Do you Yahoo! ?
Au-delà de l’audience, massive, et de ses résultats financiers, qui déçoivent les investisseurs mais se maintiennent à un niveau acceptable, Yahoo! apparaît, face à Google ou Facebook, comme un « empire sur le déclin ». Une entreprise sans vision, mal pilotée, et qui n’a pas de véritable stratégie.
Michael Arrington, bloggeur star de la Silicon Valley, écrivait en décembre dernier
sur le blog TechCrunch que Yahoo! se trouvait « en plein désarroi ». Se demandant si l'entreprise était encore une entreprise de nouvelle technologie, il ironisait : « je pense qu'il est désormais clair que non.
Elle n’est plus que la version cauchemardesque d'un cartoon de Dilbert, une entreprise où les employés craignent de perdre leur job et s'agrippent à leurs bureaux, sans rien construire de nouveau ni d'ambitieux ». Il est vrai que si le groupe est devenu un « géant » dans le secteur des contenus (information, sport…), l’innovation technique y est particulièrement rare et lente.
Pourtant, à la fin des années 90, Yahoo! était - comme Google aujourd’hui - à la pointe de l’innovation. Des services comme Yahoo! Maps ou Yahoo! Mail (un des premiers webmails pour le grand public permettant d’envoyer et de recevoir gratuitement des e-mails depuis n’importe quel ordinateur) révolutionnaient la communication et étaient plébiscités par les internautes.
La principale erreur de Yahoo! est probablement de ne pas avoir suffisamment pris conscience de l’évolution du Web et du modèle du portail. D’avoir abandonné le « search », en laissant émerger le concurrent Google, mais surtout d’avoir complètement raté le virage du Web social. Les acquisitions dans le domaine, comme Flickr ou delicious (que Yahoo! penserait même à fermer) donnent le sentiment d’avoir été abandonnées. Insuffisamment développées, elles n’ont jamais vraiment été intégrées au portail.
En fait, comme le résume
Paul Graham, un ancien employé de Yahoo!, dans
une tribune amère postée sur son blog, « Yahoo! a traité la programmation comme une simple marchandise » (« Yahoo treated programming as a commodity. ») alors qu’elle aurait du être au cœur de sa stratégie, comme dans toutes les compagnies Web. Il raconte cette anecdote : en 1998, il suggère à David Filo de racheter Google. Lui-même, et tous les programmeurs de l’entreprise, utilisent Google pour chercher sur le Web. Mais le co-fondateur de Yahoo! ne voit pas l’intérêt de cette acquisition. Il faut préciser qu’à ce moment-là, le « search » ne représente alors que 6% du trafic de Yahoo!, quand la croissance de l’entreprise dépasse les 10% par mois…
De fait, Yahoo! s’est tranquillement installé dans un positionnement mou d’« online media company » focalisée sur les contenus. À l’inverse, ses concurrents comme Google ou Facebook ont mis l’innovation au cœur de leur stratégie et ont développé une culture d’entreprise différente. Une culture de « hackers », d’ingénieurs, prônant l’interactivité et l’utilisation de l’intelligence collective du Web et des internautes.
En janvier 2009,
Carol Bartz, ancienne dirigeante d’
Autodesk, une entreprise de logiciels de design et de contenu numérique, succède au co-fondateur Jerry Yang. Elle prend la tête du groupe au moment où tous les grands portails sont confrontés à la même crise d’identité. AOL, comme l’a montré
le rachat du Huffington Post ou
celui du blog TechCrunch, a une stratégie plus claire qui consiste à repositionner l'entreprise sur les contenus et les revenus publicitaires. Yahoo! tente encore de se définir, entre le portail, l’édition de contenus, le moteur de recherche… Interrogée au cours d’une conférence sur la manière dont elle définissait Yahoo!, Carol Bartz s’était contentée de
quatre mots : « contenu, communications, média et innovation ».
Dans le domaine du Web social, après avoir tenté pendant des mois, sans succès, de développer des services sociaux pour rivaliser avec Facebook (échec de Yahoo! Buzz par exemple), la compagnie, sous l’égide de Carol Bartz,
change de cap. La stratégie du portail ne consiste plus à procéder à de nouvelles acquisitions ni à créer son propre réseau social, mais à intégrer les outils et services existants les plus populaires en nouant des partenariats. Ainsi, Yahoo! a récemment implémenté sur ses pages de contenus des outils de partage et de « Like » afin de permettre à ses utilisateurs de partager avec leurs amis les contenus du portail.
Comme d’autres éditeurs de contenu, Yahoo! espère ainsi tirer parti de l’immense base d’internautes inscrits sur Facebook (plus de 600 millions) pour générer du trafic sur son site et consolider sa stratégie de portail Web à l’heure des réseaux sociaux. En faire le seul endroit en ligne où s’informer, où chercher des informations et envoyer des mails mais aussi où l'on peut partager avec ses amis des informations sur Facebook et Twitter.
Après deux ans à la tête de l'entreprise, et malgré ses efforts pour tenter de redresser les comptes du portail, nouer des partenariats stratégiques et rassurer les investisseurs, Carol Bartz
a annoncé son licenciement aux employés de Yahoo! le 6 septembre 2011. Les actionnaires ont sanctionné les mauvais résultats en bourse de la compagnie et certaines discussions discutables prises par la PDG, comme
la vente de Delicious, le célèbre site de "bookmarks" (favoris) communautaires, vendu en avril 2011 aux fondateurs de YouTube.