« L’effet Fox News »
Bill O'Reilly occupe encore aujourd'hui dans la grille horaire de Fox News une place enviable. Sa quotidienne d'une heure, « The O’Reilly Factor », est diffusée en semaine à 20 heures, puis rediffusée à 23 heures. L'émission est composée de différentes parties dont l'intitulé varie, mais la forme reste toujours la même ; il s'agit de commentaires et de discussions politiques. O'Reilly débute généralement son émission avec un éditorial de trois minutes, ses « Talking points memo » (« éléments de langage »). Le ton est volontiers moqueur, la manière très didactique (le texte lu par O'Reilly occupe la moitié droite de l'écran), et le contenu, s'il est certes lié à l'actualité, reste somme toute le même : la gauche et Barack Obama sont néfastes pour le pays. Suit « Top Story », (« Le fait du jour »), au cours duquel O'Reilly discute avec deux invités de la principale information du jour. Le ton reste toujours très agressif et la conversation tourne souvent à la cacophonie. Les sujets traités le sont sous l'angle de la politique intérieure. Les autres segments sont une variation des deux premières séquences, où O'Reilly réaffirme les mêmes idées conservatrices et se garde le mot de la fin.
« The O'Reilly Factor », Capture d'écran Youtube
Sur le plan de l'information, O'Reilly ne craint pas de déformer les faits de manière à ce qu'ils collent à son discours. L'observatoire de la presse
Media Matters for America le critique régulièrement pour cette raison.
Néanmoins, O'Reilly et Fox News ont véritablement transformé la télévision américaine en privilégiant le commentaire plutôt que l’information. Depuis 2002, c'est devenu la chaîne d'information continue la plus regardée aux États-Unis, devant CNN. « The O'Reilly Factor » reste l'émission d'information la plus regardée du câble, avec 2,6 millions téléspectateurs. Et Fox News a accumulé en 2010 des profits à hauteur de
816 millions de dollars (près de 600 millions d'euros). Son modèle reposant sur des émissions enregistrées en studio, avec une très faible présence sur le terrain, lui permet de réaliser d'importantes économies. Sa rédaction compte ainsi
trois fois moins de journalistes que celle de CNN. Les déplacements et les envoyés spéciaux à l'étranger sont très rares, alors qu'ils sont traditionnellement le principal poste de coûts pour les organes de presse.
La politisation de MSNBC débute en 2001. Jusque-là, la chaîne avait accordé le créneau de 17 heures, le sommet du « Prime Time » américain pour l'information télévisée, à son principal journal d'actualité. Mais elle décide de le remplacer à l'été 2001 par « Hardball with Chris Matthews », (« Jouer dur, avec Chris Matthews »). L'opération n'est pas qu'un simple réaménagement de la grille horaire, c'est un
véritable virage stratégique fait pour booster l'audimat avec un animateur qui hausse le ton. Faut-il s'en étonner ? Tout comme Roger Ailes, il est un ancien conseiller politique qui s'est reconverti dans le journalisme. Venant du parti démocrate, Chris Matthews a notamment été l'une des plumes du président Jimmy Carter. Son émission fait, elle aussi, la part belle au commentaire politique et à la confrontation. Sur le plan de la forme, on s'en tient à la tradition des « talking-heads », (« têtes parlantes »), s'agissant de programmes télés de débat. Un fait du jour est présenté par Chris Matthews, puis débattu avec des stratèges ou des personnalités des deux grands partis américains, puis l'animateur clôt l'émission avec un éditorial. Encore une fois, les sujets traités relèvent avant tout de la politique intérieure américaine.
« Hardball with Chris Matthews », Youtube
Cet extrait vidéo est récent, mais il témoigne du ton des échanges de l'émission « Hardball with Chris Matthews » qui occupe toujours la case horaire de 17h. Son arrivée en 2001 sur cette plage présage du virage pris par MSNBC. À mesure que le président George W. Bush affirme ses principes néoconservateurs, avec une restriction des libertés civiles et la guerre en Irak, MSNBC va découvrir qu'il existe un marché de téléspectateurs de gauche heureux de trouver une chaîne prête à critiquer sévèrement les actions de la Maison-Blanche. La direction affirme n'avoir
jamais cherché à créer une réponse à Fox News, l'idée semble s'être imposée naturellement.
Aujourd'hui, Chris Matthews est toujours la star de la chaîne. Mais d'autres visages ont participé à la montée en puissance de MSNBC. Keith Olbermann, un éditorialiste enflammé, a été l'une des plus fortes personnalités médiatiques à sortir de cette écurie. Il débute en 2003 sur la chaîne, mais c'est en 2006 qu'il débute ses « Special Comments » qui feront sa légende. Sur un ton moralisateur, avec un style volontiers pompeux, affectant une indignation profonde, Keith Olbermann délivre à la caméra des éditoriaux dynamiques qu'il termine par un vibrant « Good night and good luck ». La phrase n'est pas innocente. Edward R. Murrow, le journaliste de la CBS qui a mené la charge contre le maccarthysme, en est l'auteur et c'était sur ces mots qu'il concluait son émission. Keith Olbermann s'inscrit dans sa lignée et se présente comme un journaliste en lutte contre un pouvoir conservateur. Ses commentaires d'une dizaine de minutes ne se contentent pas de le montrer à la caméra. Ils sont entrecoupés d'images d'archives ou d'actualités pour illustrer son propos.

« Countdown with Keith Olberman », Youtube
Il quitte finalement la chaîne début 2011, après une série de désaccords personnels avec la direction. Rachel Maddow a pris le relais depuis et, sur un ton empreint d'un même sérieux, avec peut-être un peu plus d'humour, elle a repris la formule élaborée par Olbermann. Depuis octobre 2010, MSNBC affiche fièrement son positionnement. Son nouveau slogan « Lean Forward », (« Aller de l'avant »), est un credo progressiste. (À l'inverse, la devise de Fox News « Fair and Balanced », (« Juste et mesuré »), entretient l'ambiguïté quant à la mission d'information de la chaîne.) MSNBC paraît désormais sûre d'elle-même et y voit une garantie de son succès. Pour autant, les principes progessistes mis en avant semblent avoir été adoptés par la direction davantage par opportunisme que par conviction. En octobre 2010, lorsque fut révélé le nouveau slogan de la chaîne, Sharon Otterman, la directrice du Marketing de la chaîne, laissera clairement entendre que ce positionnement est avant tout une décision d'affaires. «
Quand votre identité est claire, c'est là que vous commencez à gagner de l'argent », a-t-elle alors déclaré.