L'aventure TV-cinéma : un succès construit sur un jeu réduit de franchises
En matière d'adaptations télévisées et cinéma, il semble que DC ait tiré quelques leçons de ses expériences dans le domaine de l'édition : la maison a compris que chercher à exploiter un maximum de personnages n'était pas forcément la stratégie la plus judicieuse. En 1985, DC Comics a choisi de remédier aux ventes en baisse en kiosques et librairies en procédant à une simplification radicale de son univers fictionnel. Pour son cinquantième anniversaire, le label publie Crisis on Infinite Earths
, une série en douze parties sous forme de crossover
. DC Comics fait peau neuve en abandonnant son concept historique de « Terres multiples », selon lequel un seul et même héros pouvait exister sous différentes formes, sur différentes planètes et dans différentes dimensions temporelles. De nombreux éléments sont, par conséquent, rayés de l'univers DC. L'objectif : gagner en force en évitant le piège des incohérences et des confusions, pour ne pas déstabiliser et perdre le lecteur. Cette carte simplifiée, un choix radical sur le plan de la fiction, a en quelque sorte son pendant dans la stratégie que choisit DC pour l'image animée, où cohérence et nombre réduit de figures sont les maîtres mots. Le parallèle des orientations stratégiques dans les domaines de l'édition et du cinéma a par ailleurs un point de départ symbolique fort : c'est Superman qui, à précisément cinquante ans d'intervalle, inaugure la grande aventure des salles obscures, après avoir sonné le début de la bataille pour la conquête des kiosques.
La tactique pour le petit et le grand écran n'a rien de surprenant : sont mises en avant les franchises fortes, des personnages qui ont valeur d'icône dans la culture populaire et qui ont déjà prouvé leur capacité à durer sur les produits papier. Ainsi, de la fin des années 1960 aux années 2010, DC Comics et sa maison-mère, la Warner, ont joué l'essentiel de leur succès sur seulement deux franchises phares, Batman et Superman.
Pour leur première version sur grand écran, Superman et Batman ont tous deux eu droit à un traitement en série sur une dizaine d'années (quatre films pour Superman entre 1968 et 1987, quatre films aussi pour Batman entre 1989 et 1997). Leurs bilans sont d'une grande similarité. Les premiers volets séduisent le public et sont très rentables en termes de recettes. Mais le choix de dépasser le format du triptyque avec une quatrième histoire qui s'essouffle vient, dans les deux cas, noircir le tableau : Superman IV est une opération financière clairement négative ; Batman et Robin
, malgré ses 238 millions de recettes au box-office mondial, se révèle moins rentable. Bien que le coût de production des films Batman ait augmenté de film en film, c'est la première apparition de « l'homme chauve-souris » sur grand écran qui a réalisé les meilleures recettes. Le constat vaut aussi pour les aventures de Superman. Le public s'enthousiasme avant tout pour les épisodes de lancement ; c'est la grande nouveauté qui semble le plus à même de séduire le spectateur.
Il est vrai que Superman a fait une entrée remarquée dans les salles de cinéma en 1978 : trois nominations aux oscars, plus de 300 millions de dollars de recette à travers le monde pour un budget de production chiffré à 55 millions de dollars (Chiffes Box Office Mojo). Par la suite, les volets II, III et IV sont livrés à des intervalles de trois à quatre années, ce qui correspond à des délais de production standard. Si Superman et Superman II offrent un bilan similaire lors de leur sortie aux États-Unis, les recettes moins importantes de Superman III sur le territoire national ne l'empêchent pas de se classer en 7ème position des films ayant réalisé le plus d'entrées aux États-Unis en 1983 (Chiffres Box Office Mojo) et de rencontrer un grand succès à l'international. La critique, elle, est loin d'être enthousiaste. DC opte alors pour une tactique basique : offrir une pause aux spectateurs en dédiant un film complet à un nouveau personnage, connecté à l'univers du héros en titre. L'objectif : enrayer l'effet de lassitude sans perdre cependant l'attachement du public. C'est Supergirl qui se voit confier cette mission. Le pendant féminin de Superman atteint la première place du box-office américain en première semaine, mais restera dans les annales comme un film pauvre en bonnes idées et en retombées financières. Superman IV viendra boucler l'épopée avec un budget de production moindre et des recettes en salles minimes en comparaison aux autres volets Superman.
Chiffres Box Office Mojo (Les recettes au box office mondial n'étant pas disponibles pour l'ensemble des films Superman, le tableau ci-dessus a été axé sur une approche « box office américain »).
En télévision aussi, Superman et Batman restent les grands représentants de l'univers DC, avec des séries animées à la vie longue. Le personnage de Superman a par ailleurs fourni la matière de trois séries à succès, avec
Les Aventures de Superman
et, pour l'époque la plus récente,
Loïs et Clark : les nouvelles aventures de Superman
et
Smalville
.
Contrairement à Marvel qui a donné leur chance à de nombreux personnages de sa collection, DC a joué avec obstination la carte de la prudence, ne portant à l'écran que les stars de kiosques. Des figures autres que Superman et Batman ont eu leur heure de gloire dans l'image animée : Wonderwoman et Flash ont relevé le défi du petit écran, avec brio pour la Wonderwoman des années 1970, avec honneur pour le Flash des années 1990 et avec faiblesse pour la dernière Wonderwoman en date, proposée par NBC en 2011. Au cinéma, seuls La Créature du marais (1989) et Steel (1997) sont venu perturber la routine Batman-Superman, mais les deux films sont passé inaperçus.
Après les résultats peu brillants du film Catwoman en 2004
, DC opère un retour aux sources : dès 2005, Batman et Superman occupent à nouveau toute la scène cinématographique. Pour Batman, c'est la logique de saga qui est à nouveau mobilisée : Batman Begins (2005) réalise une recette de plus de 372 millions de dollars au box office mondial et sert de tremplin à The Dark Knight, qui dépasse le milliard de dollars de recettes cinéma dans le monde. La Warner Bros. tentera de renouveler ce succès à l'été 2012, avec un troisième volet, The Dark Knight Rises.
Pour la franchise Superman, la Warner Bros. a annoncé une remise à zéro des compteurs : après les chiffres décevants du Superman Returns proposé en 2006
, les studios ont confié au réalisateur Zack Snyder un redémarrage en force des aventures du premier héros DC. Son Superman Reboot : The Man of Steel est attendu pour décembre 2012.
Sur l'ensemble des projets cinéma dérivés de l'univers DC, seule une franchise aura réussi, parallèlement aux filons Batman et Superman, à se démarquer et à rester dans les mémoires comme une transposition réussie : le phénomène éditorial des Watchmen donne matière à un film qui, en 2009, rassemble largement le public des fans DC. Le résultat financier est satisfaisant, mais reste modeste, avec une recette mondiale en salles dépassant les 185 millions de dollars, pour un budget de production atteignant les 130 millions de dollars (Chiffres Box Office Mojo).