Quelle structure pour le marché du numérique ?
Le livre numérique multiplie les possibilités d’innovations en matière de consommation : « achat à l’unité, abonnement à des sites, à des collections ou selon des thématiques, lecture seule, offre multiformat avec téléchargement, offre limitée au format de l’appareil, location, acquisition d’extraits (…), achat pérenne ou simplement lié à un nombre limité de téléchargements, streaming (…), financement par la publicité ou par un tiers ». Au-delà de ces modes de consommation aussi nombreux que variés, le numérique rend également possible le piratage, qui se porte surtout vers les best-sellers, la littérature de genre (SF, fantastique, fantasy), les livres pratiques et de sciences et techniques. Pour contrer le téléchargement illégal, les œuvres sont souvent protégées par des verrous (Digital Right Management), qui présentent le désavantage de coûter assez cher et de restreindre considérablement les conditions d’utilisation, ou alors par des systèmes d’empreinte numérique permettant de pister les fraudeurs éventuels. Autour d’entreprises comme Adobe, Hologram Industries, Attributor ou MarkMonitor, qui proposent leurs services aux maisons d’édition, se développe aujourd’hui « toute une économie de la lutte contre la contrefaçon ».
Dans ce contexte, quelles sont les stratégies adoptées dans le secteur de l’édition pour proposer une offre numérique ? À l’exception des maisons d’édition scientifiques qui ont pris un virage technologique plus tôt, Françoise Benhamou explique que la majorité des éditeurs traditionnels restent prudents dans l’adoption du numérique, soucieux de ne pas opérer de changements trop radicaux et de maintenir « le fragile équilibre entre les canaux de vente ». Un certain nombre d’acteurs du monde du livre se sont tout de même lancés dans la création de plateformes de distribution et de diffusion numériques, comme Izneo, E-plateforme, Eden, Immatériel-fr ou The EBook Alternative. À l’opposé, des acteurs qualifiés d’« aventuriers du numérique », souvent nouvellement créés, multiplient les expérimentations et réinventent le métier d’éditeur : Publie.net, Numeriklivres, Storylab, Open Road Media, etc. En plus de ces initiatives, il convient de signaler la multiplication des plateformes d’autoédition
qui donnent l’occasion à des auteurs d’éditer eux-mêmes leurs ouvrages et de les diffuser en ligne, ainsi que l’essor des sites de financement participatif (ou crowdfunding)
, grâce auxquels des internautes peuvent s’associer pour financer divers projets. C’est ainsi que des œuvres voient le jour en dehors des modes de sélection et de diffusion traditionnels.
Au milieu de ces acteurs engagés sur le marché du numérique, une poignée de géants nord-américains issus des nouvelles technologies tirent leur épingle du jeu. En dépit de différences très nettes en matière de poids et de modèles d’affaires, ceux qu’on appelle désormais les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) mènent des « stratégies prédatrices », basées sur l’évasion fiscale
, des pratiques anticoncurrentielles
et la conquête de « marchés toujours plus divers, à partir de position de domination sur un premier champ d’activité : moteurs de recherche, magasins en ligne, réseaux sociaux ». Au départ étrangères au domaine de la culture, ces entreprises investissent le champ du livre numérique
en misant sur un développement vertical et horizontal de leurs activités, mais aussi, du côté d’Apple et d’Amazon, sur un verrouillage des usages, c’est-à-dire sur la limitation des possibilités pour l’utilisateur équipé de leurs appareils de consommer en dehors de leurs magasins.