La reine Elizabeth II saluant la foule lors des célébrations de son jubilé de platine, le 5 juin 2022. Crédit photo : Frank Augstein / POOL / AFP

La reine Elizabeth II saluant la foule lors des célébrations de son jubilé de platine, le 5 juin 2022.

© Crédits photo : Frank Augstein / POOL / AFP

Elizabeth II, royale communicante

« Never complain, never explain. » Elizabeth II a géré  ses relations presse d’une main de fer. Retour sur les grands moments médiatiques de son règne avec Adélaïde de Clermont-Tonnerre, directrice de la rédaction de Point de Vue, magazine spécialisé dans l’actualité des familles royales.

Temps de lecture : 7 min

Comment qualifiez-vous le rapport d’Elizabeth II aux médias ?

Le lien d’Elizabeth II avec la presse a toujours été très contrôlé et distant. La reine n’a jamais accordé d’interview, sauf une fois, pour les soixante-cinq ans de son règne. Face aux caméras de la BBC One, elle s’est longuement confiée sur la cérémonie de son couronnement, racontant pour la première fois les coulisses de son sacre de son propre point de vue, de ses difficultés à marcher en portant la lourde couronne à l’inconfort de son carrosse. Ces souvenirs, racontés dans une conversation avec le journaliste Alastair Bruce, également membre de la cour, ont donné lieu à un documentaire exclusif baptisé The Coronation. La reine préfèrait habituellement les déclarations officielles au cours desquelles elle s’adressait au peuple britannique dans des moments clés. Il y avait le traditionnel discours pour les fêtes de Noël, par exemple. Même celui-ci était très contrôlé. La reine ne devait jamais donner son avis sur l’actualité et il n’y avait pas de questions-réponses afin d’éviter le moindre dérapage. On note cependant que la reine avait pris bien plus la parole ces dernières années : entre le Brexit et le confinement, Elizabeth II avait ressenti la nécessité de soutenir les Britanniques dans un moment politiquement, économiquement et sanitairement complexe. On l’a beaucoup vue en visio, étant donné qu’elle ne pouvait pas être présente sur le terrain, ce qui était tout à fait inédit.

A-t-elle toujours été ouverte aux nouvelles technologies ?

Elizabeth II était très « technologie-compatible ». Elle est la première monarque à avoir envoyé un e-mail, en mars 1976, lors d’une visite dans un centre de recherche en télécommunications. Son époux, le prince Philip l’a beaucoup poussée à se saisir des nouveaux moyens de communication. Il avait une intuition très forte sur la nécessité pour la famille royale de savoir utiliser les médias de l’époque. C’est lui qui a eu l’idée de filmer et de diffuser son couronnement en direct sur la BBC, en 1953. Ce n’était pas gagné, cette captation a fait l’objet d’un véritable combat ! Le Premier ministre, Winston Churchill, y était farouchement opposé. Les membres de l’équipe de la reine, que Philip appelait « les hommes en noir », étaient également radicalement contre, parce qu’ils craignaient une désacralisation de la fonction. Finalement, un compromis a été trouvé. Seule une petite partie sacrée du rituel a été abritée des caméras et des regards. Pour ce qui est de la radio, la toute première intervention de la reine remonte à ses treize ans, pendant la guerre. Il s’agissait de donner du courage aux enfants abandonnant les villes pour fuir les bombardements. Elizabeth II tenait à se montrer solidaire puisqu’elle avait elle-même dû quitter ses parents pendant cette période et s’éloigner à Windsor.

Ces dernières années, elle était également très présente sur les réseaux sociaux et n’hésitait pas à se mettre en scène, toujours de façon très encadrée. Comme tous les chefs d’État, elle aimait prendre la parole via les technologies contemporaines car c’était un excellent moyen de contrôler sa communication tout en s’adressant directement à ses sujets.

« Paraître sympathique sans écorner la couronne »

Humaniser son image, est-ce prendre le risque d'une désacralisation ?

L’équilibre peut se révéler difficile à trouver. Toute personnalité de pouvoir se pose néanmoins la question. En France, lorsque l’on pense à Emmanuel Macron, vient l’image du président jupitérien. Pour François Hollande, c’est l’extrême inverse puisqu’il y a l’idée d’un président normal. Comme ces chefs d’État, la reine Elizabeth s’est longtemps posé la question de l’image qu’elle souhaitait renvoyer. Jusqu’où pouvait-elle aller pour paraître sympathique sans écorner la sacralité de la couronne ? En 1969, un documentaire nommé Royal Family avait pour principe de s’immiscer au cœur de la famille royale, suivant ses membres dans leur quotidien. L’objectif consistait à humaniser les Windsor et à les rapprocher du peuple britannique, à nouveau sur une proposition du prince Philip. Faire entrer les caméras dans l’intimité de la famille royale était une idée louable, mais pour les Windsor, cela a été l’étape de trop. Le public pouvait y voir une famille bourgeoise très classique menant une vie paisible rythmée par les jeux, les barbecues et les soirées détendues devant la télévision, bien éloignée du quotidien de la majorité des Britanniques. Pour le coup, la fonction s’est retrouvée complètement désacralisée et l’opinion publique a beaucoup critiqué la famille royale. Le documentaire a été rapidement retiré et il est aujourd’hui interdit de diffusion.

Pourquoi la libre parole de la reine était-elle si rare ?

Sa devise tenait en quatre mots : « Never complain, never explain. » Ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier. En tant que reine, son job, c’était avant tout l’unité nationale et la représentation du pays. Si elle commençait à dire qu’elle était végétarienne, tous ceux qui mangeaient de la viande allaient lui reprocher de ne pas les représenter. Pour cette raison, elle ne s’exprimait que sur des sujets extrêmement importants sur lesquels il y avait une forme de consensus. Elle avait par exemple pris la parole à l’occasion de l’ouverture de la COP26. Là encore, elle n’avait exprimé que des généralités, rappelant l’urgence de la situation écologique, expliquant que personne n’était éternel et que nous devions léguer à nos enfants une planète viable. Elle n’allait jamais dans l’opinion et ne se permettait pas de critiquer les chefs d’État. 

« Il ne fallait pas s’attendre à une réaction de la reine»

L’opinion publique a-t-elle parfois eu du mal à comprendre cette mise à distance ?

Les Britanniques comprenaient son devoir de réserve. Ils n’en ont voulu à la reine que quand elle a tardé à réagir face à des événements importants, ce qui a causé de grands moments de tension dans le royaume. On peut prendre comme exemple la catastrophe d’Aberfan  en 1966 au Pays de Galles, lorsqu’un terril s’est écroulé, causant la mort de 144 personnes. Elizabeth II a mis une semaine avant de se déplacer à la rencontre des sinistrés. On lui a beaucoup reproché sa froideur. La situation s’est répétée des années plus tard, lors de la mort de son ex belle-fille, Lady Diana. L’opinion publique n’a pas compris qu’elle prenne autant de temps pour réagir. On peut aussi commenter cette distance dans le cas de Meghan et Harry. La principale cause du « Megxit » a été un vrai choc de culture médiatique. Il y a la culture de Meghan, à l'américaine, qui considère que quand on est attaqué, on répond. Elle attendait que la famille royale vienne, comme Harry, à sa rescousse lorsqu’elle était sous le feu des critiques. De son côté, la reine avait la conviction que si elle répondait, elle risquait de s’exposer et d’alimenter la polémique au lieu de l’apaiser. C’est cette incompréhension autour de la communication médiatique qui a créé un tel fossé entre Harry, Meghan et la couronne. Dans tous les cas, il ne fallait pas s’attendre à une réaction de la reine. Elle n’a jamais répondu aux critiques concernant sa famille sauf pour corriger des affirmations factuellement fausses.

La reine a-t-elle modifié ses relations avec les médias après la mort de Diana ?

Elle a tout fait pour protéger sa famille, en essayant de cadrer la presse. Dans les jours qui ont suivi la mort de Diana, il y a eu une sorte de pacte entre la couronne et les médias. La reine a fait en sorte que William et Harry soient laissés en paix et protégés. Il faut dire que cet événement a laissé une grande cicatrice dans la relation entre la famille royale et les médias. Les fils de Charles et Diana considèrent toujours aujourd’hui que les paparazzis sont responsables de la mort de leur mère. À l’époque, la tension était telle que le prince Harry refusait de lancer le moindre regard aux photographes. Il a justifié cette attitude plus tard, expliquant que les flashs des appareils lui rappelaient sans cesse les circonstances du décès de sa mère. La reine a beaucoup souffert de cette situation. Elle-même avait d’ailleurs connu par le passé ses propres déboires avec la presse. En 1956, son mari, le prince Philip, est parti quelques mois en Australie pour un Commonwealth Tour. Leur couple a alors fait l’objet de plusieurs rumeurs d’infidélité par les tabloïds anglais. Fait inhabituel, la reine avait répondu par communiqué de presse pour démentir ces propos. Implicitement, on voit bien à quel point ce que pouvaient dire les médias à son sujet l’ont touchée. Sur plusieurs photos, on peut d’ailleurs la voir avec tous les supports de presse auxquels elle s’intéressait sur une table. La reine s’informait ; elle avait un véritable intérêt à la fois pour ce qui se disait d’elle dans la presse et pour l’actualité.

Les titres de presse lus par la reine, disposes sur une table de son salon privé - Courtesy of Oxford Film and Television
Les titres de presse lus par la reine, disposés sur une table de son salon privé - Courtesy of Oxford Film and Television.

Autant que ses incarnations dans la fiction ?

Elle a été l’objet de beaucoup d'œuvres, de films, de tableaux… Elle est devenue une icône de la pop culture, de Warhol à The Crown en passant par tous les produits dérivés et autres détournements de son image. Elle y est depuis longtemps pleinement habituée. En revanche, elle a fait dire qu’elle n’avait pas regardé The Crown. Est-ce la vérité ou est-ce un signe que la série l’a agacée ? Comme toujours, no comment.

Quel héritage Elizabeth II va-t-elle laisser dans les relations entre la famille royale et la presse ?

Une « Elizabeth Touch » va rester. Dans la communication de crise, tout est extraordinairement géré. Le fait de ne pas sortir du rang et de laisser passer l’orage, on n’a rien inventé de mieux pour éteindre les critiques. Récemment, son fils Andrew a été accusé d’abus sexuels sur mineur. Cette affaire aurait pu dynamiter l’intégralité de la famille. Pourtant, la reine a immédiatement isolé Andrew, l’a retiré de toutes ses fonctions officielles et n’a jamais commenté ces accusations. Si elle avait commencé à en parler, la monarchie britannique ne s’en serait pas remise. La tentative de justification d’Andrew reste le pire échec médiatique jamais fait depuis des années. Concernant l’héritage, William a complètement intégré cette tradition du « Never complain, never explain ». Contrairement à son frère Harry, il a une excellente conscience des lignes à ne pas franchir. Et pour cause : il n’a pas le choix. Comme sa grand-mère, c’est tout en retenue qu’il compte assurer la survie de l’institution.

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