Flavy Barla, Miss Côte d'Azur lors de la cérémonie le 17 décembre 2022

La cérémonie Miss France n'est plus qu'une simple élection, mais désormais un véritable spectacle. En décembre 2022, les Miss jouaient les « Avengers ».

© Crédits photo : GUILLAUME SOUVANT / AFP

Miss France : face aux polémiques, des évolutions à pas de loup

La cérémonie Miss France réunit à chaque édition plusieurs millions de téléspectateurs. C’est l’un des rendez-vous préférés des Français, mais aussi l’un des plus critiqués. Comment le faire évoluer sans désorienter le public ?

Temps de lecture : 5 min

Thomas M. et ses amis ne dérogent jamais à une règle : le deuxième ou troisième week-end de décembre est dédié à des retrouvailles en Picardie. Pourquoi à cette date ? Parce qu’ils ne rateraient pour rien au monde un programme phare : la cérémonie Miss France. Le samedi à 21 heures, devant la télévision, papier et stylo en main, chacun note ce qu’il pense être le top 5 : les candidates finalistes du concours de beauté.

Ce groupe d’amis trentenaires est loin d’être le seul à apprécier l’émission diffusée sur TF1. En décembre 2022, quelque 7,11 millions de Français ont assisté au sacre d’Indira Ampiot, selon Médiamétrie. Deux ans plus tôt, un record était battu avec 8,8 millions de téléspectateurs. Derrière « Les Enfoirés », l’émission reste le prime time de divertissement de TF1 le plus suivi.

Indignation

Pourtant, chaque année, le concours est sous le feu des critiques. Quatorze organisations ont appelé au boycott de l’élection du 16 décembre 2023. Dans un communiqué, elles évoquent leur « indignation » face à la tenue d’un événement qui « véhicule une vision réductrice du corps des femmes et de leur hypersexualisation. » Selon Virginie Spies, analyste des médias, les polémiques autour de l’émission font aussi son succès. « Tant que ça ne va pas trop loin, elles donnent de la visibilité à l’élection. »

« Miss France, c'est le programme populaire par excellence, c'est pour ça qu'il est décrié. C'est quand même fou : depuis que la cérémonie est diffusée, elle est attaquée de toutes parts. Et le bateau tient encore ! », défend Frédéric Gilbert. Producteur de l’émission et présent dans l’univers des Miss depuis 2008, il succédera en janvier 2024 à Alexia Laroche-Joubert au poste de président de la société Miss France.

Outre-Atlantique, l’élection de Miss America se fait depuis 2018 sans défilé en maillot de bain. « Les candidates ne seront plus jugées sur l’apparence physique », peut-on lire sur le compte X (ex-Twitter) de l'organisateur. Chacune peut revêtir la tenue de son choix et une bourse d’études accompagne la couronne de Miss America. « L'événement en France n’est pas comparable avec celui aux États-Unis, commente Frédéric Gilbert. Nous organisons certes une élection, mais Miss France est avant tout une émission de télévision, un spectacle. » Les Américains organisent un concours, le fait que ce soit filmé arrive en second plan, explique-t-il.

« La télévision suit les évolutions du monde et parfois, elle les initie un peu »

Le producteur souligne tout de même des changements au sein du programme français. En plus des critères de sélection élargis avec, par exemple, la suppression de la limite d’âge maximal, la possibilité d’être mère ou d’avoir des tatouages, les Miss ont plus la parole que par le passé. Leurs portraits sont mis davantage en avant : « en tout, ils représentent 46 minutes d’antenne ».

Ces nouveautés font écho aux remarques postées sur les réseaux sociaux, analyse Laurence Leveneur, chercheuse à l’IUT de Rodez. La maîtresse de conférences s’est intéressée aux commentaires numériques générés par l’élection sur X. « À chaque édition, j'ai observé des commentaires qui dénonçaient ce concours et notamment l'aspect dégradant pour la femme. Leurs auteurs étaient soit des citoyens, soit des journalistes engagés. »

Entre 2015 et 2019, la chercheuse a vu la cérémonie changer : « On a vraiment vu apparaître un discours qui visait à revaloriser l'image de marque de Miss France pour dire : “Non, on n'est pas un programme sexiste. Au contraire, on met en avant des femmes intelligentes, cultivées, avec du caractère.” »

Selon Frédéric Gilbert, le profil de ces candidates a évolué, elles sont désormais plus à même de faire le show. « Il y a dix ans, je n'aurais jamais demandé à des miss de descendre du plafond avec des ailes dans un tableau “Avengers”, comme on a fait l'année dernière. J'aurais prévu des danseurs. »

Désormais, les candidates doivent aussi être à l’aise sur les réseaux sociaux, leur notoriété se construisant via le digital. Certains médias ont même déterminé la liste des miss favorites selon le nombre d’abonnés sur leurs comptes Instagram. « Avant, les miss étaient invitées à plusieurs émissions, de Ruquier au “Grand Concours” en passant par “Le Grand Journal” tout au long de leur mandat. Maintenant, elles sont surtout conviées après leur couronnement », observe le producteur.

Tradition

Au-delà du casting des candidates, le succès de l’émission repose aussi sur un rituel bien ficelé, un rendez-vous quasi inchangé. Proposer plus de nouveautés sur le format ne fonctionnerait probablement pas, analyse Virginie Spies. Selon elle, le public apprécie tout particulièrement les ingrédients fondamentaux du rendez-vous. Et parmi eux, on trouve « les maillots et les jolis corps ». Pour la sémiologue des médias, la prochaine étape serait « d’avoir des candidates qui font du 44 », mais là, « c'est au niveau de la société que ça se joue. La télévision suit les évolutions du monde et parfois, elle les initie un peu. »

Elle estime que les évolutions au sein du programme doivent se faire en douceur. « Le public aime voir des nouveautés, noter quelques différences pour éviter l’impression de déjà-vu, mais il faut que ce soit fait à petite dose. » TF1 préserve ainsi certaines habitudes. Durant l’élection de Miss France 2024, la présentation reste assurée par Jean-Pierre Foucault, pour sa 29ᵉ édition. Et pour que le public retrouve ses marques dès le départ, « on ne touche pas à la musique de début d’émission. Ce n’est pas la plus moderne du monde, mais ces quelques notes, tout le monde les connaît. On sait que la soirée commence », sourit le producteur.

L’avant-Noël

Parmi des centaines de messages reçus, Frédéric Gilbert se souvient d’une lettre qui l’a marqué. « Un téléspectateur m’a gentiment demandé de décaler la diffusion d'une semaine parce qu’il n'est pas disponible le samedi 16 décembre. Il m’a précisé que la semaine d’après serait parfaite pour coller avec le début des fêtes de Noël avec ses enfants. »

Diffusée dans les années 1980 sur FR3 (l'ancêtre de France 3) le soir du réveillon du Nouvel An, la cérémonie bascule sur TF1 en 1995. Sa diffusion est alors avancée de plusieurs semaines. En se plaçant à quelques jours de Noël, la cérémonie est devenue un réel espace publicitaire. « C’est la période où la consommation est la plus élevée. C’est donc le moment où il y a le plus de pubs et un marché extrêmement fort pour la télévision », précise Virginie Spies.

En 2016, un article des Échos Week-End estimait les recettes publicitaires de la soirée à 4,6 millions d'euros, auxquels s'ajoutaient « 600 000 euros induits par le million de votes par SMS que se partagent la chaîne et Endemol », la société de production. Mais reste à financer six mois de production, les centaines de personnes qui travaillent sur le prime et les coûts de fabrication des décors et des costumes. Sylvie Tellier, alors directrice de la société Miss France, l’assurait : « Miss France, c'est une belle image, mais ce n'est pas un chiffre d'affaires de dingue. »

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