Illustration série d'été La Revue des médias

Chez « Ouest-France », un constat : les séries d’été génèrent 2,5 fois plus d’abonnements. 

© Crédits photo : Lucie Farroni

Comment les séries d’été des journaux sont devenues un rendez-vous incontournable

Les séries d’été ne sont plus seulement l’occasion de remplir les journaux lorsque les journalistes sont en vacances. La période estivale est devenue un moment stratégique pour séduire et fidéliser de nouveaux lecteurs. 

Temps de lecture : 7 min

C’est une bulle de déconnexion. À l’approche des grandes vacances, les journaux se mettent à l’heure estivale et proposent des séries d’été. De mi-juillet à mi-août, les articles autour d’un thème, d’un personnage ou d’une histoire se succèdent. Dans les années 1970, Le Monde parlait de « feuilletons de l’été ».

Ces articles ont la particularité d’être en partie déconnectés de l’actualité immédiate, et plus longs que le reste de l’année. Ça tombe bien, ils arrivent pile au moment où les lecteurs ont le temps : les pieds dans l’eau, à bronzer sur la plage ou lors des petits-déjeuners prolongés, les journaux ou magazines sont des partenaires des vacances d’été.

Autrefois, ces séries permettaient aux différents titres de remplir leurs pages à l’heure où les journalistes étaient en congés. L’exercice est dorénavant pris plus au sérieux : ce format attire les lecteurs, génère des abonnements et permet aux quotidiens de séduire le public des hebdomadaires, plus enclins à proposer des longs récits.

« Les séries d’été sont aussi conçues pour être un déclencheur d’achat »

Le Figaro profite par exemple de cette période pour raconter « L’histoire vraie des faussaires de l’art » dans une série en six épisodes. De son côté Libération raconte dans sa grande série de l’été 2023 « Et là, tout bascule… » l’interview au cours de laquelle Klaus Barbie s’est trahi, l’outing de la chanteuse Angèle ou encore la fin du mur de Berlin décrétée par le porte-parole du bureau politique du Parti socialiste unifié (SED) d’Allemagne de l’Est (RDA) en une phrase devant la presse. Tous les domaines s’y mélangent. 

À La Croix aussi, depuis quelques années, « nous avons décidé de donner la priorité aux récits », explique Bruno Bouvet, le rédacteur en chef adjoint du titre, en charge de L’Hebdo. De l’histoire, du témoignage, du reportage, de l’évasion « intelligente, pas du tourisme » : les consignes sont partagées à toute la rédaction dès le mois de février. Toute la rédaction peut faire des propositions de séries d’été. À chacun ensuite de s’organiser pour rendre les articles avant fin juin. 

Plus de lecteurs

L’année dernière, une rédactrice-réviseuse a par exemple publié un article dans la série dédiée à Henri Bosco« On a imaginé cela comme un espace de liberté, de créativité et d'imagination où chacun peut aussi sortir de sa rubrique. » De l’idée à la programmation, six mois sont nécessaires à l’élaboration de ce format si particulier : quatre séries seront publiées dans le quotidien pendant six semaines, dès mi-juillet. 

Dans La Croix L’Hebdo, ce sera trois séries de six pages chacune. « C’est une grosse affaire avec une logistique importante », admet Bruno Bouvet. Mais cela vaut le coup. Laurence Szabason Gilles, la directrice marketing audience et développement de la marque au pôle actualités de La Croix, note un « regain des ventes du quotidien pendant l’été » ainsi qu’un rebond « sur les audiences mobiles ». Les séries d’été y sont pour quelque chose, « si on restait sur une approche comme le reste de l’année, on aurait un net décrochage ». 

Exemples de séries d'été
 Ouest-France - Libération - La Croix L’Hebdo (n°241). Montage La Revue des médias

 

Chez Libération, Michel Becquembois, le journaliste en charge des séries d’été, assure que les meilleures ventes du journal, « ou en tout cas pas loin », sont réalisées pendant l’été. « Les séries d’été sont aussi conçues pour être un déclencheur d’achat. »

Publié en ligne ou dans les journaux et magazines, ce format est « un vrai produit d’appel, ajoute François Sionneau, rédacteur en chef numérique du Nouvel Obs. C’est une vitrine pour attirer de potentiels nouveaux abonnés, mais aussi pour fidéliser nos abonnés sur le web. » Selon lui, « la richesse de [leurs] séries » est un argument supplémentaire pour susciter l’abonnement. « C’est toujours intéressant de leur dire “vous avez aimé ce papier, eh bien, il y en a quatre autres derrière comme ça !” »

Pour le quotidien Ouest-France, l’enjeu est de taille : les séries d’été sont parmi les contenus qui génèrent le plus « d’abonnements directs », remarque Thomas Bronnec, responsable de la fidélisation et de l’engagement au sein du titre. Rattaché à la rédaction en chef, il a analysé l’impact de ces formats estivaux : « Si on compare le taux moyen d’abonnement de ces articles à la moyenne des taux de conversion des contenus d’informations générales, les séries d’été génèrent 2,5 fois plus d’abonnements.»

Plus de récits

Pour attirer ces lecteurs, « on doit proposer du contenu attractif et distractif » note Sébastien Grosmaître, rédacteur en chef des éditions régionales et locales de Ouest-France. Le quotidien propose ainsi davantage de longs formats, des témoignages et de la narration. Mais aussi du « ludique », qui est une « locomotive d’achat ». Cette combinaison est « un des leviers principaux des abonnements sur le paywall ». Les séries sur l’amour, par exemple, fonctionnent généralement très bien.

Dans les pages du cahier estival de Libération, une des séries de l’été est particulièrement mise en avant : « On cherche un thème fédérateur dans lequel toutes les séquences peuvent s’inscrire », détaille Michel Becquembois. Là aussi, les rédacteurs sont invités à sortir de leur domaine d’expertise. Contribuer à une série d’été offre aux journalistes une parenthèse dans l’année. L’occasion d’explorer de nouvelles choses, de s’éloigner un peu de l'actualité ou de prendre du recul sur certains sujets.

Michel Becquembois parle d’une « récréation » dont il est l’initiateur. Dès le début de l’année, c’est à lui de trouver le grand sujet qui rythmera les pages estivales. Alors lorsqu’un thème lui traverse l’esprit, il le teste dans la rédaction en discutant de manière informelle avec ceux qui prennent plaisir à participer au cahier d’été. 

Le journaliste voit si le sujet prend, si des idées en ressortent. Si c’est le cas, un appel à la rédaction et aux pigistes réguliers est lancé au mois de mars. Les propositions faites, la direction du journal se réunit et sélectionne 36 sujets. Cet été, le quotidien va raconter des rencontres fortuites, positives ou négatives entre des personnes, dans différents domaines : « drôle d’été pour une rencontre ». 

Plus de légèreté

Les lectures d’été peuvent être associées à des histoires plus légères et positives que celles du reste de l’année. Chez Libération, les équipes réfléchissent à l’état d’esprit du lecteur lorsqu’il achète le journal. Hors de question de faire « du "feel good" à tout prix. [...] On essaie que ce ne soit pas trop anxiogène, mais que ça parle aussi de sujets sérieux, pas nunuches. »  

C’est une période de respiration pour Le Temps : « Les séries d’été nous font respirer. » Mais là non plus, l’été n’est pas synonyme de sujets positifs à tout prix. Philippe Simon, chef d’édition du quotidien suisse, précise : « L’an dernier, notre série qui a très bien marché sur le web, c'était celle consacrée à l’archéologie du mal. » Cinq épisodes sur des recherches d’archéologues sur des charniers préhistoriques ou protohistoriques. « On demande à nos rédacteurs de faire de l’original, de l’inattendu et de se démarquer des concurrents. » 

« Nos lecteurs sont intelligents ! »

Faut-il parfois passer par la fiction pour être original et marquant ? Le Temps a tranché : la réponse est non. « C’est une question que l’on se pose régulièrement. Mais on pense que ce n’est pas parce que vous êtes un bon journaliste que vous êtes un bon inventeur d’histoire. » Pour ses fictions, La Croix fait appel à des écrivains. « Cette évasion est très appréciée par nos lecteurs », soutient Bruno Bouvet qui chapeaute les séries d’été avec Fabienne Lemahieu. Et si le lecteur ne différencie pas la fiction du réel ? « Nos lecteurs sont intelligents ! » 

Ouest-France laisse la plume à ses journalistes, mais mise plutôt sur des récits d’anticipation qui mêlent l’imaginaire à des faits scientifiques avérés. Le journal a imaginé le quotidien d’une Nantaise en 2048 : « Avec la contribution de quatre spécialistes, notre reporter s’est téléportée dans un quart de siècle », lit-on dès le chapô.

Le succès des séries d’été est tel que le quotidien n’hésite plus à décliner le format en épisodes tout au long de l’année. En février 2020, Ouest-France a lancé la verticale « Nos vies », une série de témoignages. Au Nouvel Obs aussi, des séries sont publiées à certains moments stratégiques, comme lors des vacances ou lors de périodes creuses, où l’actualité est calme. 

Un été particulier

Des actualités, en ce début d’été 2024, il y en a, et pas des moindres. « La plus grande série de l’été, ce sont les JO », affirmait début avril Marie-Christine Tabet, la directrice adjointe des rédactions du Parisien. Il n’y aura donc pas de série d’été mais « une tonne d’histoires à raconter sur et autour du sport ». Deux cents journalistes du quotidien travaillent sur « l’événement du siècle »« qui va prendre toute l’énergie [du Parisien»

Mais depuis avril, il y a eu l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le 9 juin. De quoi décaler la promotion des séries du Nouvel Obs. Compliqué de mettre en avant ces articles avec des pushs ou de les mettre en haut de la page d’accueil en pleines élections et négociations autour de la composition du prochain gouvernement. 

Mais le programme de publication n’est que peu impacté. Sur le site, les épisodes sont publiés comme prévu, avec un peu moins de densité. Pour le print, « le grand dossier de l’été a été décalé de deux semaines. » Mais François Sionneau en est persuadé : « On a aussi beaucoup de lecteurs qui lisent autre chose, comme des sujets annexes, finalement aussi par besoin. Tout ne s’arrête pas malgré la situation politique. » 

Michel Becquembois est, lui aussi, confiant. Pourtant, à Libération, les séries d’été ont été le sujet d’interrogations. Fallait-il réorganiser la programmation ? Repenser les sujets, certains étant déjà en production depuis le mois de mars ? « La dissolution est arrivée trop tard pour qu’on change tout », répond Michel Becquembois. Le début de publication était prévu pour le 13 juillet. Des journalistes politiques engagés sur un épisode de la série d’été ont été emportés par le flot d’informations de ces dernières semaines. Les préparatifs ont donc été chamboulés : seule la moitié des articles de l’été ont été rendus en ce début juillet. 

De la série au livre

Le journaliste se remémore l’année 1997 et la dissolution annoncée par Jacques Chirac. Cette fois-ci, Libération avait publié une série sur « L'histoire secrète de la dissolution »Le feuilleton, qui avait duré tout le printemps, était tel qu’un livre a par la suite été édité. « C’était une victoire de la gauche, donc pour nos lecteurs, c'était le récit d’une histoire qui se finit bien. » 

Transformer les séries d’été en un feuilleton à lire toute l’année : l’idée est sujette à discussion à La Croix. « On a très envie de donner une autre vie à ces récits, d'imaginer des prolongements, des livres en édition », sourit Laurence Szabason Gilles, la directrice marketing du titre. Le projet est pris au sérieux. Pourquoi pas pour l’année prochaine ? Histoire de ne plus avoir à attendre l’été !

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