Noëlle Herrenschmidt, aquarelliste reporter

« Ce dessin représente typiquement ce que je pense être mon rôle : prendre le lecteur par la main et l’emmener dans une salle d’audience », explique Noëlle Herrenschmidt dans son atelier à Sceaux, en région parisienne. 

© Crédits photo : Florine Amenta

Noëlle Herrenschmidt : une vie d’« aquarelliste reporter », en cinq dessins

Pour retranscrire une ambiance, une émotion et laisser une trace, les dessinateurs d’audience ont un rôle majeur auprès des journaux. Rencontre avec l'une d'entre eux.

Temps de lecture : 8 min

Le rendez-vous se fait à « la maison du bonheur », où vit Noëlle Herrenschmidt, à Sceaux, dans les Hauts-de-Seine. Nul besoin de décrire ce lieu, il est exactement comme on imaginerait une demeure familiale de banlieue parisienne avec son jardin verdoyant, le calme de sa rue et son architecture pavillonnaire.

Cheveux blancs et courts bien coiffés, l’aquarelliste m’accueille avec un grand sourire. Veste en cuir sur le dos et léger foulard blanc noué autour du cou, Noëlle Herrenschmidt m’emmène au fond du jardin, dans un atelier ajouté à la maison achetée il y a soixante ans. Un petit salon où elle entrepose ses archives et son matériel mais dans lequel elle ne dessine jamais. « Je ne suis pas une artiste enfermée dans mon monde. Mon monde intérieur, c’est les autres. » Noëlle Herrenschmidt n’a d’ailleurs pas aimé dessiner son chez elle pendant le confinement.

« L’avantage du dessin, c’est de saisir des choses insaisissables »

Elle commence par travailler comme dessinatrice de presse jeunesse pour Pomme d'Api, Astrapi, Okapi et d'autres titres du groupe Bayard. Puis, à 47 ans, Noëlle Herrenschmidt cherche une autre voie. Elle se rend alors dans une salle d’audience pour assister à un procès d’assises. Carte de presse en poche, elle s’assoit au banc des journalistes. Le procès débute. C’est un « éblouissement ». « Je me suis dit : ma vieille, tu es faite pour ça. » Travaillant déjà dans les locaux de la rue Bayard, elle n’a qu’à monter à l’étage pour toquer à la porte de La Croix. Un mois plus tard, la voilà en train de couvrir le procès de Klaus Barbie. Suivront les procès Papon, Clearstream, ceux du 13-Novembre, et tant d’autres. Là où les appareils photos sont interdits, elle utilise ses pinceaux. Elle nous raconte.

Klaus Barbie (1987)

Fille d’une aquarelliste, elle n’apprend que très tard que son père, décédé lorsqu’elle était jeune, était avocat. « Ce n’est sûrement pas un hasard que je sois si intéressée par le milieu judiciaire. » À Lyon pour suivre le procès de Klaus Barbie — ancien chef de la Gestapo de Lyon, jugé pour crimes contre l’humanité — Noëlle Herrenschmidt vit une première expérience hors du commun : « C’était un procès absolument terrible. » Elle ne connaît alors rien à la justice. Là-bas, elle fait la connaissance de Pierre Truche, procureur général, « une personne exceptionnelle ». Il la prend sous son aile. « Il m’a donné toutes les bases pour comprendre comment se construit un procès. »

« Où est la couleur ? »

Plume en main et assise tout près de l’accusé, Noëlle Herrenschmidt réalise des portraits de Klaus Barbie à l’encre de Chine pour La Croix.

 Klaus Barbie dessiné par Noëlle Herrenschmidt
« À l’époque du procès de Klaus Barbie, je ne m’intéressais pas aux décors, mais uniquement aux personnages. » illustration Noëlle Herrenschmidt

« J’ai voulu montrer ses deux visages. Celui du début, terrifiant, avec un visage implacable, puis le changement, l’espace d’un instant, lorsque le procureur lui parle de sa famille et de ses enfants. » L’avantage du dessin dans cette situation : « pouvoir représenter ce qui dure trois secondes, saisir des choses insaisissables. »

Mais avec ces portraits, on l’interroge : « Où est la couleur ? » Finis, les dessins à l’encre noire, Noëlle Herrenschmidt ressort sa boîte d’aquarelle, cadeau de ses 18 ans. La cinquantaine presque atteinte, la voici devenue « aquarelliste reporter », « du jour au lendemain. » Pourquoi « reporter » ? Parce qu’en plus de ses dessins d’audience, elle parcourt le monde avec ses pinceaux, de Calcutta auprès de Mère Teresa, au Vietnam avec les boat people, en passant par le Vatican.

Au tribunal ou en reportage, la dessinatrice peint de la main droite et écrit de la gauche. Être gauchère : « La chance de ma vie ». Mais dans les années 1950, « c’était la mauvaise main, hors de question d’écrire avec. On m’a appris à travailler avec la droite. » Ambidextre, elle peut prendre des notes et ajouter des commentaires sans stopper sa progression sur l’aquarelle. « Je n’ai pas les yeux rivés sur mon dessin, lorsque je peins, c’est automatique. »

Maurice Papon (1997)

Maurice Papon dessiné par Noëlle Herrenschmidt
« J’étais devant un homme qui lisait son journal dans son petit salon, il allait entrer dans son procès. Il avait la certitude d’avoir fait ce qu’il fallait, il n’a jamais douté. » illustration Noëlle Herrenschmidt

En 1997, pour Le Monde, elle se retrouve avec Maurice Papon au tribunal de Bordeaux, dans un petit cabinet accolé à la pièce principale. Il est alors accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour sa participation à la déportation de juifs entre 1942 et 1944. À quelques minutes de l’entrée de Papon dans la salle d’audience, elle lui demande l’autorisation de le dessiner. Il lui accorde. Il tient à ce moment-là le journal Le Monde du jour, qui lui consacrait sa Une. « Et nous avons discuté de la couleur de sa chemise. “Ce n’est pas rose, c’est cyclamen”, m’a-t-il lancé. » En dix minutes, elle lui peint le portrait. À cette époque, un homme à vélo venait récupérer les grandes feuilles de l’aquarelliste aux portes du palais de justice. Le dessin partait direction Paris par le train. « Mon mari allait le récupérer à la gare le lendemain pour le déposer à la première réunion de travail, vers 7 heures, au Monde. »

Le suivi de ce procès donnera lieu à quasiment un dessin par jour publié sur quatre colonnes pendant sept mois. Jamais aucune consigne n’est donnée à la dessinatrice, « on me faisait une confiance totale. »

Des accès exclusifs (1997)

Noëlle Herrenschmidt peut se déplacer partout dans l’enceinte judiciaire. Là où les dessinateurs ont normalement des places attitrées, elle peut s’installer pratiquement où elle le souhaite. Son secret ? « Mon âge, mais pas que ! Il y a aussi de l’expérience, je sais m’y prendre. »

Pour avoir des accès exclusifs, l’aquarelliste s’est toujours fondue dans le décor. Montrer qu’on ne fait pas de remous est primordial. Habillée en noir, sans prendre plus de place que la largeur de ses épaules sur les bancs, elle porte toujours un gilet à 18 poches. Carnets, pinceaux, taille-crayon… Il contient tout ce dont elle a besoin. Parfait pour qu’elle ait toujours ce qu’il lui faut sur elle. Elle peut ainsi se faire discrète. « Le maître mot : ne pas déranger. C’est vital ! » Seule fantaisie : ses boucles d’oreilles pendantes souvent colorées.

« Là où les appareils photos ne sont pas les bienvenus, le dessin est accepté »

En publiant en 1995, avec le magistrat Antoine Garapon, Les Carnets du palais (éditions LexisNexis) — un livre montrant, via l’aquarelle, l’envers du décor du monde judiciaire — Noëlle Herrenschmidt se fait un nom dans le milieu.

Salle des délibérations du procès Papon dessiné par Noëlle Herrenschmidt
« Sur cette table des délibérations, on voit l’urne dans laquelle se trouvaient les bulletins déposés par les jurés. » illustration Noëlle Herrenschmidt

À la fin du procès Papon, alors qu’elle assiste à une session d’assises au palais de justice de Paris, aux côtés du dessinateur Riss, le président lui conseille de se rendre dans le lieu le plus important : celui où se trouve la table des délibérations. « Face à cette table, c’était un moment inouï. Il y avait encore les canettes, les stylos, les papiers de la délibération. Rien n’avait bougé. Personne n’avait jamais pu dessiner cela avant. »

Pour l’aquarelliste, c’est aussi ça, la beauté du dessin de procès. Là où les appareils photos ne sont pas les bienvenus — « c’est beaucoup trop intime » —, le dessin est accepté.

Clearstream (2009)

Procès de Clearstream dessiné par Noëlle Herrenschmidt
« Avec le premier dessin à 17 h 45, je ne m’attends pas à avoir ce résultat. Ce qui se passe après, c’est surprenant. Il n’y a pas de certitude dans la justice. » illustration Noëlle Herrenschmidt

Pour ne jamais être limitée par la taille de son support, l’aquarelliste dessine sur un format A3. Lors du procès de l’affaire Clearstream, suivi pour Le Monde en 2009, elle prend le parti de représenter chacun des concernés, les uns après les autres.

En commençant par le général Philippe Rondot dans le coin gauche de sa feuille, elle ne pense pas encore à illustrer chaque personnage de l’affaire, chronologiquement. Mais elle repère rapidement une contradiction dans leurs discours et décide de l’illustrer. « Chacun a sa vérité et c’est à l’image totale de la justice et du procès. J’adore ! » Elle précise d’ailleurs à l’écrit (et rédigé de la main gauche) : « confrontations entre le général Rondot et les prévenus. »

« Je n’ai pas vraiment la notion du beau dessin »

Attentive aux expressions et à ce que chacun dit, Noëlle Herrenschmidt n’a pas le temps de trop réfléchir. « L’aquarelle est ma complice directe. Si ça fait une tache ou ça dérape, très bien, on va laisser déraper ! » Dans cette création du 7 octobre 2009, elle fait le choix de costumes blancs, « pour mettre en valeur les visages. » Et si elle n’est pas satisfaite du résultat, elle préfère recommencer. « Je n’ai pas vraiment la notion du beau dessin. S’il ne me convient pas parce qu’il n’est pas conforme à ce que je veux, j’en fais un autre. » Pour se rendre compte du résultat une fois la peinture sèche, elle attend les interruptions d’audience pour dégainer son sèche-cheveux de poche.

Séchoir et palette d'aquarelle de Noëlle Herrenschmidt
« Dans mon sac, j’ai toujours la même boîte d’aquarelle, avec les mêmes couleurs que celle de mes 18 ans, et mon petit séchoir qui est formidable. » photo Florine Amenta

Attentats du 13-Novembre (2021)

Après avoir collaboré à La Croix, au Monde, au Figaro ou encore à Marie-Claire, Noëlle Herrenschmidt vend ses dessins du procès des attentats du 13-Novembre 2015 à plusieurs titres dont Le 1 et L’Obs. Mais elle décide surtout d’en faire un livre (Juger le 13-Novembre, La Martinière, 2022) pour avoir une « liberté totale ». À l’instar des procès Barbie, Touvier ou encore Papon, celui de « V13 », a été enregistré pour l’histoire. L’aquarelliste, alors âgée de 82 ans, décide de se glisser là où l’enregistrement se fait.

Procès des attentats du 13 novembre dessiné par Noëlle Herrenschmidt
« En étant dans cette pièce, on pouvait discuter et boire du café en ayant plein de points de vue différents. J’ai dû dessiner debout. Assise, je ne voyais pas bien. » illustration Noëlle Herrenschmidt

Carnet posé sur une grande poubelle, deux jours durant, elle peint debout en alternant les plans de la salle d’audience en contrebas et ceux de l’équipe technique derrière les écrans. De septembre 2021 à juin 2022, la dessinatrice doit relever un nouveau défi : celui de capter les émotions et les expressions de chacun derrière les masques chirurgicaux. Seuls les yeux des personnes permettent d’en rendre compte. « C’est un excellent exercice, c’est perturbant et ça l’est encore plus lorsqu’ils retirent le masque. »

Ce procès est aussi celui durant lequel la dessinatrice met le plus en avant les décors, une vraie progression qu’elle constate en comparant avec ses premières illustrations. « Mais V13 était probablement mon dernier procès. »

« La télé ne remplacera jamais la vitesse d’un dessinateur »

Ne lui parlez pas du futur de son métier de dessinatrice d’audience, elle en est certaine, « la relève est faite ! » Et ce n’est pas le décret d’avril 2022 autorisant l’enregistrement des audiences qui va l’inquiéter : « La télé ne remplacera jamais la vitesse d’un dessinateur. Nous pouvons faire des gros plans, alors que les caméras filment en grand-angle ; ce qui est intéressant, ce sont les plans rapprochés. »

Pleine d’énergie, à 83 ans, Noëlle Herrenschmidt ne compte en fait jamais vraiment s’arrêter. Malgré quelques pertes d’équilibre, elle enchaîne d’ailleurs les allers-retours dans son petit atelier de Sceaux. Au mur, une idée de sa future activité : « des dessins de maisons, quelque chose de lucratif, ça me changera ! J’ai dessiné tout ce qui était dessinable. Maintenant, je n’ai plus qu’à m’amuser. »

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