en show ?

Le défilé du 14-Juillet est, par essence, un spectacle fait pour les Français. Depuis qu’il est diffusé à la télévision, sa forme demeure stable parce que c’est le propre des cérémonies et rites militaires de renvoyer au temps long, même si chaque président de la République lui donne une coloration en fonction du contexte (attentats, guerre…) et que des petites nouveautés sont régulièrement introduites (saut de parachutistes, défilé de troupes étrangères, etc.)

De leur côté, les chaînes télévisées ont développé un habillage adapté avec une démultiplication des caméras pour offrir plusieurs prises de vues, réaliser des interviews en direct de militaires, montrer le public présent sur les Champs-Élysées… En amont, elles diffusent des reportages, tiennent des plateaux et des duplex. Avec l’incarnation de journalistes phares, des visages des chaînes respectives qui se mettent en situation (comme Anne-Claire Coudray sautant en parachute en 2022), c’est un rendez-vous à la fois médiatiquement valorisant et qui attise l’intérêt pour l’évènement. »

Quel rapport l’armée entretient-elle avec les médias ?

Par sa médiatisation, le défilé est un outil de communication à la fois pour les politiques et les militaires, dont les objectifs ne sont pas les mêmes — même si le président de la République est le chef des armées, avec un pouvoir décisionnel militaire fort donné par la Constitution de la Ve République (art. 15). C’est une démonstration de la puissance régalienne, mais les militaires ont toujours l’inquiétude de ne pas être connus des Français. La diffusion télévisée du défilé est donc un moyen pour eux de se rendre visibles de la population. 

Les armées travaillent avec les journalistes depuis la fin des années 1960 en les autorisant à faire des reportages sur les unités, afin de montrer la diversité des armées, les hélicoptères, la modernité de l’armement… 

Pour les éditions spéciales, telles que le défilé du 14 Juillet , les journalistes peuvent s’appuyer sur des dossiers de presse très structurés qui les aiguillent sur telle troupe ou tel modèle de fusil. 

Le 14 Juillet n’est évidemment pas l’occasion, pour les médias d’information, de traiter d’éventuels sujets polémiques pour l’armée. C’est un moment plutôt consensuel. Depuis 2008, d’une façon générale, les télévisions proposent davantage de contenus narratifs, comme des fictions (séries), des reportages, des documentaires… Les sujets d’actualité militaire ou de défense demeurent plus rarement débattus en plateau.

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