Des journalistes filment et enregistrent la présidente du Parlement européen Roberta Metsola, en décembre 2023.

Des journalistes filment et enregistrent la présidente du Parlement européen Roberta Metsola, en décembre 2023. 

© Crédits photo : Miguel Medina / AFP

Actualité européenne : la grande timidité de nos journaux télévisés

INFOGRAPHIES. Depuis vingt ans, les institutions européennes ont fait l’objet de seulement 3 % de l’offre globale d’information sur les JT du soir. À l’approche du scrutin du 9 juin 2024, La Revue des médias vous présente les résultats d’une étude inédite sur la médiatisation des élections européennes.

Temps de lecture : 8 min

Alors que sept Européens sur dix s’intéressent aux élections européennes, ces dernières ne captent l'intérêt que d’un Français sur deux. La France compte également les citoyens européens parmi les plus mal informés sur l’Union européenne. À l’automne 2023, moins d’un Français sur deux déclarait avoir été récemment informé sur l’Union européenne.

Pour comprendre d’où peut venir ce faible intérêt, nous avons mesuré la médiatisation de l’Union européenne et de ses institutions en étudiant plus de 17 000 sujets de JT du soir des chaînes TF1, France 2, France 3, Arte et M6 entre 2004 et 2023. Une enquête menée dans le cadre d’une étude inédite sur les élections européennes, portée par la Fondation Jean Jaurès, Confrontations Europe et Onclusive avec l’INA.

  • « Années d’élections » ne rime pas forcément avec « médiatisation »

Globalement, depuis 2004, l’organisation politique et ses principales institutions ont fait l’objet de 3 % de l’offre globale d’information sur les JT du soir. Les quatre derniers scrutins européens représentent en moyenne 285 sujets diffusés dans les JT sur le premier semestre de l’année de l’élection (entre le 1er janvier et le 30 juin). Rapporté au nombre total de sujets diffusés sur cette période, selon les années électorales, cela représente entre 1,4 % et 3 % de l’offre d’information.

Pour Nicolas Hubé, enseignant chercheur au Centre de recherche sur les médiations (Crem) qui travaille depuis plus de vingt ans sur le sujet de la médiatisation de l’Union européenne et de ses institutions, plusieurs facteurs expliquent la timidité des rédactions vis-à-vis de cette thématique. À commencer par le fait que « l’actualité européenne ne fait pas vendre » — le sujet est considéré comme complexe et il est difficile de le traiter de manière « un peu originale ».

Adrien Gindre, chef du service politique de TF1 et LCI, considère en effet que « ce qui a alimenté ces dernières années l’indifférence à l’égard de l’Union européenne, chez certains de nos concitoyens, est en partie lié au sentiment de quelque chose de lointain, qui ne les concernait pas ».

« La plupart des sujets des correspondants arrivent en cinquième roue du carrosse »

Chez France Télévisions, Jérôme Cathala, médiateur du groupe audiovisuel public, constate pourtant une sensibilité des téléspectateurs sur ces sujets. « L’une des principales critiques est la surabondance de sujets sur les États-Unis, par rapport à l’Europe », explique-t-il en citant des courriers de téléspectateurs du mois de mars. Avant d’ajouter : « Certains nous reprochent de ne pas traiter de façon suffisamment positive l’actualité européenne, contrairement à d’autres médias comme la télévision suisse ».

Nicolas Hubé note aussi que malgré le recours à l’angle de « comparaison par le voisin avec lequel on fait la compétition ou que l’on invoque pour mieux asseoir ses positions nationales », la couverture de l’Union européenne et de ses institutions reste le parent pauvre de l’actualité internationale. Ainsi, tous les médias ne possèdent pas un bureau de correspondant permanent à Bruxelles comme c’est le cas de France Télévisions. Le groupe audiovisuel public a également nommé un rédacteur en chef Europe en la personne de François Beaudonnet. « La plupart des sujets des correspondants arrivent en cinquième roue du carrosse des services politiques face à l’actualité nationale », explique-t-il.

Une question de point de vue selon Adrien Gindre pour qui « il ne faut pas confondre l’actualité européenne et la couverture de l’actualité des institutions européennes ». Le journaliste, qui couvrira cette année sa quatrième élection européenne, insiste sur la stratégie de la chaîne pour couvrir ces sujets au travers de reportages « au plus près des gens et loin des couloirs des arcanes des institutions », comme ce fut le cas dernièrement avec la crise agricole en France.

Pour expliquer la moindre médiatisation de la question européenne, Nicolas Hubé note par ailleurs que dans un monde où l’économie des médias est fragilisée, les rédactions font de moins en moins appel aux services de traducteurs et concentrent leurs interviews sur des personnes parlant la langue de leurs téléspectateurs.

  • Des pics de médiatisation

Pourtant, dans cette faible médiatisation, des exceptions apparaissent. Il est vrai que « ces dernières années, l’actualité européenne est devenue une information de premier plan pendant différentes crises », constate Nicolas Hubé en énumérant l’échec du traité constitutionnel européen en 2005, la crise de l’euro à partir de 2009, la crise migratoire de 2015, les pactes européens et aujourd’hui la guerre en Ukraine. Autant de pics médiatiques qui se retrouvent dans nos chiffres puisque les trois années au cours desquelles l’Union européenne et ses institutions ont été les plus médiatisées sont 2022 (4,89 % de l’offre d’information globale), 2005 (4,64 %) et 2015 (4,6 %).

Plus étonnant : dans le registre des pics de médiatisation, c’est le mois de février qui remporte la palme. Sur ces vingt dernières années, 28 mois ont particulièrement été médiatisés. Et 60 % de ces pics médiatiques se sont produits au mois de février. Parfois, cela est dû à la coïncidence de l’actualité du vote de la constitution européenne, comme en février 2005. Mais c’est aussi dû au rythme des institutions européennes elles-mêmes : le changement de présidence du Conseil de l’Union européenne ou les rencontres des chefs d’État à Bruxelles se sont souvent produits en février.

Autre exception : l’élection de 2019, deux fois plus médiatisée que les précédents scrutins. Mais ce chiffre est à pondérer avec le contexte du Brexit et de ses nombreux soubresauts. Initialement fixée au 29 mars 2019, sa date a été reportée à trois reprises. Ainsi, le Brexit occupe 36 % des sujets sur l’Union européenne et ses institutions diffusés dans les JT du soir en 2019.

Adrien Gindre, du côté de TF1, se réjouit d’ores et déjà d’une accélération de l’intérêt des médias portés à la campagne de 2024. « Nous avons tous collectivement commencé à couvrir cette campagne beaucoup plus tôt », constate-t-il, insistant sur le fait que le calendrier médiatique des débats des têtes de listes (le 21 mai dernier) n’a pas été retardé alors que le scrutin de cette année est plus tardif qu’en 2019.

  • Parler plus ou moins d’Europe, un choix des candidats

Rendre visible l’Union européenne et ses institutions passe également par l’incarnation politique. De ce point de vue, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, est plus médiatisée que son prédécesseur Jean-Claude Juncker ou que Martin Schulz, l’ancien président du Parlement européen. Entre 2019 et 2023, elle a fait l’objet de 59 sujets en moyenne par an contre seulement 32 et 27 pour les deux hommes entre 2014 et 2018.

Qu’en est-il des têtes de liste aux élections européennes ? À la veille du prochain scrutin, nous avons étudié la médiatisation des 22 candidats français dans les JT du soir entre 2019 et 2023. Parmi les dix personnalités les plus médiatisées sur la période, nous avons constaté que la part de médiatisation attribuable à une thématique européenne est plus ou moins forte selon les candidats.

Top 10 des candidats têtes de liste les plus médiatiques

Bien que ces personnalités ne soient pas toutes comparables en termes de fonction et de mandat, il est intéressant de noter la restitution par les médias du discours politique incarné par chacun d’eux. Pour les trois députés européens Raphaël Glucksmann, François-Xavier Bellamy et Manon Aubry, la part de leur médiatisation imputable à une thématique liée à l’Union européenne est supérieure à 70 %. Très loin derrière se trouvent Jordan Bardella (18 %) lui aussi député européen, Marion Maréchal (17 %), Florian Philippot (14 %), François Asselineau (10 %), Nathalie Arthaud (5 %), Jean Lassalle et Jean-Marc Governatori (0 %). Adrien Gindre souligne à ce titre que « ce sont des stratégies qui leur appartiennent et dont nous prenons acte en tant que média ».

Par ailleurs, des logiques de visibilité s’opèrent « à cause de la nationalisation et de la politisation en France qui fait que l’on va s’intéresser en priorité aux grands noms », complète Nicolas Hubé. En matière de représentation du pluralisme à l’antenne, c’est l’Arcom qui dicte les règles. Selon l’institution, la représentativité se mesure entre autres à l’aune des résultats obtenus lors de la dernière élection des représentants au Parlement européen de 2019 et aux plus récentes élections. Ainsi, Jordan Bardella, président du premier parti d’opposition en France, est de loin le candidat bénéficiant du plus de visibilité ces cinq dernières années.

Mais l’observation la plus intéressante réside dans le fait que « les élus dont le métier est de ne s’intéresser qu’aux activités européennes gagnent en termes de visibilité, comme c’est le cas avec Raphaël Glucksmann, François-Xavier Bellamy et Manon Aubry », ajoute Nicolas Hubé. Le chercheur note également que Valérie Hayer paye de son côté une communication européenne qui passe avant tout à travers Emmanuel Macron, le Premier ministre ou le ministre des Finances.

Plus important encore, cela montre pour lui que les questions européennes peuvent s’incarner médiatiquement à l’échelle des hommes et femmes politiques. « Tant que les partis politiques parleront d’Europe, l’Europe se positionnera comme un vrai sujet dans les médias, pour le meilleur et pour le pire », dit-il en évoquant le Brexit. « On en revient alors à la question de départ : si l’on souhaite que les citoyens aient des choses à dire sur l’Europe et puissent commenter l’actualité politique, il faut aussi que l’on parle d’Europe. »

Sur ce point, il est à noter que de nombreux formats sur l’Europe et ses institutions ont vu le jour ces dernières années, comme la série « Parlement » diffusée sur france.tv. L’information n’est pas en reste avec le magazine « La faute à l’Europe » diffusé tous les mercredis sur France info ou la série de reportages « Partie de campagne » diffusés tous les dimanches au JT de 20 heures de TF1. L’offre podcast s’est également étoffée pour montrer à partir d’exemples concrets comment sont construites les lois européennes avec « Le Compromis », adapté par l’AFP de son documentaire éponyme, ou « À quoi tu sers ? Le podcast des métiers de l'Europe » dans lequel Catherine Ray, ancienne porte-parole de la Commission européenne, interviewe assistants parlementaires, lobbyistes, diplomates européens… Autant de possibilités pour se forger une culture européenne, en dehors des journaux télévisés.

Méthodologie

Les résultats qui vous sont présentés reprennent et complètent les données de l’INA qui ont été utilisées dans le cadre d’une étude sur la couverture médiatique des élections européennes publiée par la Fondation Jean Jaurès en partenariat avec l’INA, Confrontations Europe et Onclusive.

Ce corpus a été constitué en interrogeant nos bases sur différents mots-clés tels qu’« élection européenne », « Union européenne », « Parlement européen », « Commission européenne », « Conseil européen », « Conseil de l’Union européenne », « Cour de justice de l’Union européenne ». Sans se limiter au strict sujet de l’Union européenne, ce corpus permet de donner une idée de la couverture médiatique des sujets autour de la thématique de l’Union européenne. Les chiffres présentés ici sont donc à prendre comme des indicateurs de tendance.

Ce corpus représente de l’ordre de 17 400 sujets, brèves et plateaux entre 2004 et 2023 pour les JT du soir des chaînes TF1, France 2, France 3, M6 et Arte. Il est à noter que France 3 a cessé son édition nationale à partir du 3 septembre 2023.

La visibilité des élections européennes a été évaluée uniquement sur le premier semestre des années concernées par un scrutin européen. Nous avons comptabilisé tous les sujets mentionnant « élection européenne » entre le mois de janvier et le mois de juin.

La notoriété des candidats a été évaluée entre 2019 et 2023 sur l’ensemble des sujets les mentionnant. Une sous-segmentation a ensuite été produite pour voir parmi cet ensemble les sujets traitant à la fois du candidat et des mots-clés désignant l’Union européenne et ses institutions.

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