illustration de Michel Drucker sur le plateau de "Vivement dimanche"

Michel Drucker présente « Vivement dimanche » depuis 1998. Diffusée sur France 2 jusqu'en 2022, elle est aujourd'hui visible sur France 3 à partir de 13 h 30. 

© Illustration : Sophie and the frogs

C’est comment, de travailler avec Michel Drucker ?

Avec soixante ans de carrière et de nombreuses émissions à son actif, Michel Drucker est un monument de la télévision française. Nous sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui travaillent avec lui, dans les coulisses de son émission culte, « Vivement dimanche ». 

Temps de lecture : 8 min

Sur l’avenue Gabriel, à proximité de la place de la Concorde, à Paris. Ce mercredi d’avril, des gendarmes font leur ronde le long des grilles de l’ambassade américaine, et passent devant le numéro 9. Trois hommes aux cheveux grisonnants fument et discutent. De tout, de rien, de leur santé. Sur leurs épaules : des doudounes sans manches siglées « Studio Gabriel ». Derrière eux, les portes menant à ce lieu légendaire de la télévision française. Dans trois heures débute l’enregistrement d’un « Vivement dimanche », l’émission culte de Michel Drucker, 82 ans, animateur tout aussi culte.

Ces derniers temps, son nom a davantage été associé à ses problèmes de santé (le présentateur a dû faire une pause de plusieurs mois après une opération du cœur en 2023). Ou à sa question très maladroite posée à la journaliste Marie Portolano, réalisatrice du documentaire « Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste », dans lequel elle aborde le sexisme et la place des femmes dans le journalisme sportif. Sur le plateau de Léa Salamé, le présentateur lui demande si elle a « vraiment souffert avec les copains des sports, vraiment ? »

« Michel est là »

L’émoi provoqué par ces événements révèle bien l’importance du personnage. Après soixante ans de carrière, la marque laissée par Michel Drucker dans le paysage audiovisuel français reste durable : journaliste sportif donc, puis animateur, et enfin producteur de ses propres émissions depuis les années 1980 à travers DMD, son entreprise. Michel Drucker est aussi un patron. Aujourd’hui, une soixantaine de personnes travaillent pour son émission hebdomadaire désormais diffusée sur France 3, répartis en grande majorité entre la société de production et celle gérant la technique du Studio Gabriel.

Imposant, bras tatoués, l’un des trois hommes devant le studio se démarque. Ted Tarricone, motard, travaille avec Michel Drucker depuis quarante ans. Une collaboration entamée à Grenoble, lors du tournage d’un « Champs-Élysées » délocalisé. À cette époque, Ted Tarricone est régisseur de spectacle, sur place. Le courant passe bien. La vedette lui donne ses coordonnées, « au cas où j’aurais un souci de travail ». Prémonitoire. « Quinze jours après, je me retrouve sans boulot, ma femme est enceinte, je n’ai pas de plan à Grenoble, raconte-t-il. Deux semaines plus tard, je suis à Paris pour aider à monter “Stars 90” sur TF1. Nous venons à Paris avec six collègues, logés au Campanile de Nogent-sur-Marne, à proximité du pavillon Baltard. » Débuts comme machiniste. Ensuite assistant réalisateur pour l’émission Studio Gabriel, au mitan des années 1990. Toujours là aujourd’hui.

Après une dernière bouffée de cigarette, il ouvre la porte et descend les escaliers, parcourt un dédale de couloir. Tout au bout, le plateau, blanc et rouge, avec le grand écran au fond, les canapés. Des cadreurs commencent des réglages sur leur caméra. Chacun vaque à ses occupations, entre tests des lumières, balance des blancs, et nettoyage du matériel. Quelques minutes passent, et Ted Tarricone annonce la nouvelle : « Michel est là. » Mais l’ambiance ne change pas.

« Une embrouille technique ? C’est pas grave, on recommence »

« Michel Drucker est stressé, avant et après les émissions. Le manque de confiance le rend perfectionniste, chaque remarque peut le toucher », explique Françoise Hamel, collaboratrice à RTL dans les années 1970, puis à la télé pendant plusieurs années. Éric Barbette, formé par Philippe Bouvard, prépare avec Michel Drucker ses émissions depuis les années 1980, époque Europe 1. « On est regardé par des millions de personnes. S'il n'était pas stressé, s’il n’avait pas le trac, ce serait le signe qu'il n'a rien compris. » Cependant, selon Gilles Hugo, jamais un mot plus haut que l’autre à destination des techniciens. « Drucker ne génère aucun stress », explique-t-il. Sonorisateur pour concerts à l’origine, il commence sa collaboration avec le présentateur à l’occasion de l’émission « Stars », au tout début des années 1980. En résumé : « Une embrouille technique ? C’est pas grave, on recommence. » Tout sauf une généralité dans le monde de la télévision, nous répète-t-on à plusieurs reprises.

« Je sais que ça lui arrive, mais en vingt-huit ans je ne l’ai jamais vu s’énerver. C’est facile de travailler avec lui », explique Florence Faissat, arrivée en tant que stagiaire dans l’équipe dans les années 1990, pour l’émission « Studio Gabriel ». « Comme beaucoup de mes collègues, nous avons eu la chance de pouvoir apprendre notre métier en faisant des choses très différentes, ajoute-t-elle. Françoise Coquet [partenaire professionnelle de toujours du producteur-animateur, NDLR] et lui m’ont permis de tester des postes variés, du côté de la réalisation, en écrivant des chroniques, dans le management d’équipe... Cela m’a permis de voir ce que je voulais faire, ce que je ne voulais pas faire. » Aujourd’hui programmatrice, c’est elle qui gère la venue des invités.

Confiance

14 heures. Dave, invité d’honneur du jour, arrive sur le plateau pour répéter. Démarche tranquille, guitare sèche à la main. Il faut calibrer les caméras, tester les plans. Éric Barbette et Florence Faissat s’installent sur les canapés rouges, comme doublures. On enchaîne les numéros. Retour du chanteur en coulisses. 15 h 03, Michel Drucker arrive sur le plateau, parfaitement sonorisé. Le même technicien se charge, à chaque fois, de l’équiper avec le matériel en loge. Question de confort, de confiance : avoir des têtes connues aux mêmes postes le tranquillise. « Michel Drucker ne comprend pas grand-chose à la technique, il se laisse porter, les gens sur le plateau sont des dieux pour lui », glisse Ted Tarricone.

La répétition générale peut commencer : on enchaîne les rubriques, sans les invités, en suivant scrupuleusement le « conducteur » — document qui cadre le rythme de l’émission avec un minutage précis de chaque séquence. Sans prompteur ni oreillette, fiches à la main, répétition bouclée en quarante minutes. Le public commence à entrer. Le présentateur discute avec quelques personnes, des habitués de plateau et des proches de membres de l’équipe.

« Lorsque les gens savent que je travaille pour Michel Drucker, voici leur première question : “est-ce qu’il est vraiment gentil comme à la télévision ?” », raconte Maïté Laplume. Arrivée en 2010 dans l’équipe du présentateur, elle s’occupe notamment de la vente des images issues de l’émission. « Et oui, il est “vraiment gentil”, notamment avec les gens qui travaillent pour lui, c’est une base pour que la collaboration se passe bien. » Bien sûr, il y a d’autres dimensions à sa personnalité, « mais fondamentalement il ne ment pas, ce qu’il y a dans le poste, c’est lui », ajoute Gilles Hugo.

« C’est la famille ici, personne ne se la pète »

Dans les coulisses, côté jardin, ça clope en travaillant. On trouve Fred Leleu, devant un écran et une console à guider les caméras. Max Cordelle fait face à une myriade de boutons. L’un d’eux permet de faire coulisser la porte-écran par laquelle les invités entrent sur le plateau. Tous deux intermittents, ils privilégient ces productions. « C’est la famille ici, personne ne se la pète », explique l’un, « on a vu nos enfants grandir » ajoute l’autre, « il y a des productions où les gens ne se parlent pas », affirment-ils en chœur. Ici, les liens entre les différents membres de l’équipe semblent chaleureux et authentiques. Max Cordelle, 70 ans, l’âge de la retraite dépassé depuis longtemps maintenant, continue de travailler pour « rester avec les copains ». « Michel m’a proposé, j’ai accepté. »

En général, l’animateur producteur connaît les prénoms et noms des membres de l’équipe, « mais même quand ce n’est pas le cas il pose des questions et s’intéresse », raconte un cadreur en coulisse. Sur le plateau pendant la répétition, on voit l’octogénaire demander à une stagiaire et à une collaboratrice tout juste arrivée en CDD si tout se passe bien pour elles.

Hypocondriaque notoire

Ils et elles sont plusieurs à raconter ces rendez-vous dégotés auprès de spécialistes pour des problèmes de santé par Michel Drucker lui-même, hypocondriaque notoire. Mais aussi de ces appels téléphoniques pour prendre des nouvelles, lors de maladies ou de deuils. Sans parler de la proximité, parfois insoupçonnée, avec les familles des collaborateurs. « Au moment de la mort de mon père, raconte Gilles Hugo, j'ai découvert chez lui des cartes de vœux écrites par Michel Drucker, chaque année, depuis au moins vingt ans. » Parfois, cette proximité avec les familles est évidente.

Aucun des professionnels interrogés dans le cadre de cet article n’a tenu de propos négatifs au sujet de Michel Drucker. Certes, leur liberté de parole est relative : nombre d’entre eux travaillent toujours auprès de l’animateur. Mais même les retraités considèrent comme impossible de formuler des critiques à l’encontre de leur ex-employeur.

Michel Drucker et son ancienne chienne, Olga, en 2004, sur le plateau de "Vivement dimanche"
Michel Drucker et son ancienne chienne, Olga, sur le plateau de « Vivement dimanche », en 2004. Photo Didier Pallages / AFP

Chez certaines et certains, l’admiration se mue en une sorte de respect filial. Ou même une révérence pour une figure paternaliste. Ce n’est pas le cas de Maïté Laplume, même si, explique-t-elle, « il fait partie de ma constellation, comme mon fils, mon frère, certains amis. » Elle le tutoie. Comme Max Cordelle, qui le considère comme un ami. Ou même Fred Leleu, et Ted Tarricone (« Je lui ai appris les rudiments de la moto en une heure, pour qu’il puisse arriver sur un plateau avec Johnny Hallyday lors d’une spéciale. Depuis, c’est “tu” »). Florence Faissat le vouvoie, (« Il a l’âge de mon père »), tout comme Éric Barbette. Lui n’y voit aucun symbole. « C’est la force de l’habitude, nos rapports sont ceux d'amitié, de fidélité, des mots souvent galvaudés dans notre milieu. »

16 heures, Michel Drucker chauffe le public, avec force plaisanteries et bonne humeur. L’enregistrement de l’émission peut débuter. Générique, entrée sur le plateau sous les applaudissements. Les invités défilent. Première partie : Patrick Loiseau, mari et auteur des chansons de Dave, l’actrice Corinne Masiero et le docteur Jean Abitbol. Pour la deuxième partie de l’émission : Alain Giresse, entraîneur et ancien joueur de football, et Jacques Vendroux, journaliste sportif, viennent parler d’un évènement organisé en l’honneur des cent ans du stade Chaban-Delmas à Bordeaux. La chanteuse Nicoletta promeut sa nouvelle intégrale. Artus (acteur et réalisateur), Alice Belaïdi (actrice) et Clovis Cornillac (acteur) sont là pour leur nouveau film. Puis l’humoriste et comédienne Nawell Madani les rejoint. Izia, la chienne de Michel Drucker, présente sur le canapé au début de l’enregistrement, s’est enfuie en coulisse pendant la pause.

Depuis la régie, Florence Faissat et Maïté Laplume prennent des notes sur ce qu’il faudra couper, raccorder, monter. Parfois l’animateur avance ou retarde par rapport au conducteur. Nicolas Baleizao, chargé de production, lui fait parvenir des indications sur sa tablette graphique. Et Michel Drucker s’y plie.

« Quand il était à l'hôpital, il ne pensait qu'à revenir »

À la retraite depuis 1999, Maurice Auriat, 82 ans, entré à l’ORTF comme caméraman dans les années 1970, avant de travailler à la Société française de production (SFP), revendique des participations à 102 « Grands Échiquiers », une cinquantaine de « Stars 90 » et de « Champs-Élysées » à son actif. Évoquer Michel Drucker lui fait monter les larmes aux yeux. Pris de spleen après avoir arrêté de travailler, il est retourné voir l’animateur en enregistrement. « Il n’y en a pas beaucoup, des mecs comme ça », explique-t-il. La voix se casse légèrement. « La seule chose, rétrospectivement, qu’on peut lui opposer, admet le caméraman, c’est que dans les années 1970 –1980 Michel Drucker reprochait à Zitrone d’être toujours à l’antenne. » Sous-entendu : peut-être qu’à cet âge, avec ses soucis de santé, il devrait réduire la voilure, voire arrêter.

Au fil des ans, à l’antenne ou non, Michel Drucker a adressé des messages chaleureux à plusieurs de ses collaborateurs partant à la retraite. Mais lui, alors ? « Tant qu'il y aura du travail à faire, qu'on lui fera confiance, il sera là, ajoute Éric Barbette. Dans la limite évidente de son état de santé. Quand il était à l'hôpital, il ne pensait qu'à revenir, à son équipe, à son émission. » Dans l’entourage du présentateur, plusieurs disent qu’ils ou elles arrêteront en même temps que lui, notamment Ted Tarricone. Et ce malgré quelques soucis de santé — il a quelques douleurs aux jambes. « Il ne m’a pas laissé tomber il y a quarante ans. Je continuerai, quitte à le faire avec ma canne. »

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