Télévision : quand la bienveillance détrône la concurrence
La douceur et l’écoute, plutôt que l’humiliation et l’intimidation : candidats de téléréalité, téléspectateurs et productions se confortent dans cette tendance, accrue depuis le Covid.
Les téléspectateurs réclament davantage d'entraide et de bienveillance à la télévision.
© Illustration : Chloé Lelièvre
La douceur et l’écoute, plutôt que l’humiliation et l’intimidation : candidats de téléréalité, téléspectateurs et productions se confortent dans cette tendance, accrue depuis le Covid.
Le 3 février dernier, 4,8 millions de téléspectateurs assistaient au sacre de Pierre, gagnant de la dernière saison de la « Star Academy » diffusée sur TF1. La onzième saison de ce programme — relancé en 2022, après dix ans d’absence — s’est distinguée par son humanité. Tous les apprentis chanteurs étaient présents pour soutenir les deux finalistes. Ils ont chanté à leurs côtés, les ont rassurés et, surtout, semblaient heureux pour eux. Julien, le finaliste vaincu, a porté Pierre sur son dos lors de l’annonce du verdict. L'image a fait le tour des réseaux sociaux. L'époque semble loin où l’esprit de compétition, les histoires d’amour et les clashs à gogo étaient la norme. « Je pense qu’on est passé à autre chose, observe Alice, 27 ans, téléspectatrice. Plusieurs émissions de téléréalité sont de plus en plus douces, bienveillantes, feel good et c’est ce que j'ai envie de regarder. »
Cette sensation, jusque-là cantonnée aux retours des téléspectateurs, est aussi revendiquée par les candidats eux-mêmes. Devenu le candidat de la « Star Academy » le plus suivi sur les réseaux sociaux (1,2 million de followers sur Instagram), Pierre, interrogé sur les raisons du succès de la saison par Mouloud Achour sur Canal +, a déclaré : « Je pense que c’est dû à notre volonté d’être bienveillants dès le début, c’est différent de ce qui se fait à la télé d’habitude. Quand on regarde la télé, on a cette envie presque malsaine de voir des gens se disputer et des clashs. Nous, on a pris ce truc à contre-pied. » Propos confirmés par sa camarade Lénie : « [Les téléspectateurs] ont vu que la bienveillance existe encore dans notre génération », a-t-elle assuré à La Provence.
Diffusé sur France 2 depuis 2018, « Ça commence aujourd’hui » se place aussi sous le signe de la bienveillance. Face aux témoins qui se confient, Faustine Bollaert, la présentatrice, fait preuve d’une grande empathie. Des experts complètent le plateau : « Ils sont tous très pédagogues et ont un discours très accessible », détaille Anne Motte, 62 ans, téléspectatrice. Violences conjugales, agressions sexuelles, addictions, mariages forcés… Les sujets abordés sont parfois très durs : « J’ai l’impression que l'émission est un moyen pour ces gens de se libérer d’un mal-être, d’un poids », confie de son côté une autre téléspectatrice de 26 ans, Marwa Ben Jemaa.
Le programme est un franc succès et Faustine Bollaert est devenue, en 2023, la première femme élue personnalité préférée des Français par TV Magazine. Elle a également transposé son concept sur YouTube, où elle propose chaque dimanche des entretiens très personnels avec des créateurs de contenus. Pendant une heure, dans « Safe Zone », ils s’épanchent sur leur enfance, leurs débuts ou encore leurs peurs sous le regard rassurant de la présentatrice.
Lorsqu’on parle d’émissions « bienveillantes », on ne peut évidemment pas occulter celles présentées par Frédéric Lopez. Après « Rendez-vous en terre inconnue » et « La Parenthèse inattendue », il anime depuis 2021 « Un dimanche à la campagne ». Dans cette émission, il recueille les confidences de trois personnalités. Ambiance familiale et chaleureuse, plaid sur les jambes, elles jouent le jeu des questions parfois intimes. Et, pour le dîner, elles cuisinent ensemble. Même principe pour « Notre vraie nature », diffusée depuis 2024, avec la volonté, cette fois, de « déconnecter » les personnalités du « monde virtuel » afin qu’elles se « reconnectent à elles, aux autres et à la nature » en les emmenant à l’autre bout du monde.
Mais quels sont les points communs de ces manifestations de bienveillance sur petit écran ? Stéfany Boisvert, professeure à l’École des médias de l’université du Québec à Montréal (Uqam), relève trois caractéristiques : la mise en valeur de la diversité et de l’inclusion ; la mise en scène d’interactions axées sur la gentillesse et l’écoute de l’autre ; et enfin, une distanciation avec les caractéristiques classiques associées à la téléréalité, telles que l’humiliation des candidats ou encore l’invasion dans la vie privée, bien moins tolérées par la jeune génération, selon elle. Stéfany Boisvert cite en exemple la polémique qui a agité l’émission québécoise « Occupation double ».
Dans cette téléréalité, des célibataires cohabitent et tentent de trouver l’amour avec pour objectif ultime de former un couple. Chaque semaine, un ou une candidate est éliminé par le genre opposé et le couple qui parvient à rester jusqu’à la fin remporte la compétition. En 2022, trois participants ont été accusés d’intimider un candidat pour le pousser à quitter l’aventure. Il a fallu une vive réaction des téléspectateurs sur les réseaux sociaux appelant à boycotter l’émission, puis au retrait de plusieurs sponsors, pour que la production, suspectée d'avoir banalisé cette intimidation, décide d’évincer les trois participants mis en cause. « Quand les téléspectateurs ne tolèrent plus les représentations d'humiliation ou d'intimidation, les annonceurs deviennent plus sensibles à ces questions-là aussi », souligne Stéfany Boisvert.
« La télévision était perçue comme un refuge émotionnel et affectif »
Pour la chercheuse, quelque chose a changé au début de la pandémie de Covid-19 : « Lorsque les gens se retrouvent à devoir regarder des émissions en famille, les téléréalités s'avèrent particulièrement propices à des visionnements collectifs », explique-t-elle. Et au vu des confinements successifs et de l’incertitude qui ont fortement marqué cette période, les téléspectateurs se sont mis à « exiger des formats de téléréalité plus gentils et bienveillants, parce que la télévision était perçue comme un refuge émotionnel et affectif dans un contexte de grande instabilité sanitaire et sociopolitique ».
Elle observe aussi, à travers ses recherches, un phénomène de repli « sur des programmes réconfortants » avec notamment, des visionnages de vieilles émissions ou séries comme « Friends » par exemple. Des émissions que l’on croyait alors dépassées, connaissent un renouveau. C’est le cas de la « Star Academy » et peut-être bientôt de « Secret Story ». Ce qui n'empêche pas, en parallèle, les émissions basées sur le sensationnalisme, la provocation ou les disputes de continuer à exister, « à l'image des grandes contradictions auxquelles nous sommes socialement confrontés ».
Depuis sa sortie du « Loft », en 2001, Loana observe les journalistes raconter sa vie. Que pense-t-elle de leur travail ? Quel regard porte-t-elle sur son propre personnage public ? Retour en forme d’entretien sur vingt années d’exposition médiatique.
Ingrédient phare des émissions de téléréalité, le confessionnal a occupé différentes fonctions ces vingt dernières années, jusqu’à donner aux récits des candidats une place centrale.